Publié le 31 mars 2018 à 18h52 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Que l’on soit pratiquant ou non, en règle générale, le Vendredi Saint «on fait maigre», comme on dit chez nous. Pour en être persuadé, il suffisait d’observer les menus des restaurants qui, hier, proposaient, tous ou presque, l’aïoli… Pratiquant ou non, un peu de poisson et quelques légumes bouillis ne font pas de mal. Mais en ce jour qui, pour les chrétiens, commémore la mort du Christ en croix, en se tournant vers le programme du Festival de Pâques, c’était plutôt l’opulence musicale… Une création mondiale d’Eric Tanguy en fin d’après midi au Conservatoire et la Passion selon Saint-Jean de Bach, en soirée, au Grand Théâtre de Provence, excusez du peu ! Alors, le festivalier assidu, peu repu de son frugal déjeuner, mais frais et dispo intellectuellement, n’avait plus qu’à aller faire bombance avec les notes de musique. Début de la dégustation à l’auditorium du Conservatoire Darius Milhaud. Le compositeur Eric Tanguy y jouait la carte blanche qui lui avait été confiée par Renaud Capuçon. Au programme des œuvres de lui-même encadrant l’adagio en mi bémol majeur «Notturno» pour piano, violon et violoncelle de Schubert et le quatuor pour piano et cordes de Mahler. Un programme des plus équilibrés empli de lyrisme et de romantisme parfaitement servi par de jeunes musiciens: Rosanne Philippens et Alina Pogostkina au violon, Lise Berthaud à l’alto, Claudio Bohorquez au violoncelle et Suzana Bartal au piano. Pour ce portrait d’Eric Tanguy, l’auditorium du Conservatoire était copieusement garni et c’est tant mieux. Car la musique du compositeur, modale, lyrique, est totalement dépourvue de clés et de verrous qu’il serait nécessaire d’actionner pour la comprendre. C’est une musique que l’on écoute simplement pour se faire plaisir et qui a été composée pour ça; ce qui ne veut pas dire, bien entendu, qu’elle est simpliste. Entre autres pièces jouées, il y avait la création mondiale de « Rhapsodie » pour piano et violoncelle, commande du Festival. Une partition solide, fluide, au lyrisme certain et aux élans romantiques indéniables. Grandes envolées passionnées au piano, sensibilité et puissance de l’alto: le dialogue entre les deux instruments est superbe. Une création à l’image de son compositeur, emplie de sentiments, de lumière et de beauté.
Depuis le Conservatoire jusqu’au Grand Théâtre de Provence, le pèlerinage est vite fait et n’a rien à voir avec un chemin de croix. C’est plutôt une descente, entrée unique pour raisons de sécurité oblige, vers un nouveau moment de bonheur. Nous attendions beaucoup de cette Passion selon Saint-Jean de Bach mise en œuvre par Pygmalion et Pichon, et nous ne fûmes pas déçus ; loin s’en faut. Inutile ici de gloser sur l’expertise du jeune chef lorsqu’il s’agit d’aborder Bach, sur ses qualités de direction, sur son approche éclairée et sa lecture des partitions. Cette Passion selon Saint-Jean, qu’il dirige régulièrement depuis plusieurs années, il la théâtralise sans lui ôter une once d’émotion, lui donne une puissance et une spiritualité hors du commun. Il joue avec l’espace, débutant la pièce par un appel du Vendredi Saint pratiqué en son temps à Leipzig et lancé derrière la conque acoustique par la mezzo Lucile Richardot. Un appel lointain qui va capter, et capturer, l’attention de la salle. La Passion peut débuter. Pour servir le monument, Raphaël Pichon sait qu’il peut compter sur l’orchestre et le chœur qu’il a créés il y a douze ans. Musiciens et chanteurs rompus à la pratique des instruments anciens et des voix baroques. Il y a de la qualité à tous les niveaux et un niveau de perfection absolu partagé avec le directeur musical. De l’exigence, aussi, chez les solistes au premier rang desquels Julian Prégardien qui remplacera en dernière minute le ténor John Irvin, souffrant, assurant la partie de ce dernier ainsi que celle, omniprésente, de l’Évangéliste. Pour la petite histoire, il n’avait plus chanté la partie ténor depuis 4 ou 5 ans et il l’a fait, ici, sans partition et sans faille. Ligne de chant superbe, puissance et clarté : même s’il a de qui tenir, Julian Prégardien, fils de…, a une sacré personnalité et un talent fou. Apprécié, aussi, le baryton Tomas Kral, Jésus, belle voix ample et
sensible. Du côté des femmes, la soprano Katerina Kasper et l’alto Lucile Richardot sont, elles aussi, au très haut-niveau qualitatif requis par Raphaël Pichon, tout comme Christian Immler, Pilate. Des prestations qui ont obtenu l’ovation d’une salle archi-comble. Un bon présage pour Raphaël Pichon et Pygmalion qui seront ici même, dans
quelques semaines, pour la reprise de «La Flûte Enchantée» mise en scène par Simon McBurney au Festival d’été. On a hâte d’y être.
Michel EGEA
Pichon-Degout : l’harmonieuse descente aux enfers
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