Publié le 7 janvier 2023 à 9h20 - Dernière mise à jour le 12 janvier 2023 à 13h14
C’est un troubadour, un poète, un écrivain, un manieur de mots, de notes et de rêves. Atypique et essentiel, Gildas Thomas c’est la drôlerie, la gravité, l’élégance et l’exigence artistique. Il est également le bouleversant auteur du récit «Le dilemne».
Gildas Thomas, manieur de mots, de notes et de rêves
«Le dilemne» relate la fin de vie d’un être aimé. Dans les circonstances particulières de l’épidémie mondiale qui fait rage depuis plus d’un an maintenant, ce texte brûlant fait écho à ce que des dizaines de milliers de personnes ont vécu depuis le printemps 2020 et plus particulièrement lors des pics épidémiques. Une histoire tragique et banale à la fois, et si elle est malheureusement devenue banale, c’est à cause de la multitude de cas semblables. Mais Gildas Thomas a eu besoin d’écrire cette confession, intime et qui est dans le même temps, universelle. «De se soulager de l’improbable comme de témoigner de sa souffrance», nous précise-t-on car, son père est mort. «Il n’est pas décédé d’une crise cardiaque comme la médecine semblait le lui prédire, ni d’un accident de voiture, comme sa conduite pouvait le laisser pronostiquer…, lance-t-on non sans émotion. Non, sa mort est relative à la Covid-19. Et du coup cette expression de soi a valeur de document pour l’Histoire.» Du côté des albums citons «Je m’endors pas », «Cinq minutes», «Parce que un singe s’est mis debout» et « La mousson et le crachin», qui donne son titre au spectacle qui sera donné à Venelles.
Rencontre avec un artiste qui ne chante pas pour passer le temps, et qui refuse les chapelles, et les raccourcis idéologiques.
Destimed: Que représente la MJC de Venelles pour vous, salle où l’on vous entendra chanter le 14 janvier prochain ?
Gildas Thomas: Déjà la renommée du lieu, puisqu’il s’agit de la seule salle estampillée spécifiquement chanson dans toute la région PACA, voire Grand Sud. C’est donc un plaisir et un honneur d’y être programmé. Je me souviens y être venu en 2008 et j’en garde un excellent souvenir. Tant au niveau de l’accueil, des conditions techniques, du public.
De quoi sera composé votre nouveau tour de chant et comment l’avez-vous pensé, construit ? Et pourquoi ce titre de spectacle et d’album «La mousson et le crachin» ?
Ce concert s’appuiera essentiellement sur le dernier album «La mousson et le crachin». Mais il y aura des chansons de mes trois albums précédents aussi. Je me suis aperçu que mes chansons, finalement, ne parlaient toutes que de la même chose quelque part. Très souvent, sans que cela soit explicitement nommé, je parle du choix. Vie choisie, vie contrainte. Et c’est autour de cette thématique que le concert reposera. Avec pas mal de légèreté. Parce que je reste convaincu que le sens ne peut passer qu’avec de la légèreté en fait.
«La mousson et le crachin» est une des chansons de l’album. Elle parle de la dérive des réseaux sociaux qui nous éloignent quelque part d’une vraie rigueur et une réelle connaissance scientifique. En un mot, tout le monde peut raconter n’importe quoi et faire des vues à partir de discours infondés . Et on en arrive à confondre la mousson et le crachin… Pourquoi avoir nommé ainsi l’album ? Ah ah… Pour des raisons bassement pratiques et «mercantiles». En effet, il fut un temps, et je ne sais pas si c’est toujours le cas -mais je n’ai pas voulu prendre de risque- où la Sacem ne rétribuait les auteurs compositeurs qu’à partir du nom des albums pour les passages radio. D’où l’intérêt de donner un nom de chanson à son album, car cette chanson-là prendra les droits. Si l’album porte un autre nom ou est éponyme, les choses se compliquent… Et j’ai donc pris le nom, sur les conseils de Stéphanie Blanc, la réalisatrice qui sera aussi à la guitare le 14, le plus poétique de toutes les chansons de l’album. C’est aussi « bête » que ça…
Présentez-nous donc ce dernier album «La mousson et le crachin»
Un album que j’ai voulu très orchestré, très musical. Avec des cuivres, des cordes. Très très peu de sons électro et aucune boucle. Je reste convaincu que les instruments «nobles», fabriqués à partir de matériaux acoustiques bruts comme le bois ou le cuivre resteront à jamais intemporels. J’aime beaucoup l’electro. Vraiment. Mais je suis persuadé qu’il s’agit d’une musique par définition à obsolescence programmée. Et je n’ai pas très envie de consacrer autant d’énergie pour de l’obsolescence programmée…
Comment décrirez-vous l’univers de vos chansons où l’on est toujours de fait sur le rebord des choses ?
Merci beaucoup pour le « rebord des choses ». J’aime beaucoup l’image. J’en ai parlé un peu plus haut. La question du choix dans nos vies est redondante. Mais jamais vraiment explicite. J’aime dire des choses, tout en laissant une certaine place à l’interprétation de l’auditeur. Selon sa capacité à entendre, s’approprier la chanson à un moment donné de sa vie. Je ne rentre jamais dans le lard, comme on dit. Je préfère suggérer.
Il y a trois expressions très entendues que je ne comprends pas bien dans le monde de la chanson: c’est «chanson à texte» , «chanteur engagé » et « variété ». Toute chanson est par définition… à texte. Et la perception d’un texte est forcément subjective et culturelle. Tata Yoyo, comme tant d’autres, est une chanson à texte. «Chanteur engagé» me paraît assez incongru. Des reporters, des médecins, des syndicalistes, des religieux, des politiques, des auteurs de théâtre, des philosophes me semblent pouvoir être engagés. Leur engagement passe par des actions concrètes. Mais des chanteurs ??? Par définition, la chanson est pour moi un art de la futilité. Ce qui ne veut pas dire qu’il est vide de sens ou ridicule. Mais sa force vient de sa … futilité justement. Comment peut-on être engagé avec de la futilité ? Cela relève pour moi d’un certain oxymore… «Variété» a une connotation trop négative et élitiste pour moi. Un jugement de valeur à propos de quelque chose qui devrait être considéré objectivement. Je préfère parler de chanson artisanale et de chanson industrielle. Et comme dans la restauration, il y a de la qualité et du caca dans les deux. Ce qui m’intéresse, c’est le mode de production. Le résultat, cela relève des goûts et de la sensibilité…
Vous êtes également l’auteur de romans. L’écriture « longue » a-t-elle influencé celle de vos chansons ou est-ce deux mondes différents ?
Rien à voir. Même si les idées se notent à la base sur le même petit carnet, je ne vois aucun lien entre ces deux modes d’écriture. La chanson est imposée par la métrique musicale, et les sonorités. L’écriture littéraire, a priori plus libre, est en fait plus complexe, puisque … sans contrainte de base ! De Vinci avait raison : «La liberté naÏt de la contrainte».
Construisez-vous vos chansons en pensant qu’elles seront jouées sur scène ?
Oui, pour moi c’est une évidence. Même si les orchestrations peuvent être ultra différentes, il n’empêche : une bonne chanson est à la base une chanson qui tient la route avec une seule guitare ou un piano en petit comité. Les chansons de Mickael Jackson, Madonna, Prince, detromae, ou d’Orelsan répondent à cette règle…
Qu’est-ce que chanter aujourd’hui en ces temps de crise ?
Euh… La crise, Quelle crise ???? ou de quelles crises parlons nous ??? J’entends ce mot depuis plus de 45 ans…
Propos recueillis par Jean-Rémi BARLAND
Gildas Thomas à La MJC de Venelles-Allain Leprest le 14 janvier à 20h30.