Publié le 24 mai 2018 à 13h30 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h48
«La démocratie dans tous ses états», était la thématique choisie pour la première manifestation publique de «Nouveau Cap», le think tank incubé par le Medef Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui vient de se tenir à Sciences Po Aix-en-Provence. Une première couronnée de succès tant le débat était dense et a su éviter l’écueil de la langue de bois en mesurant la gravité de la situation. Car, comme devait le dire en introduction Rostane Mehdi, le directeur de Sciences Po Aix, qui coorganise la manifestation: «La liberté est parfois une menace, l’égalité trop souvent normative, alors la fraternité doit reprendre la place qui lui est due dans notre société empoisonnée par le venin de l’égoïsme». Tandis que Xavier Bertrand, Président de la région Hauts-de-France avancera : «L’élu doit rester à porter d’engueulades des électeurs, ce qui veut dire qu’il doit aussi accepter de changer d’idée». Un propos que partagera Renaud Muselier : «Notre force c’est la proximité que nous avons su instaurer avec les habitants de nos régions. Donner du sens à notre action c’est respecter nos engagements». Et, Ouided Bouchamaoui, Prix Nobel de la Paix 2015, insistera sur l’exemple tunisien et l’enjeu que représente aujourd’hui la réussite économique pour son pays, sa démocratie. Une rencontre dont Olivier Dussopt, Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, dira toute l’importance: «Il faut une démocratie par la preuve et la tenue des engagements».
La première table ronde a porté sur «Économie: réel vecteur de démocratie?» et a réuni Ouided Bouchamaoui, Clara Gaymard, cofondatrice de Raise, présidente du Women’s forum, Jean-Luc Monteil, président du Medef Provence-Alpes-Côte d’Azur et Cécile Untermaier, députée Nouvelle Gauche de Saône-et-Loire. La seconde table ronde s’est interrogée sur «Montée des populismes: péril mortel pour la démocratie?» avec Xavier Bertrand, Yves Leterme, Secrétaire général d’Idea International, ancien Premier ministre de Belgique, Enrico Letta, doyen de l’École des affaires internationales de Sciences Po Paris, Renaud Muselier, Dominique Reynié, professeur des universités à Sciences Po Paris et Pierre Vimont, ambassadeur de France. La conclusion revenant à Olivier Dussopt.
«On ne peut pas être riche dans un pays où la majorité de la population est pauvre et souffre»
Ouided Bouchamaoui, entrepreneuse, élue en 2011 à la tête de l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat explique: «Impliqué pour le pays et la paix, le patronat s’est assis côte à côte avec le syndicat salarié. C’était un message fort qui a permis de réussir le dialogue politique». La Tunisie est aujourd’hui une démocratie «mais elle reste fragile». «Pour la renforcer, poursuit-elle, il nous faut relever le défi économique. Avant nous avions une région côtière développée et un intérieur des terres à l’abandon. Aujourd’hui tous les Tunisiens doivent bénéficier de l’éducation, de la santé. Les mondes économique et politique doivent travailler ensemble pour développer la stabilité fiscale, économique et sociale. Le patronat doit être plus présent, contribuer à assurer l’équilibre entre les régions». Ouided Bouchamaoui considère «On ne peut pas être riche dans un pays où la majorité de la population est pauvre et souffre». Pour Clara Gaymard la démocratie n’est en rien garantie, menacée qu’elle est par les inégalités. Elle dénonce: «Notre société est trop allée vers un capitalisme accumulateur. Des grands fonds de pension, généralement américains, décident de l’avenir de nos entreprises. Cela crée une vraie colère. Et il y a des entreprises qui auraient un rôle à jouer mais subissent ce capitalisme accumulateur».
«Aujourd’hui nos outils d’évaluation de l’économie sont totalement faux»
Au-delà des critiques, Clara Gaymard construit d’autres pratiques avec Raise dans lesquelles les équipes donnent 50% de leur intéressement pour financer un Fonds de dotation philanthropique qui accompagne des start-up en phase de post-amorçage. Elle déplore: «Aujourd’hui nos outils d’évaluation de l’économie sont totalement faux. Lorsque je soigne en amont et que j’évite d’être malade cela entraîne une baisse du PIB. En revanche lorsqu’une usine explose et qu’il faut la reconstruire, alors là le PIB augmente». Elle dénonce enfin «une politique archaïque» qui utilise encore «des outils du XVIIIe siècle au XXIe siècle, à l’heure des réseaux sociaux». «Il faut, selon elle, que le politique soit participatif». Clara Gaymard formule enfin un rêve: «Que l’on repense l’hôpital à partir des patients car ce sont eux les experts. Il en va de même avec la démocratie, il faut partir des citoyens en mesurant que chacun à quelque chose à apporter au monde; en appuyant non plus sur ses défaillances mais ses expertises».
«La démocratie doit en permanence s’adapter, c’est un modèle fragile que nous devons interroger de manière constante»
Cécile Untermaier avance: «La démocratie doit en permanence s’adapter, c’est un modèle fragile que nous devons interroger de manière constante». Elle évoque les enjeux planétaires tel que le réchauffement climatique: «Nous devons aux générations futures de trouver des solutions». En vient à l’intelligence artificielle: «Une véritable opportunité dont nous devons nous saisir tout en restant lucide, c’est la démocratie qui donne le tempo au numérique et non l’inverse». Elle ne manque pas de signaler: «Les réseaux sociaux peuvent être le meilleur comme le pire en favorisant la manipulation des masses». Ouided Bouchamaoui souligne l’importance des réseaux sociaux dans la révolution tunisienne et, dévoile-t-elle: «Aujourd’hui, sur 11 millions de tunisiens, 6 millions ont accès à Internet sans contrôle de l’État».
«De façon consciente ou non, on a laissé une partie de la population dans la pénombre dès l’école»
Jean-Luc Monteil revient sur les raisons qui ont poussé le Medef Paca à créer ce think tank: «Nous sommes dans une impasse démocratique. Un Français sur deux s’est déplacé lors des législatives et, lorsqu’il se déplace, on voit le score qu’il accorde aux populismes». Et d’avancer: «Si nous en sommes là, c’est notamment parce que, de façon consciente ou non, on a laissé une partie de la population dans la pénombre dès l’école. On n’a pas porté une vision de la démocratie. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à cette fracture profonde entre gouvernants et gouvernés». Et de proposer, pour résoudre cette fracture, de mettre en place le vote numérique et de s’appuyer sur l’expérience suisse avec, entre autres, le référendum d’initiative populaire.
«Le populisme a le vent en poupe et peut disloquer l’Union européenne»
C’est Dominique Reynié qui ouvre la seconde table-ronde, pour lui: «Le populisme se caractérise par la disponibilité à profiter d’une perturbation. C’est un phénomène de crise et il y participe aussi comme facteur d’accélération. Et la présentation qui est faite de la société est outrageusement simplifiée: il y a le peuple qui souffre trahi par les élites ou victime d’une menace venue de l’extérieur». Un populisme qui a « le vent en poupe et peut disloquer l’Union européenne». Considère que le problème réside notamment dans le fait que «les puissances publiques ont de plus en plus de mal à répondre aux attentes de la population».
«Si Trump est là c’est parce qu’en face on a présenté un mauvais candidat au mauvais moment»
Pour Enrico Letta, la montée des populismes ne représente pas un péril mortel pour la démocratie. Considère que l’on fait du populisme un bouc-émissaire «alors qu’il s’agit de la faute des classes dirigeantes.» «Je n’aime pas Trump, insiste-t-il, il est le chef de tous les populistes du monde mais s’il est là c’est parce qu’en face on a présenté un mauvais candidat au mauvais moment croyant jouer Bush 3 contre Clinton 2.» Idem pour le Brexit, poursuit-il: «Nous en sommes là parce qu’un Premier ministre a voulu faire un référendum non à la fin d’un process mais pour régler des problèmes au sein de sa majorité.» «Et les résultats des premiers tours de la présidentielle en France et des législatives en Italie ne sont pas très différents, sauf qu’en France il y a un second tour, pas en Italie», souligne-t-il. Il note également l’importance d’Internet «qui permet à tous d’être protagoniste. Mais, ne risque-t-on pas de confondre vote et like».
«Le populisme est une réponse face à un libéralisme qui n’est plus démocratique»
Yves Leterme considère : «Le populisme est une réponse face à un libéralisme qui n’est plus démocratique, qui provoque un sentiment d’exclusion. L’extrême-droite, le base sur le racisme, le populisme de gauche sur le fait que la politique serait menée au service des riches». Pour lui: «Il faut être conscient que les inégalités s’amplifient toutefois ce n’est pas le cas en France et en Belgique. Les politiques mises en place pour faire face à la crise boursière ont accentué le libéralisme qui a accru les inégalités. Il faut les réduire, travailler sur un meilleur équilibre entre droits et devoirs et d’autre part favoriser l’émancipation des peuples en développant l’éducation. Ensuite se pose la question des flux migratoires. Dans le Sud, ils sont beaucoup plus important que dans le Nord, créent des ressentiments auxquels il faut apporter des réponses plus claires, plus structurées. Enfin, l’uberisation de la démocratie a eu lieu, les outils du XIXe ou du XXe siècle ne peuvent plus fonctionner. Il faut trouver de nouvelles réponses, développer l’horizontalité sachant que tout ne sera pas réglé par la votation citoyenne».
«La question des inégalités est fondamentale, elle nourrit le populisme»
Xavier Bertrand juge, en matière de populisme: «La réponse doit se faire au niveau des dirigeants car nous sommes tous responsables de la situation sachant que le populisme n’est qu’un symptôme. Pour moi, sa montée est liée à une angoisse sociale concernant l’emploi, les fins de mois, l’avenir des enfants et une angoisse sociétale qui touche à l’insécurité, la montée de l’islamisme radical, les chocs migratoires. Les gens se sentent seuls face à ces problèmes et ils se demandent à quoi cela sert d’aller voter. Soit ils se tournent vers l’abstention soit vers le populisme et si les couches moyennes basculent dans l’abstention ou les extrêmes alors nos sociétés basculeront». Et d’affirmer: «La question des inégalités est fondamentale, elle nourrit le populisme. Nous sommes confrontés à des fractures sociale, territoriale, numérique. Le boulot du politique est d’apporter des réponses, de dessiner un cap». Il revient sur le Brexit: «C’est vrai que Cameron a joué un coup de poker mais est-ce que le système anglais n’a pas renforcé l’idée qu’il existait des citoyens de seconde zone? Et des politiques qui se sont protégées en disant que tous les problèmes étaient le fait de l’Europe?». «Il faut se réveiller, apporter des solutions, préconise-t-il. L’intelligence artificielle arrive, elle va détruire des emplois, en créer d’autres. Il faut s’y préparer sinon demain nous enverrons des bataillons de citoyens vers le populisme». Et de prévenir : «Il ne faut pas ignorer que les landers qui ont voté l’extrême droite en Allemagne ne sont pas les plus touchés par les flux migratoires comme les États qui ont voté Trump ne sont pas les plus touchés par le chômage. Il y a le réel et la perception du réel».
«Seulement un tiers des États à l’ONU sont des démocraties»
Renaud Muselier rappelle que de tout temps les humains se sont organisés pour prendre le pouvoir et le garder. Si, en Grèce, naît la démocratie elle est loin d’être le système dominant sur la planète. «Seulement un tiers des États à l’ONU sont des démocraties et, en Europe même, continent héritier de la démocratie, cette dernière est en danger», alerte-il. Pourtant, note-t-il «Nous réglons, malgré nos différences, des problèmes au sein de l’Union Européenne et nous sommes une puissance qui gène». Puis d’en venir à la rupture des politiques avec la population: «J’ai pu mesurer l’ampleur du fossé lorsque j’ai été élu Président de région, ma fille m’a félicité avant de me dire qu’elle ne savait pas à quoi servait la région. J’ai décidé avec ma majorité d’en finir avec la politique du tiroir-caisse -car qui fait tout, ne fait rien-, de nous recentrer sur nos compétences et de tenir nos engagements».
Pierre Vilmont fait des rappels douloureux: «Nous avons voulu imposer notre modèle démocratique après la décolonisation mais c’était un modèle lié au colonisateur. Et il faut rappeler que la construction européenne n’était pas un projet démocratique. Il a été conçu par des technocrates qui jugeaient qu’il ne fallait pas en parler aux populations. Il y a un déficit démocratique et tout le monde a joué ce jeu. Les technocrates avaient inventé un modèle incompréhensible pour le commun des mortels et des politiques qui justifiaient les problèmes en disant que c’était la faute à l’Europe. Puis, il y a l’échec de l’élargissement de l’Union européenne. On a intégré des pays qui n’ont pas le même projet et nous faisons un grand écart». Dans ce contexte il propose de débattre avec ceux qui ont envie de participer à l’Europe. D’ajouter: «On dit qu’il n’y a pas de plan B en dehors de l’Europe mais le problème c’est qu’il n’y a pas de plan A. Nous sommes confrontés à des élites européennes qui ne savent pas où aller. Et, de la même façon qu’il y a eu aux États-Unis des effets avant-coureur de la victoire de Trump, on assiste en Europe au vote populiste, on ne l’a pas vu venir et on a pas su y répondre».
«Un système plus horizontal, plus transparent, plus conforme aux volontés de la population»
Olivier Dussopt déclare en conclusion partager le point de vue de Xavier Bertrand sur la crise sociale et sociétale. Met l’accent sur l’incapacité à se sentir représentée d’une partie de la population. Il s’interroge: «On voit naître des mouvements, des manifestations visant à remettre en cause des décisions publiques qui bénéficient pourtant de la légitimité nécessaire pour qu’elles puissent être mises en œuvre». Il rappelle qu’un projet de loi vient d’être déposé visant à instaurer «un système plus horizontal, plus transparent, plus conforme aux volontés de la population».
Michel CAIRE