Publié le 19 septembre 2018 à 8h35 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 18h56
Jack Bouhours, médecin, exerce depuis plus de 40 ans. De cette expérience, ses rencontres, ses cœurs mis à nus, sa propre vie, est né « Paroles de cœur muet ». Quand d’autres se racontent, parfois avec génie, lui ne s’ignore pas mais n’en omet pas de conter tous les âges, les situations. Dans ce recueil la poésie, telle cette cage qui nous apprend l’oiseau chère à Nougaro, offre au praticien la liberté des mots à apposer sur les maux, sur la vie qui passe, l’enfant qui grandit, quitte la maison «pour avancer», de l’adulte qui revient, de l’âge qui vient, la maladie, le viol qui suspend le temps, fait basculer la vie. Une vie qui peut se faire si cruelle. Mais point de larmoiement, de misérabilisme. L’amour est là. Ignore l’âge, l’état des artères puisque: «Tu m’aimes au définitif/ Je t’aime à l’impératif» Et, disons-le, le verbe ne se cache pas derrière le petit doigt pour dire l’existence. Une ballade douce-amère qui ne manque pas de faire penser à Anne Sylvestre, celle-là même qui «aime les gens qui passent/Moitié dans leurs godasses/Et moitié à côté ».
Un Jack Bouhours qui prévient: «Avec le temps, je ne me sens pas du tout peinard». Comment pourrait-il en aller autrement, il lance et la thématique de ses poésies se trouve là: «J’ai trois chefs en moi/ Qui veulent imposer leur loi/ Ma tête, mon cœur et mes couilles». Trois chefs auxquels il sait résister, dire non; tout comme il ne s’adonne pas au jeu de l’ego. Et d’évoquer Marseille la cosmopolite, «Ville de toutes religions/ ville de toutes confessions», occasion pour lui de se rappeler de ses études, du bar qu’il fréquentait, étudiant, de célébrer les Africaines, dénoncer le racisme, de lancer: «De là-bas/ Pour nous la France c’était la liberté». Ainsi, il nous dit l’enfance, les souffrances de l’enfant « otage » qui voit les parents s’affronter lors d’un divorce, celui qui prend son envol et quitte le foyer parental, le rêve des parents d’un monde «où le présent se vit en liberté/où le futur rime avec fraternité». Il se fait cri pour évoquer des cœurs muets: «D’une enfance volée/ A une enfance violée/Il y a une seule lettre/ Il y a une pourriture d’être». Il n’occulte pas le tourisme sexuel, met en lumière:« Ces petites filles/Ces petits garçons/Contraints à la pénombre»
Jack Bouhours donne sa voix à l’une de ses patientes, qui se qualifie de Cosette et l’écriture reste grave. Avec elle, il évoque les empreintes du temps, la salle d’attente. Dédie un texte «aux accidentés mécaniques, aux victimes de la maladie, de la génétique, à tous les accidentés de la vie». Il poursuit en rendant hommage à des femmes pour qui : «Un jour, sans avertissement/ Sans aucun ménagement/ Le mal a été radiographié/ Sans s’être déclaré». De s’exprimer ensuite pour ceux qui «De la vie ont perdu ils ont perdu les mots». Alors le médecin sait les limites de son art, il sait où conduit le voyage de la vie, alors il formule une supplique: «A l’heure du seul vrai face à face/ Respectez ma dignité/ Laissez moi ma dignité». Les textes s’enchaînent, la maladie, la mort rode… Mais le miracle de la vie demeure, le hasard, une rencontre, elle a «l’automne» de sa jeunesse, lui au «printemps» de sa vieillesse. Arrive les dernières pages et la raison de ce cœur mis à nu, Éliane, cœur muet comme le fut, durant cinquante ans, celui de Jack Bouhours. C’est fort, parfois âpre, comme du blues, c’est tourbeux avec une note de miel comme du whisky, ce sont des mots pour le dire… Un testament.
Patricia MAILLE-CAIRE
« Paroles de Cœur Muet » de Jack Bouhours aux éditions Persée – 260 pages – 20,80€
A lire du même auteur -La pandémie de grippe aviaire (Chiron-2008) -Être avant de naître (Guy Trédaniel-2003) -La migraine vaincue (Chiron-1993) -L’Aromathérapie (Jacques Grancher-1990) -La santé de votre enfant par les plantes (Les presses de la Renaissance -1980) |