Publié le 11 mars 2023 à 7h30 - Dernière mise à jour le 1 août 2023 à 23h31
Maryse Joissains est née à Toulon dans une famille populaire, catholique et communiste. Elle arrête ses études à l’âge de 16 ans avant de passer l’équivalence du Bac en cours du soir puis de devenir avocate. Membre de l’UDF, de l’UMP puis de LR, députée des Bouches-du-Rhône de 2002 à 2012, maire d’Aix-en-Provence et présidente de la communauté d’agglomération du Pays d’Aix puis, du territoire du Pays d’Aix. Elle démissionne de son mandat de maire en 2021… Dans un ouvrage en cours de rédaction elle revient sur son histoire. Entretien.
Destimed : Vous écrivez actuellement un livre. Sur quoi porte-t-il ?
Maryse Joissains : C’est l’histoire de ma vie. Après mon AVC et mon cancer j’ai eu envie de l’écrire mais, pour cela, il fallait que recouvre ma vue, perdue avec l’AVC. C’est le cas depuis le mois d’octobre. Je peux écrire, revenir sur mon histoire, mon enfance toulonnaise, mes parents communistes et catholiques, mes colères. Ma colère après ma condamnation pour trafic d’influence et détournement de fonds publics, alors qu’il n’y a eu ni enrichissement personnel, ni préjudice pour la commune et que la Chambre régionale des Comptes a donné quitus, en 2019, pour mes 15 années de gestion. Mais, aujourd’hui mes premières colères vont à l’encontre de nos dirigeants. Nous allons vers une troisième guerre mondiale avec le conflit entre la Russie et l’Ukraine et personne n’a la stature pour stopper ce glissement morbide vers la mort. Bien sûr que Poutine est un malade sanguinaire mais un conflit planétaire n’aidera personne. Il nous manque un Chirac pour dire stop, pour imposer la paix à Poutine. L’Europe n’est plus l’Europe, l’Allemagne joue sa carte personnelle, les Pays Baltes collent aux États-Unis, l’Otan gagne sur tous les terrains, au détriment de l’Europe. Je suis inquiète. Et puis, il y a un problème, combien tout cela coûte aux contribuables français? D’autant que cela arrive après le quoi qu’il en coûte. Dès que j’irais mieux je demanderais une enquête pour savoir où est allé l’argent.
Que pensez-vous de la retraite à 64 ans ?
C’est peu dire que je n’ai pas été d’accord sur tout ce qu’a fait Mitterrand mais, concernant la retraite à 60 ans je pense qu’il a eu raison. A 60 ans on peut avoir envie de faire autre chose, et si on veut encore travailler, très bien, mais cela doit être un choix. Il faut une réforme mais pas celle-là qui n’est jamais qu’une réforme à la petite semaine. Il faut relancer l’ascenseur social dont j’ai bénéficié. Il faut réindustrialiser le pays pour permettre à tous, quel que soit son niveau de formation, de trouver un emploi. Et puis, il faut une vraie politique familiale et une vraie politique des seniors. Et, pour financer les retraites, il faut notamment taxer les super profits.
Vous évoquez vos colères, vos condamnations mais vous n’en parlez pas ?
Je vais y venir. Mais avant d’évoquer mon cas personnel je souhaite poursuivre sur des enjeux globaux au rang desquels la métropole Aix-Marseille-Provence. Je dois dire que je regrette presque Jean-Claude Gaudin. Il voulait faire porter les dettes de Marseille sur la métropole. Ce n’était pas acceptable et ça ne l’est pas évidemment, mais il avait du talent. J’ai tellement crié après Sarkozy que le pôle métropolitain a vu le jour et que les territoires commençaient à fonctionner. J’expliquerais comment et j’expliquerais aussi mes désaccords avec Martine Vassal. J’ai contribué à la faire élire à la métropole, sur des engagements pris. Je reviendrai dans ce cadre sur les problèmes des communes qui, faute d’impôts et de compensations sont dépendantes des subventions du département des Bouches-du-Rhône, dont Martine Vassal est également la présidente. Les effets pervers de la loi 3D…
Et donc, concernant votre condamnation?
On m’a condamnée à trois ans d’inéligibilité parce que Omar Achouri, qui était catégorie B depuis plus de 5 ans et avait plus de 35 ans d’ancienneté dans la collectivité, a bénéficié d’une promotion, recommandée par l’administration et non contestée par les syndicats, au poste d’attaché territorial et parce que Sylvie Roche, ancienne responsable de la Société protectrice des animaux, a été recrutée en qualité de collaboratrice de cabinet chargée de la protection animale sur les 36 communes du Pays d’Aix. Cette décision de justice a provoqué un AVC puis, dix mois plus tard un cancer. Mais on ne m’a pas tuée. Je reviens à la vie et ma colère n’est pas apaisée. Je demande une réforme de la justice, un magistrat ne devrait pas pouvoir quitter sa fonction pour rejoindre un cabinet ministériel puis retrouver sa fonction. Il ne faut pas qu’un magistrat qui a fait de la politique, et peu importe que ce soit à Droite ou à Gauche, retrouve la magistrature. Sur dénonciation anonyme je suis mise en examen en 2014, condamnée à un an de prison avec sursis et 10 ans d’inéligibilité en première instance. Je fais appel, je suis condamnée à six mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité, une peine moins lourde qu’en première instance. Je me pourvois en cassation, la Cour de cassation reconnaît qu’il n’y a pas d’emplois fictifs, pas d’enrichissement personnel, qu’une loi qui ne m’était pas applicable a été utilisée contre moi.
En quoi cette loi n’était pas applicable à votre dossier?
L’article de loi utilisé dans mon dossier date en effet de 2017, quatre ans après les faits incriminés. Or, on ne saurait condamner quelqu’un sur la base d’un article de loi qui n’existait pas au moment des faits. Mais je suis renvoyée devant la même cour d’appel de Montpellier qui me condamne donc à huit mois de prison avec sursis, trois ans d’inéligibilité et suspension des droits civiques. Pourtant, entre temps, j’avais changé d’avocats, la première défense était remarquable mais accès sur le droit administratif et il apparaissait que ce n’est pas cela qui était en jeu. Et c’est un adversaire politique, Michel Pezet, qui m’a remarquablement défendue avec Mario-Pierre Stasi mais cela n’a pas suffi. Les magistrats ont, à mon sens, fait une application subjective et idéologique de la loi. Je vais tout expliquer dans mon livre, donner les noms, les dates. Je suis prête à me confronter avec les juges qui m’ont condamnée, j’accepterai toutes les contradictions. Mais, au nom de mon père, je ne peux pas me taire. Toujours est-il, je suis fière de mon bilan à la tête d’Aix-en-Provence. J’ai traité tous les dossiers nécessaires pour le développement de cette ville, pour sa population et cela sans faire de dettes et sans augmenter les impôts.
S’il est vrai que les magistrats se sont attaqués à vous, qu’est-ce qui a motivé un tel acharnement?
Ce qui est sûr, c’est que j’avais les Aixois avec moi. Malgré toutes ces affaires ils m’avaient élue pour un quatrième mandat. Après, il est vrai que je n’ai jamais su tenir ma langue. J’ai engueulé des gens que j’aimais bien comme Chirac et Sarkozy, alors ceux que je n’aime pas… Politiquement je me suis battue contre la métropole et ce n’est pas fini. J’ai dit haut et fort que François Hollande n’avait pas la stature pour être président de la République. Cela ne m’a pas fait que des amis. En tant qu’avocate je me suis battue dans l’affaire du sang contaminé et de l’amiante. Mais je ne regrette rien, j’ai des valeurs qui m’ont été inculquées par mes parents.
Pouvez-vous nous parler de votre enfance, vos parents?
Je suis née à Toulon en 1942 dans une famille communiste et catholique. Mon père était un ancien champion de boxe. Communiste, il était le garde du corps de Maurice Thorez quand il venait dans le Sud de la France. Je me souviens des manifestations où nous allions, les femmes et les enfants étaient présents, les jeunes filles vêtues en bleu, blanc rouge. Et puis il y avait les élections, la tenue des bureaux de vote, j’adorais, j’avais le droit de manger des sandwichs. Mes parents y croyaient, mon père est resté communiste jusqu’à sa mort. Ma mère était l’orateur de la famille, c’est elle qui m’a conditionnée. J’ai grandi dans un système qui m’a appris à respecter les différences avec des parents aimants, ouverts.
Nous n’avions pas d’argent mais je ne manquais jamais de rien et, le soir, quand il ne restait qu’un peu de pain, papa disait à maman: «Prends-le, j’ai mangé avant de venir…». J’ai continué l’école jusqu’à mes 16 ans et, l’été, je chantais dans les fêtes de quartier du Luis Mariano, du Dario Moreno pour gagner de l’argent. Il faut dire que je n’avais pas d’argent de poche mais, chaque fois que je voulais aller au cinéma ma mère avait la somme nécessaire. Mes parents se sacrifiaient au-delà du raisonnable pour moi. Communistes, ils n’étaient pas contre les riches, ils étaient pour les pauvres, pour les ouvriers. Et j’allais en colonie de vacances et au patronage avec les prêtres. Cette éducation fait que, sans être pratiquante, je suis chrétienne. Et je ne cache pas avoir pleuré lorsque j’ai appris la mort de Staline. Ce n’est qu’après que l’on a eu connaissance de ses crimes. Certains disent que je suis populiste, c’est faux, je suis de la droite républicaine, je suis radicale (Parti Radical Valoisien), et, de par ma vie, je suis proche des gens.
Et les études?
J’ai eu une scolarité catastrophique. J’étais première en compo, le reste ne m’intéressait pas et les notes allaient avec… En 3e je passe le BEPC que je loupe et je suis virée du lycée. Ma mère m’inscrit immédiatement à un cours du soir qui me permet de réussir le concours d’entrée à la sécurité sociale et de devenir aide-comptable. J’ai été fonctionnaire pendant trois ans. On me fait faire du classement, ce qui m’a beaucoup appris, et coller des enveloppes. Un jour que je suis à cette tâche je me fais reprendre par un supérieur pour mon manque d’attention. Il faisait peur à tout le monde moi j’éclate de rire, je gagne ainsi sa sympathie et je lui demande de suivre des cours du soir. Une fille qui travaillait avec nous veut m’humilier en me disant que, contrairement à elle, je n’irais jamais à la faculté. Cela m’a boostée. Je fais une capacité en droit, je réussis l’examen et je vais à la faculté de droit, je la retrouve en première année, je passe en deuxième année alors qu’elle reste en première…
Entre temps j’ai rencontré Alain Joissains qui, sortant de la marine, avait lui aussi entamé des études. Il était de droite, je ne vous dis pas les échanges avec mes parents… Nous nous fiançons et nous nous marions car papa ne voulait pas que j’aille à Aix-en-Provence avec mon fiancé, nous devions être mariés. A la faculté je découvre l’économie de marché pour moi plus compatible avec l’humain que le communisme. Mais je suis toujours persuadée qu’il faut un contrôle de l’État.
Vous avez dit précédemment que vous ne pouviez pas laisser passer votre condamnation au nom de votre père. Pourquoi?
Parce que mon père, cet homme honnête et fier n’a pas supporté l’affaire Alain Joissains qui, des années plus tard, a obtenu un non-lieu pour fausses factures et une relaxe pour corruption. Mais à l’époque il était accusé d’avoir utilisé de l’argent pour construire une partie de la maison de ses beaux-parents. Mon père ne l’a pas supporté. Il a fait sortir ma mère et le chien de l’appartement et s’est suicidé. Ma mère ne s’en est jamais remise…
Propos recueillis par Michel CAIRE