Publié le 2 mai 2018 à 20h36 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h42
Il s’agit d’une véritable innovation d’usage, et elle a été primée lors du dernier Phare de l’entrepreneuriat. Sabine Ferrero a en effet décroché le prix Paca pour sa solution digitale, destinée à débusquer les erreurs sur les bulletins de paie. Mais derrière l’application, c’est bel et bien la création d’une nouvelle profession qui se profile.
Elle vient de remporter le prix Paca du Phare de l’entrepreneuriat, organisé par Accede Provence Entrepreneurs, association d’étudiants de Kedge Business School. Le pitch de Sabine Ferrero, fondatrice de Payrfect, a su convaincre le parterre de décideurs économiques composant le jury. «J’ai obtenu une dotation financière et des prestations d’accompagnement au sein de thecamp», se réjouit l’entrepreneuse, qui va exploiter cette manne pour multiplier les fonctionnalités de son application et poursuivre dans ses démarches commerciales. Il faut dire que la solution digitale portée par la start-up marseillaise a de quoi séduire, replacée dans un contexte ardu pour les DRH de tous poils, mis à mal par des vagues de dispositifs et de réformes successifs depuis presque cinq ans. L’année 2018 en offre un exemple flagrant avec la nouvelle loi de finances, le bulletin de paie simplifié ou clarifié, effectif depuis ce mois de janvier, et le prélèvement à la source qui se profile déjà à l’horizon… Bref, autant de bouleversements rendant la tâche des professionnels des ressources humaines particulièrement difficile. Avec des conséquences insoupçonnées : «A l’échelle nationale, 40 % des affaires de Prud’hommes traitent d’un sujet lié à la paie et chaque mois, un bulletin de salaire sur trois est faux», martèle Sabine Ferrero. Rien que ça. C’est donc pour permettre aux DRH de dormir sur leurs deux oreilles que l’ancienne responsable administrative et comptable a eu l’idée de Payrfect. Concrètement, la vocation de cette application est de traquer l’erreur sur les fiches de paie. Pour ce faire, il suffit de prendre en photo ledit bulletin avec son smartphone. Puis la solution digitale, qui mixe intelligence artificielle (il s’agit notamment de textes de loi intégrés de façon logarithmique) et reconnaissance de caractères, fait le reste.
Un premier trimestre d’activité encourageant
Lancée en version bêta depuis janvier et donc gratuite pour l’instant, Payrfect se prévaut déjà d’un premier bilan positif. «Disponible sur l’appstore, l’application a déjà fait l’objet de 1 000 téléchargements en près de deux mois. C’est encourageant puisque IOS, ce n’est qu’un tiers des parts de marché des systèmes d’exploitation mobile.» Version IOS qui a permis de valider le fonctionnement de la technologie et de réaliser la preuve de concept, ou POC. Le meilleur est donc à venir, sachant que sa petite sœur Android (65,5 % de PDM) sortira avant l’été… «Par ailleurs, 300 bulletins ont déjà été testés. Et lors de ce premier trimestre d’activité, une centaine de salariés a déjà créé son espace cloud.» Les téléchargements ont été réalisés par les salariés d’une cinquantaine de structures, une grande part étant issue de la fonction publique. «C’est une surprise pour moi, mais je m’aperçois qu’il y a un vrai besoin. Je vais donc sans doute développer mon activité et me positionner également sur les administrations.» Car, Sabine Ferrero vise aussi le marché du BtoB et commence à engranger les partenariats. «Je viens d’en conclure un avec Hura Portage, société basée à Saint-Ouen. La convention collective relative au portage salarial ne date que de 2017, il est donc intéressant pour moi de la modéliser, cela va permettre de rassurer les consultants, d’autant qu’il y en a beaucoup sur Paris.» Autre offensive, celle en direction de La Fabrique juridique, plateforme bordelaise jouant le rôle d’avocat 2.0 et proposant la rédaction d’actes liés au droit social. «Elle propose plus précisément des modèles de documents formalisés que les entreprises peuvent utiliser pour leurs salariés. Ils pourraient me sous-traiter la vérification de bulletins de paie sur des affaires plus litigieuses… Une profession qui n’existe pas, puisque personne ne fait encore aujourd’hui du contrôle de fiche de salaire. Alors que, a contrario, dans le domaine comptable, il y a le pendant en la personne du commissaire au compte. Nous inventons donc un nouveau métier», appuie Sabine Ferrero. L’entrepreneuse offre donc aussi des prestations de consulting. «J’accompagne les entreprises à faire le virage du numérique et à adopter le SIRH (Système d’information de gestion des ressources humaines) le plus adapté. Puisque je commence à en connaître quelques-uns… J’aide aussi les gestionnaires de paie juniors à se mettre dans le bain.»
Quid des leviers de croissance ?
Un modèle économique biface donc, et ce n’est pas terminé. «Dans le back-office, sera déployée avant l’été la même technologie, dédiée celle-ci aux entreprises. Elles pourront vérifier ce qui a trait au paiement des charges patronales.» Une plateforme qui devrait donc être lancée juste avant que ne soit effectif le prélèvement à la source. Le timing ne doit bien sûr rien au hasard, «tout comme celui de la version BtoC. Ce n’est pas innocent si nous avons choisi janvier 2018 pour le lancement de la solution dédiée aux salariés, puisque c’était le mois de la mise en application du bulletin simplifié.» Sabine Ferrero pose ainsi les jalons de son business model, ne reste plus qu’un élément à mettre en œuvre, et pas des moindres : la monétisation de sa solution. «Nous sommes en cours d’étude pour ce qui est du passage au payant, ce pourrait être aux alentours de septembre 2018.» D’ici là, il faudra donc engranger les téléchargements et multiplier les utilisateurs… mais aussi faire en sorte qu’ils demeurent captifs quand Payfect ne sera plus gratuit. On peut toutefois rester optimiste: le marché est conséquent, puisque le monde du travail français, c’est 27,3 millions de salariés à fin 2015 selon l’Insee. Et quelque 4 millions d’entreprises… un chiffre en progression, la création d’activité ayant atteint l’année dernière son plus haut niveau depuis 2010 : 591 000 entreprises ont vu le jour en France, toujours selon l’Insee, soit 7 % de plus qu’en 2016. Et puis, la fondatrice, qui a intégré dernièrement un premier actionnaire en la personne de Denis Liotta, via sa structure Netangels, n’a pas dit son dernier mot en matière de leviers de croissance. A plus long terme, elle envisagerait notamment l’export. Il faudrait pour cela modéliser les textes de loi relatifs à la réglementation du travail de chaque pays… Un beau challenge. Mais encore, un sacré champ des possibles à cultiver.
Carole PAYRAU