Publié le 10 mai 2018 à 11h35 - Dernière mise à jour le 29 novembre 2022 à 12h30
Donald Trump n’aura pas attendu le 12 mai pour officialiser sa position sur l’accord conclu par son prédécesseur sur le programme nucléaire iranien. Son rejet soulève de nombreuses inquiétudes car, du fait du contexte syrien, cela pourrait déboucher sur un conflit ouvert entre la République islamique chiite et Israël, risquant d’entraîner les grandes puissances. Cependant, pour comprendre les enjeux réels, on ne peut faire l’impasse sur le dossier nucléaire Nord-Coréen qui semble avoir trouvé une issue inattendue.
Le plan d’action global conjoint, le plus mauvais des plus mauvais accords?
Le groupe des P5+1 -la Chine, la France, la Russie, le Royaume Unis, les USA et l’Allemagne- ont signé le 14 juillet 2015 un accord supposé limiter les ambitions nucléaires militaires de Téhéran. Pour ses partisans, Obama en tête, il s’agissait du moins mauvais accord possible. L’essentiel était d’instaurer une confiance mutuelle et avec la levée des sanctions d’entraîner le régime des Mollahs dans un cercle vertueux de développement économique plutôt que dans une « course à l’armement », limitant ainsi ses visées hégémoniques. Ses détracteurs lui reprochent d’être inefficace car ne permettant pas aux experts de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA) d’inspecter les sites militaires les plus sensibles et qu’à son terme, le 18 octobre 2025, rien n’empêchera l’Iran de se doter de l’arme atomique. Il faut rajouter à cela, la poursuite d’un inquiétant programme de missiles balistiques à longue portée qui serait d’autant plus menaçant que le programme nucléaire militaire ne se serait jamais vraiment arrêté. Trois ans après, l’accord de 2015 n’a pas vu se réaliser les conséquences attendues par ses concepteurs, bien au contraire. Grâce à la levée des sanctions, Téhéran a accru son implication dans le conflit syrien, mais également en Irak, au Liban ou au Yémen, directement, ou via ses supplétifs tels que le Hezbollah ou d’autres milices chiites comme les Houthis.
Iran-Israël un conflit direct à peine voilé
Dans ce contexte très instable, Israël a fait connaître ses lignes rouges pour protéger ses frontières et sa population: aucune présence durable des Gardiens de la Révolution (Pasdarans) ou toute autre force iranienne en Syrie, ni transfert d’armes perfectionnées au Hezbollah libanais. Et depuis le mois de février, ce qui oppose l’Iran à l’État Hébreu ressemble de plus en plus à une guerre ouverte. En effet, en envoyant un drone armé en territoire israélien, le régime des Mollahs a déclenché une série de représailles d’un niveau inégalé en Syrie, que même les systèmes de défense avancés russes n’ont pu endiguer, mais également à Téhéran et dont on commence seulement à mesurer les impacts.
Qu’apprend-on sur le nucléaire iranien de l’opération du Mossad à Téhéran?
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, vient de dévoiler une opération sans précédent du Mossad (équivalent de la DGSE française) et des services de renseignement de Tsahal (armée de défense d’Israël), en Iran. Une demi-tonne de documents relatifs au programme nucléaire, le secret le mieux gardé, a été subtilisée sans que les Pasdarans, l’armée d’élite du régime, ne s’en aperçoive. Pour l’ancien Secrétaire d’État de Barak Obama, John Kerry, ces documents n’apportaient rien de nouveau et leur contenu était la justification même de l’accord. Avis que ne partagent pas les alliés occidentaux, Américains, Français, Britanniques ou Allemands après avoir pris connaissance en Israël de données non encore rendues publiques. Ce qui a déjà été analysé démontre amplement la duplicité des Mollahs perses. La transparence présidait à la signature de l’accord or, le niveau d’avancement du programme nucléaire militaire semble dépasser très largement ce qui a été reconnu en 2015. Mais l’essentiel n’est pas là. Tout d’abord, cette action audacieuse est un message clair adressé au pouvoir perse: la République islamique est vulnérable, aussi bien sur les théâtres d’opérations extérieures qu’en Iran même. Ensuite, cela décrédibilise considérablement le régime auprès d’une population manquant de tout, n’ayant jamais pu bénéficier de la levée des sanctions, et dont la voix ne s’est pas tue, même après la sanglante répression des émeutes de décembre et janvier dernier. Au sommet du pouvoir, déjà, les premiers règlements de compte pointent à l’horizon pour trouver des responsables à ce fiasco monumental qui pourrait bien paver la chute du régime. « And last but not least », cette opération semblerait agir comme un coup de pied dans la fourmilière. Par crainte d’attaques israéliennes, les Pasdarans seraient en train de déplacer différentes composantes de leur programme nucléaire militaire secret. Dans cette perspective, l’on peut être certain que bon nombre de satellites espions occidentaux, mais pas que, sont en train de scruter avec précision chaque centimètre carré du territoire iranien pour mesurer l’étendue de la dissimulation, comme au centre d’enrichissement d’uranium de Fordo qui était supposé être inactif.
Existe-t-il un réel danger après la sortie de l’accord?
Sa faiblesse et sa duplicité ayant été exposées au public, sans chars d’assaut, sans aviation ni de marine dignes de ce nom, l’Iran, malgré sa rhétorique guerrière, ne dispose pas de beaucoup d’atouts pour répondre à la sortie des USA de l’accord sur le nucléaire ou aux attaques israéliennes. Les problèmes ne s’arrêtant pas là, le régime des Mollahs fait désormais l’unanimité ou presque contre lui dans le monde arabe. Le Maroc, accusant Téhéran d’ingérence dans le Sahara Occidental, vient de rompre ses relations diplomatiques, soutenu en cela par l’Arabie Saoudite qui de son côté ne prend plus aucune précaution pour cacher son rapprochement avec l’État Hébreu. Et plus généralement, les États arabes sunnites modérés, inquiets des visées hégémoniques de leur voisin iranien, se félicitent de la décision américaine. Mais pire encore, le compagnonnage ancien avec la Corée du Nord, en particulier dans le domaine nucléaire et des missiles balistiques, peut désormais se conjuguer au passé. En effet, l’imprévisibilité et les menaces de guerre de « l’homme le plus puissant de la planète » semblent avoir payé. D’une part, les Chinois, jugeant la menace de Donald Trump crédible, seraient intervenus pour calmer les ardeurs de Pyongyang. Et d’autre part, les Nord-Coréens auraient rencontré de très sérieux revers dans leur course effrénée vers la bombe. Conséquence, les deux Corée sont en passe de se réconcilier définitivement.
Si l’on transpose cela au Moyen-Orient, l’Iran ne peut gagner la « course à l’armement ». Dans le passé récent, c’est cette même pression exercée par les États-Unis qui a fait chuter, un adversaire bien plus redoutable, l’Union Soviétique. La Russie actuelle peut-elle ou voudra-t-elle voler au secours d’un régime au bord du gouffre? Rien n’est moins sûr. Poutine, à la tête d’une économie fragile, pour préserver ses acquis, préférera certainement un accord à un conflit généralisé. Il faudra encore plusieurs mois avant que le discours du locataire de la Maison Blanche ne se traduise par une reprise effective de toutes les sanctions. Une période qui sera certainement mise à profit pour imposer de sérieux amendements au plan d’action conjoint que le Président Hassan Rohani dit pour l’heure ne pas vouloir quitter, malgré la décision américaine, afin que l’Iran ne puisse jamais se doter de la bombe atomique. Et malgré les déclarations des chancelleries occidentales, Donald Trump n’est pas seul, car il existe une convergence d’intérêts bien compris entre les USA, Israël, l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite et les européens, la France en tête, pour changer la donne.
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