Cinéma – « La fête des mères » de Marie-Castille Mention-Schaar : tranches de vie de mères courage
Publié le 8 mai 2018 à 20h25 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h47
« Ah vous dirais-je maman ce qui cause mon tourment »
Contrairement à l’idée reçue largement répandue, ce n’est pas le Maréchal Pétain qui a créé la fête des mères. Si le tristement célèbre promoteur du slogan «Travail, famille, patrie», s’est simplement contenté de la remettre à l’ordre du jour, l’origine de cette fête est multiple. On peut en attribuer néanmoins la paternité à l’Américaine Anna Jarvis. Née le née le 1er mai 1864 à Webster et décédée le 24 novembre 1948 à West Chester (Pennsylvanie), cette femme intègre se battit ensuite avec éclats ensuite contre l’aspect mercantile de cette fête. Tout cela le film de Marie-Castille Mention-Schaar l’évoque de façon très pédagogique, par l’intermédiaire du personnage de Nathalie (joué par Olivia Côte), professeur d’Université racontant son destin hors du commun à des étudiants visiblement surpris et fascinés et qui, curieusement est le seul personnage du film à ne pas vouloir d’enfants. Structurant son propre récit autour de l’image en filigrane de cette Américaine soucieuse du sort de ses semblables, la réalisatrice aixoise signe un film choral de toute beauté. Un film émouvant à l’extrême, tendre et enlevé, jamais pompeux, posant plus de question qu’il n’apporte de réponses, ce qui est d’ailleurs la marque de fabrique du travail artistique de Marie-Castille Mention-Schaar, dont chaque œuvre nouvelle force l’adhésion, intéressant toutes les générations confondues. Jeunes et plus âgées, exerçant les professions de comédienne, journaliste, Présidente de la République, boulangère, nounou pédiatre, ou sans emploi, ces femems d’aujourd’hui, surgissent sous nos yeux en état de crise, d’urgence, parfois plus sereinement, en action en tout cas, les unes possessives, maladroites, débordées, les autres fragiles aimantes, indulgentes, perdant leurs moyens ou la tête, mais toutes vivantes, bien vivantes, échangeant avec leurs enfants.
De ce dialogue entre mères et filles, entre fils et mères la réalisatrice tire des moments intenses, poignants, comme celui où Stan s’inquiète de l’état de santé de sa mère Ariane, comédienne qui vient d’avoir un trou de mémoire. Instant d’autant plus sublime qu’Ariane incarnée par la non moins sublime Nicole Garcia présente aux côtés de la réalisatrice lors de l’avant-première du film au cinéma Le Cézanne d’Aix, trouve en Vincent Dedienne dans le rôle de son fils un interlocuteur haut de gamme. Pour son premier film l’humoriste réussit une prestation magistrale, comme l’offrirait un acteur aguerri. C’est une des qualités du travail de la réalisatrice que de savoir diriger ses actrices et ses acteurs, plus d’une vingtaine, sans en perdre un seul en chemin, et sans qu’aucun d’entre eux se trouve plus en dessous.
Comme un film de Sautet
On songe, dans sa façon de les faire se déplacer, dans la fluidité du récit, la virtuosité du montage (il y eut 34 versions différentes), la volonté de créer du relief entre les personnages, de filmer les enfants sans niaiserie, au Claude Sautet de «Vincent, François, Paul et les autres» et de «César et Rosalie», celui là même qui posait un regard empathique sur les enthousiasmes et les désordres amoureux. Jamais Marie-Castille Mention-Schaar ne juge ses personnages, pour preuve la scène où Nathalie (puissante Olivia Côte qui a redit aux spectateurs du Cézanne sa joie de faire partie de cette aventure cinématographique), pète littéralement les plombs au restaurant sous le regard gêné de ses amis, mais trouvant pardon et réconfort auprès de son compagnon dont l’esprit de résilience l’aide tout simplement à ne pas sombrer. Point de vue assez rare pour le signaler on ne trouve ici aucun machiste au verbe haut, aucun héros aux gros bras et aux idées courtes, tous les hommes du film se démènent bec et ongles pour la sérénité de l’être aimé. Touchant Gustave Kervern (présent lui aussi à Aix), l’est de bout en bout dans le rôle de l’époux de la Présidente de la République (cheffe d’État dont la langue maternelle n’est pas le Français), qui serre son bébé contre lui pendant que sa femme qui revendique sa maternité passée règle les affaires de la France. Ce «Portrait de groupe avec dames» qui voit des actrices telles que Clotilde Courau, Audrey Fleurot, Carmen Maura, Marie-Christine Barrault, (bouleversante en mère atteinte de la maladie d’Alzheimer), Noémie Merlant, Pascale Arbillot, Jeanne Rosa, Lolita Chammah, ou Nicole Ferroni (drôle dans sa fonction d’alimenter l’Élysée en baguettes de pain), posséder un regard lumineux, se différencie des films de Sautet par le choix de la réalisatrice d’écrire un scénario s’appuyant sur une forte et unique thématique. Marie-Castille Mention-Schaar aborde tous les sujets sociétaux liés à la famille, (homoparentalité, procréation assistée, congés accordés aux pères comme aux mère), avec une délicatesse de ton digne des grands moralistes du passé, et ses cadrages soulignent l’intériorité de ses personnages.
Omniprésence de la musique
Et puis, il y a la musique omniprésente, jamais lourde, utilisée non comme un instrument de paraphrase mais comme le langage de l’élévation de l’esprit vers les rêves intérieurs des uns et des autres. On entend le « Ah, vous dirais-je maman » de Mozart, permettant aux mères et à leurs enfants d’exprimer ce qui cause leurs tourments. Mais, profitant de la présence de Vincent Dedienne au générique on serait tenté puisqu’il connaît toutes les chansons de cette artiste d’exception, de lui suggérer de chanter à l’ensemble de l’équipe le «Maman elle est pas si bien que ça», où Anne Sylvestre montre combien la mère décrite ici ne veut ni cierges, ni statues, mais revendique tendresse et amour. Ce qui est visible à la fin du film lors d’un long générique mettant en scène chaque membre de l’équipe du film embrassant sa propre maman. Loin des cris et chuchotements chers à Bergman et Almodovar, et ce en dépit des crises décrites entre mères et enfants, ce long métrage ne dissèque aucune violence, et s’attarde sur ce qui unit les gens plutôt que sur ce qui les divise. C’est beau, ample, optimiste, surprenant, drôle et poignant, filmé avec une humilité n’excluant pas une virtuosité technique évidente. Et Marie-Castille Mention-Schaar en nous racontant des tranches de vie de ces mères courage que Brecht aurait adorées d’apparaître comme la grande sœur des cœurs souffrants qui partage et qui console.
Jean-Rémi BARLAND
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