Publié le 8 juin 2018 à 12h22 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Le Grand Port maritime de Marseille (GPMM) a signé le 31 mai dernier un accord avec son homologue de Shanghai. Un premier pas pour positionner la cité phocéenne sur les nouvelles routes de la soie, tracées dans le cadre de Belt and Road Initiative, dispositif impulsé par le gouvernement de Xin Jinping.
Le port de Marseille Fos serait-il un maillon stratégique de l’initiative Ceinture et route (Belt and road initiative) lancée par le président chinois Xi Jinping ? Tout porte à le croire, au vu de l’accord signé le 31 mai dernier entre le GPMM et celui de Shanghai. Pour mémoire, l’Empire du milieu s’est investi depuis 2013 dans ce vaste programme, destiné à redessiner le paysage géopolitique mondial, à rouvrir et aménager des routes commerciales qui, pour certaines, empruntent les anciennes « routes de la Soie ». Marquant ainsi d’une pierre blanche sa volonté d’une mondialisation sans frontières, la Chine compte ainsi se connecter à près de 65 pays avec une vocation géoéconomique, non seulement par voies terrestres… mais aussi maritimes. C’est donc ici que la cité phocéenne intervient. Mais les liens entre la France et la Chine ne datent pas d’hier, rappelle le jour de la signature le président du conseil de surveillance du GPMM Jean-Marc Forneri. Citant quelques exemples de partenariats, comme autant d’illustrations de la participation chinoise à l’économie du territoire : «Wiko Mobile, le rachat en 2012 des moteurs Baudouin par le groupe Weichai, l’installation du MIF68, de Quechen, sans oublier le Joint Venture liant Inéos et PetroChina… Tout cela illustre les vertus de la coopération entre la France et la Chine». Plus largement, l’ancien premier ministre de Jacques Chirac et représentant spécial du gouvernement pour la Chine, Jean-Pierre Raffarin reviendra sur le rôle crucial que l’Empire du milieu a joué pour garder une monnaie européenne forte : «Qui sur la planète défend l’euro ? Qui se refuse à la guerre commerciale ? Qui a acheté notre dette en 2008 ?» Celle qui ne veut pas du seul bras de fer dollar/yuan. «Or, la vision de la France, c’est un monde multilatéral, qui cherche l’accord des puissants, des alliés à l’extérieur de l’Europe pour défendre l’Europe».
De l’intérêt du GPMM pour Belt and Road Initiative
Ainsi, ce nouveau partenariat entre les deux ports n’est pas un vain accord. Marseille, selon Zhai Jun, l’ambassadeur de Chine en France, dispose de nombreux atouts pour entrer dans la dynamique de l’initiative Ceinture et Route : «La cité phocéenne est au carrefour des civilisations asiatiques, africaines et européennes, connue depuis toujours pour son ouverture, son multiculturalisme et sa tolérance». Ce n’est pas qu’une vue de l’esprit : Martine Vassal rappellera ainsi que «plus de 37 communautés différentes vivent ici les unes à côté des autres» et que par conséquent, «les différences culturelles avec le peuple chinois ne font pas peur». Caroline Pozmentier, élue régionale à l’international, appuiera elle aussi sur la capacité d’ouverture sur le monde de Provence Alpes Côte d’Azur : «Avec Renaud Muselier, nous avons reçu plus de 500 personnes dans le cadre de la « Méditerranée du futur », signe de notre engagement vers une intégration économique des façades de la Méditerranée. Nous réalisons également beaucoup de missions à l’export, en constituant des délégations spécifiques, sectorielles, comme avec les pôles de compétitivité Optitec ou Capenergies». Mais, outre la question interculturelle, la présidente et l’ambassadeur évoquent chacun à leur tour la position idéale du port de Marseille pour ces nouvelles routes de la soie. «Ce port a beaucoup d’avantages, avec sa façade complète et la façon dont il est managé. Le GPMM se trouve en pole position, il bénéficie de la chance d’avoir une réserve foncière impressionnante. Et puis, il y a non seulement le port, mais deux aéroports, deux gares TGV et les possibilités multimodales offertes par le fluvial, puisque le département travaille avec la Compagnie Nationale du Rhône au développement de quais d’accueil », reprend Martine Vassal. Multimodalité à même de réduire les émissions de gaz à effets de serre… tout comme «les efforts d’un GPMM pour l’environnement, positionnés sur des sujets comme l’électrification des ports à quai», note encore Caroline Pozmentier, assurant à l’ambassadeur que la cité «dispose de tous les outils pour accueillir la Chine ». Jean-Marc Forneri renchérit sur l’Hinterland du GPMM, les industries implantées à la périphérie de ses activités portuaires, l’écosystème logistique attenant. Autant d’atouts qu’«il va falloir valoriser dans les négociations. Vous disposez d’un site de production et de transformation des marchandises, il est important de le dire dans vos discussions avec les partenaires étrangers, qui ne le savent pas forcément », conseille Pauline Carmona, Directrice adjointe d’Asie Océanie au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Et puis, la cité phocéenne a la possibilité d’abattre une dernière carte, sa capacité de hub numérique, avec ses «17 câbles qui arrivent ici du monde entier, l’équivalent de Singapour ou de Miami», relève encore Martine Vassal ou Jean-Marc Forneri. Voilà qui ne peut que séduire l’Empire du milieu, souhaitant aussi s’affranchir, via Belt and Road Initiative, du monopole occidental sur les câbles optiques sous-marins. Puisque les Chinois souhaitent court-circuiter les réseaux américains et créer un grand marché informatique transcontinental avec des fleurons tels que Huawei et China Mobile.
Multilatéralisme et éco-responsabilité
Les enthousiasmes convergent donc côté français et chinois, reste à faire vivre ce partenariat, et si possible de façon à ce que les deux parties prenantes y trouvent leur intérêt. Jean-Pierre Raffarin le rappelle: «Il n’est pas simple de faire de la coopération. Il faut s’apprivoiser les uns les autres, s’entendre sur ces trois points d’accroche : la vision du monde, le multilatéralisme et la prise en compte des accords de Paris» ce, pour garantir une meilleure protection de la planète… Même son de cloche chez Pauline Carmona : «L’Etat est favorable à cette initiative, il cultive une volonté de coopération avec les pays tiers. Emmanuel Macron a salué l’initiative des nouvelles routes de la soie, la France est prête à s’y associer sous divers conditions : que ces routes soient à double sens pour une concurrence équitable, que ce soit des routes de l’intelligence, pour permettre l’éclosion de talents. Qu’il s’agisse de routes vertes, dans le respect des accords de Paris. Il faudra par ailleurs que Belt and Road Initiative s’inscrive dans le cadre international existant en termes de gouvernance, de mise en œuvre des projets et de transparence des marchés». Enfin, Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président du cluster maritime français évoque lui aussi ce souci de réciprocité : «Nous proposons donc de créer un conseil des entreprises France/Chine, dans lequel se retrouveraient des start-up, des grands groupes, des PME. Avec l’objectif d’aider les entreprises à se développer ici et là-bas ». Mais l’ambassadeur Zhai Jun se veut rassurant : «Avec l’initiative Ceinture et route, la Chine souhaite contribuer à la croissance des pays riverains, participer aux débats actuels sur la gouvernance mondiale. Les nouvelles routes de la soie doivent se faire dans la co-construction. Tous les États qui participent à cette initiative sont égaux, leur dignité et leur liberté seront respectées. La Chine n’imposera pas son mode de développement aux autres pays, ce qui ne génèrerait que des conflits. L’ouverture doit se faire dans les deux sens, permettre une interconnexion des flux financiers et commerciaux, générer des investissements croisés. Pour ce faire, le gouvernement de Xin Jinping envisage de mettre en place une série de mesures tournées vers l’environnement, une baisse des droits de douane, une amélioration des conditions d’investissement, un renforcement de la propriété intellectuelle. Certaines de ces mesures sont déjà réalité».
Ne pas rater le coche
Il ne tient donc qu’à la France et à Marseille de ne pas manquer le rendez-vous de la Chine, alors même qu’elle jouit «d’une position centrale, au cœur de deux dialectiques, l’Eurasie et l’Eurafrique. Dans le passé, nous avons eu la possibilité d’être acteurs, mais nous avons réagi trop tard. Aujourd’hui, il nous faut être des protagonistes moteurs de Belt and Road Initiative, nous assurer que nos projets soient compatibles avec ceux des autres pays », met en garde Jean-Pierre Raffarin. L’inverse serait d’autant plus dommageable que l’heure est historique, selon Frédéric Moncany de Saint-Aignan : «On est en train de vivre quelque chose qui ressemble au canal de Panama, il s’agit d’une vraie mutation ! » Les chiffres eux-mêmes témoignent de l’intérêt de ce programme titanesque : en 2017, les importations et exportations totales de la Chine avec les pays liés à Belt and Road Initiative ont atteint les 1 100 milliards de dollars, un chiffre en augmentation de 14,8% d’une année sur l’autre. Par ailleurs, les investissements directs cumulés de la Chine dans les pays concernés ont dépassé les «60 milliards de dollars américains. L’initiative Ceinture et route, c’est aussi 200 000 emplois créés, 7500 trains et circuits entre les villes européennes et chinoises», dénombre Zhai Jun. Mais pour transformer l’essai, encore faudra-t-il nourrir cette coopération, conclut Jean-Pierre Raffarin, se piquant de deux derniers conseils aux signataires marseillais : «La cohérence est cruciale. Je vous invite ainsi à fournir un travail afin d’alimenter l’accord au-delà de l’alliance entre les deux ports. On a besoin de projets forts qui incluent d’autres acteurs, le hub numérique, les entreprises… Dernière nécessité, tenir informées des avancées du travail les plus hautes autorités, puisque les discussions relatives à l’initiative chinoise se portent au top niveau».
Carole PAYRAU