Publié le 2 mars 2023 à 19h24 - Dernière mise à jour le 8 juin 2023 à 14h42
Le président de la République, Emmanuel Macron, avant le déplacement qu’il a entrepris en Afrique a insisté sur l’importance de nouvelles relations entre l’Afrique, la France et, plus largement l’Europe. Considérant: «Nous héritons de beaucoup de difficultés historiques».
Avant de se rendre en Afrique pour son 18e voyage en tant que président de la République, Emmanuel Macron a tenu une conférence de presse. Il a affiché l’objectif «d’avoir une politique plus simple, plus lisible, en faisant mieux travailler l’ensemble des administrations de l’État, de ces partenaires, mais avoir aussi une politique qui associe pleinement les entrepreneuses et entrepreneurs, les innovateurs, les sportifs, les artistes, les scientifiques, dans cette politique qui a vocation à ne pas être simplement de gouvernement à gouvernement, mais qui doit pleinement assumer de traiter avec la société civile des différents pays d’Afrique». Il inscrit son propos dans la lignée de son discours tenu voilà un peu moins de six ans, en novembre 2017, dans un amphithéâtre de l’université Joseph Ki-Zerbo à Ouagadougou. «J’avais débuté mon discours en citant les mots de Thomas Sankara et en annonçant qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France. Ces mots sont toujours d’actualité. Mais ils ne sont certainement plus suffisants face aux bouleversements et aux transformations profondes que nous avons vécus ces dernières années».
«Faire preuve d’une profonde humilité»
Le Président évoque ses nombreux voyages en Afrique pour avancer: «Je n’en retirerai aucune considération générale, car une réalité unique africaine n’existe que dans bon nombre de schémas simplificateurs. J’en retirerai une seule exigence, celle de faire preuve d’une profonde humilité face à ce qui se joue sur le continent africain». A savoir: «une somme de défis vertigineux. Défis sécuritaire, climatique, aux défis démographiques avec la jeunesse qui arrive et à laquelle il faut offrir, proposer, un avenir pour chacun des États africains. Consolider des États et des administrations, investir massivement dans l’éducation, la santé, l’emploi, la formation, la transition énergétique». Emanuel Macron n’ignore pas que cela arrive alors que le continent est confronté davantage que d’autres «à la pression du changement climatique et de ses effets, à l’offensive du terrorisme, aux chocs économiques, sanitaires et géopolitiques. Je crois pouvoir dire qu’aucune région au monde n’a été soumise à cette obligation de résultat en l’espace d’une à deux générations comme le continent africain l’est aujourd’hui». Et il revient une nouvelle fois, sur l’importance de la société civile avant d’inviter à ne pas se «projeter dans des prédictions apocalyptiques ou dans des paniques anxiogènes».
«Nous avons un destin lié avec le continent africain»
Emmanuel Macron rappelle: «Nous avons un destin lié avec le continent africain. Si nous savons saisir cette chance, nous avons l’opportunité de nous arrimer au continent qui, progressivement, sera aussi l’un des marchés économiques les plus jeunes et dynamiques du monde et qui sera l’un des grands foyers de la croissance mondiale dans les décennies qui viennent». Pour le président de la République «le moment est venu de faire un choix et de savoir quel rapport nous voulons entretenir avec les pays africains». Dans ce cadre il refuse pour sa part la voie de la compétition: «C’est le piège qui consisterait à répondre à l’injonction de puissance ou à l’appel de démonstrations de force. Regardez, certains arrivent avec leur armée ou leurs mercenaires ici et là. Plongez-y, vous Français, c’est là que vous êtes attendus, c’est le rôle qui est le vôtre». Une grille de lecture ancienne qu’il rejette: «Grille mesurant notre influence au nombre de nos opérations militaires ; ou nous satisfaire de liens privilégiés et exclusifs avec des dirigeants ou considérer que des marchés économiques nous reviennent de droit parce que nous étions là avant ; ou jouer des coudes pour nous placer seul au centre du jeu. Ce temps-là a vécu».
La situation au Mali
Il en vient à la situation au Mali, rappelle les victoires aux côtés des militaires maliens et des armées africaines, remportées contre les groupes terroristes. Rend hommage à la mémoire «de nos soldats, de nos blessés, comme de ceux qui sont tombés là-bas». Pour Emmanuel Macron : «Cela a été et restera une immense fierté partagée avec les Alliés qui nous ont rejoints». Mais, signale-t-il : «Ce n’était pas le rôle de nos soldats. Ce n’était pas le rôle de la France d’apporter seule des réponses politiques qui devaient prendre le relai de la réponse militaire. Nous avons pourtant, malgré nous, assumé une responsabilité exorbitante. Cela nous vaut aujourd’hui d’être l’objet par amalgame du rejet qui frappe une classe politique malienne qui a échoué à redresser son pays et c’est ce piège qui pourrait, si nous n’y prenons pas garde se reproduire ailleurs».
«Ne pas réduire l’Afrique à un terrain de compétition ou de rente»
Il évoque alors une autre voie «qui consiste à ne pas réduire l’Afrique à un terrain de compétition ou de rente et à considérer les pays africains comme des partenaires avec qui nous avons des intérêts et des responsabilités partagées. Et, au fond, de bâtir une nouvelle relation, équilibrée, réciproque et responsable». Rappelle l’agenda fixé à Ouagadougou en 2017. «Nous avons tenu nos engagements en regardant notre passé en face, au Rwanda, en Algérie, au Cameroun, avec une commission franco-camerounaise qui va débuter ses travaux. Nous les avons obtenus en réformant le franc CFA, en nous retirant de la gouvernance de la zone UMOA et en faisant la démonstration que cette monnaie est bien une monnaie africaine qui pourra, si les gouvernements de la CEDEAO le souhaitent, préfigurer une monnaie unique qui prendra un autre nom. Nous y sommes prêts».
Soutenir l’entrepreneuriat africain avec plus de 3 milliards d’euros
Emmanuel Macron cite également les actions entreprises en matière de recherche scientifique, de sport, de culture. Mais également, des années durant : «Nous avons soutenu l’entrepreneuriat africain en y consacrant plus de 3 milliards d’euros entre 2019 et 2022 au travers de l’initiative « Choose Africa ».» Il annonce l’amplification de cet effort «en ciblant davantage les entrepreneurs français et africains qui sont confrontés au risque et qui n’arrivent pas à accéder au crédit ou au capital de quelques centaines de milliers d’euros qui débloqueraient leur situation». Indique que ‘Choose Africa 2’, sera dédié à cet effort «et qui, en particulier en matière de culture, de sport, d’agriculture et de digital, reprenant tout ce que nous avons fait avec « Digital Africa » ces dernières années, démultipliera les opportunités.»
«Nous ne sommes aujourd’hui qu’au milieu du gué»
Si Emmanuel Macron juge qu’il y a des avancées, il note : «Nous ne sommes aujourd’hui qu’au milieu du gué». Pour lui, c’est la fin d’une époque marquée par la centralité de la question sécuritaire et militaire et la prééminence du sécuritaire. Le deuxième grand changement étant de passer d’une logique d’aide à une logique d’investissement solidaire et partenariale. «Lors du sommet que nous allons organiser le 23 juin à Paris, nous allons consolider ce passage de la logique d’aide à celle d’investissement solidaire. Sur le nouveau partenariat Sud-Nord précisément parce que c’est avec l’Afrique, mais aussi avec l’Inde, la Barbade, que nous pourrons inventer un nouveau pacte pour dessiner une nouvelle architecture financière internationale permettant de lutter contre les inégalités, de financer la transition climatique». Il considère que: «l’Afrique est un continent où nous devons bâtir des relations respectueuses, équilibrées, responsables pour lutter ensemble sur des causes communes telles que le climat. Et c’est pour moi les termes mêmes de ce partenariat renouvelé que nous souhaitons, qui est l’inverse des logiques de prédation, qu’elles soient militaires et sécuritaires ou qu’elles soient financières, poussées aujourd’hui par d’autres pays».
Bâtir un nouveau modèle de partenariat militaire
Le président de la République estime qu’il faut d’abord bâtir un nouveau modèle de partenariat militaire. «La logique, c’est que notre modèle ne doit plus être celui de bases militaires telles qu’elles existent aujourd’hui. Demain, notre présence s’inscrira au sein de bases, d’écoles, d’académies qui seront cogérées, fonctionnant avec des effectifs français qui demeureront, mais à des niveaux moindres et des effectifs africains qui pourront aussi accueillir, si nos partenaires africains le souhaitent et à leurs conditions, d’autres partenaires». Il annonce ainsi que cette transformation débutera dans les prochains mois sur le principe même de la co-construction «avec une diminution visible de nos effectifs et, de manière concomitante, une montée en puissance de la présence dans ces bases de nos partenaires africains. Elle suppose que nos partenaires africains formulent très clairement leur besoin militaire et sécuritaire, qu’ensuite nous accroissions notre offre de formation, d’accompagnement, d’équipement au meilleur niveau».
Pays francophones: un fonds de 40 millions d’euros mis à disposition des ambassades
Emmanuel Macron annonce d’autre part: «Dès cette année, un premier fonds de 40 millions d’euros sera mis à disposition de nos ambassades dans les pays d’Afrique francophone pour faire la démonstration que nous pouvons faire cette transformation. Et c’est la mission que je donne à nos ambassadrices et ambassadeurs : démontrer que notre partenariat est concret et piloter une communication offensive, au fond, décomplexée mais sans arrogance». Il ajoute: «On ne va pas faire le bien commun. On a des défis communs».
«Notre intérêt, c’est d’abord la démocratie»
Dans le même temps Emmanuel Macron lance: «Notre intérêt, c’est d’abord la démocratie. La France est un pays qui soutient, en Afrique comme ailleurs, la
démocratie et la liberté. Un pays qui parle à tout le monde, y compris aux opposants politiques. Un pays qui préfère les institutions solides aux hommes providentiels. Un pays qui considère que les putschs militaires ne seront jamais des alternances démocratiques. Et, comme le rappellent nombre d’intellectuels africains, la démocratie a également une genèse africaine. Aussi, notre rôle n’est pas d’imposer nos valeurs ou de les proclamer, mais de contribuer à ce que des réseaux d’intellectuels et d’acteurs civiques la fassent vivre en s’inspirant des pratiques démocratiques de leur société». Ce sera le rôle de la « Fondation sur l’innovation et la démocratie » qui a été créée en fin d’année dernière à Johannesburg et qui ambitionne de rayonner sur tout le continent.
«Économie: Nous sommes dans une position qui ne va pas dans la bonne direction»
Concernant l’économie le président de la République avoue: Nous sommes dans une position qui ne va pas dans la bonne direction. Et c’est pour bonne partie de notre faute parce que nous avons trop souvent eu une logique de rente dans notre rapport au continent africain». Il invite à un réveil du monde économique français pour se dire «on doit aller s’y battre ». Et de souhaiter qu’une nouvelle génération d’entrepreneurs français, africains, franco-africains «se projettent dans de nouvelles coopérations et dans une nouvelle philosophie qui doit être celle de la co-industrialisation. C’est le sens même du programme Pass Africa». Il juge: «Notre intérêt, c’est aussi de jouer collectif avec nos alliés européens et de positionner l’Europe comme le partenaire de référence sur les grands sujets de défense et de sécurité».
«Assumons la part d’africanité de la France»
Il rappelle le rôle des diasporas. «Nous réussirons ce nouveau partenariat si nous assumons la part d’africanité de la France. Le rôle et la place de nos diasporas. Et si nous assumons le fait que la France n’a plus de pré carré en Afrique, elle a des devoirs, des intérêts, des amitiés qu’elle veut bâtir, poursuivre, renforcer pour mener des politiques solides». D’en venir à l’importance de réussir en juin prochain le sommet pour le nouveau partenariat entre le Sud et le Nord, «pour arriver à conjurer ce grand récit qui est en train de s’installer, celui d’un double standard qui existerait entre l’Ukraine et le reste du monde, dont l’Afrique. Celui, au fond, d’une division, comme je le disais, entre l’Occident et le Grand Sud. Si on laisse s’installer ce récit ou en quelque sorte si on le documente, pour un pays comme le nôtre, ce sera terrible. Parce que, comme je le disais au début de mon propos, nous avons des destins liés par ce que nous sommes, par ce qu’est le peuple français, par ce qu’est notre géographie et notre avenir».
Michel CAIRE