« J’ai retrouvé ce Journal dans deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le-Château. Je n’ai aucun souvenir de l’avoir écrit (…) Ce qui est sûr, évident, c’est que ce texte-là, il ne me semble pas pensable de l’avoir écrit pendant l’attente de Robert L. « La douleur » est une des choses les plus importantes de ma vie. » En quelques mots Marguerite Duras présente courant 1985 ce texte exceptionnel de densité.
«La douleur» de Marguerite Duras qui fit l’objet d’une adaptation cinématographique réalisée par Emmanuel Finkiel, avec Mélanie Thierry, Benoît Magimel et Benjamin Biolay. Et qui offrit à Patrice Chéreau l’occasion de mettre en scène au théâtre Dominique Blanc de la Comédie-Française comme ce fut le cas sur un «Phèdre» de Racine désormais culte. «La douleur» donc du tandem artistique Chéreau-Blanc. A l’occasion d’une lecture, puis dans une forme plus élaborée mais jamais sophistiquée. Assise à table accueillant les spectateurs de dos puis s’adressant à eux sur le ton de la confidence, la comédienne déploie une riche palette émotionnelle pour donner à entendre l’indicible : la fièvre de l’attente insupportable de l’être aimé, Robert Antelme rebaptisé Robert L. dans le texte déporté dans un camp de concentration en 1944, puis la sidération que provoque son retour après la libération. Prennent ainsi corps les mots terriblement humains de l’autrice qui écrit des phrases emplies de compassion et qui surtout nous transpercent le cœur par leur puissance visuelle. On a froid, faim, soif, aux mêmes instants que Duras, prolongeant le trouble né du texte. Se ressouvenir de la Résistance, de la Libération, des camps et d’une période troublée plus que de raison fut une des ambitions affichées par Patrice Chéreau. «Transmettre tout cela, humblement, à des spectateurs », précisait-il au moment où il montait la pièce en 2008.
Mise en scène reprise par Thierry Thieû Niang
Et c’est Thierry Thieû Niang qui a repris la mise en scène de Chéreau décédé en 2013 et dont la dernière production fut une inoubliable Elektra, l’opéra de Strauss créé au Festival d’Aix en 2013. Respect absolu de son travail et présence toujours aussi magique, magnétique même de Dominique Blanc qui s’impose et impose Duras pour de qu’elle fut : une écrivaine subtile et irremplaçable. Dans un Théâtre des Bernardines archicomble étranglé d’émotion, la comédienne ambassadrice solaire d’une peintre des sentiments humains a fait passer des frissons d’un bout à l’autre de la pièce. Les mots, les maux et les gestes de Duras comme on ne les a jamais vus, pour un moment théâtral à couper le souffle.
Jean-Rémi BARLAND
Le texte « La douleur» de Marguerite Duras est disponible chez P.O.L. et en Folio/Gallimard.