Publié le 3 avril 2023 à 19h56 - Dernière mise à jour le 12 avril 2023 à 8h59
Israël vit actuellement et de manière intense, un moment d’une grande puissance, intéressant, effrayant, enthousiasmant, fécond, porteur de divisions, mais aussi, riche d’espoir. Quel sujet grave est arrivé à ce pays pour que des milliers de personnes descendent dans la rue, soir après soir, depuis près de trois mois pour manifester ? Une nouvelle intifada palestinienne aurait-elle éclaté, aussi bien dans la Bande de Gaza qu’en Cisjordanie ? Face à la menace nucléaire, le pays doit-il entrer en guerre avec l’Iran ? La menace du Hezbollah à la frontière avec le Liban se précise-t-elle? De nouvelles élections se préparent-elles ? Non, rien de tout cela, du moins pas à court terme. Le pays se divise à propos de la réforme de la justice ! Question qui peut paraître mineure, ou à tout le moins, peu susceptible de bouleverser le pays, de bloquer l’aéroport, de mettre à mal la valeur de la monnaie, de diviser le pays. Et, pourtant c’est ce à quoi nous assistons depuis plusieurs semaines.
Il convient de noter que ceux qui, jour après jour, manifestent contre les réformes de la justice, proposées par l’actuelle majorité, sont issus essentiellement des classes éduquées, cadres supérieurs et cadres moyens. Le défi qui se présentait à eux était et est encore de communiquer avec ceux qui, dans la population, sont peu susceptibles de pouvoir apprécier correctement les conséquences de la réforme proposée. Cette population est plus à l’aise lorsqu’il s’agit de répondre à des questions en apparence plus aisées à assimiler, du type, êtes-vous en faveur de relance des négociations avec les Palestiniens, êtes-vous pour ou contre l’occupation, mais a des difficultés à apprécier correctement l’importance de la composition du comité de nomination des juges à la Cour suprême, ainsi que de la définition de la procédure de fonctionnement de ladite commission et les conséquences de ces réformes sur la démocratie.
Il a fallu le talent de ceux, cadres, journalistes, artistes, universitaires, officiers de réserves, qui ont su trouver les mots et les gestes pour expliquer les véritables enjeux de cette réforme. Pour preuve, la manifestation des femmes, déguisées en robe et capuche rouge, à l’image de la série populaire Les servantes écarlates (The Handmaid’ Tale), et la manifestation de dizaines de personnes déguisées en Gardiens de la Révolution à l’iranienne. Indépendamment de leurs désaccords sur d’autres sujets, cette population a su expliquer en termes accessibles à tous, le véritable enjeu de la réforme, et ce sans la participation des élus de l’opposition.
Les manifestants donnent au monde une véritable leçon de civisme populaire pour trouver les mots et les messages accessibles à l’Israélien moyen, sans avoir recours à la violence. La population, dans sa majorité, a fini par comprendre que l’exécutif mettait la main sur le judiciaire et mettait ainsi à mal la séparation des pouvoirs, base de la démocratie. Un sondage récent effectué par l’Institut israélien de la démocratie, montre que 43 % décrivent la proposition gouvernementale de réforme de la justice, comme «mauvaise» – tandis que 31 % la décrivent comme « bonne ». Un quart des personnes interrogées ont déclaré ne pas avoir d’opinion. Une large majorité (64%) est favorable au dialogue entre les partis qui composent la majorité et ceux de l’opposition concernant les changements législatifs proposés, dans une tentative de parvenir à un compromis.
Une enquête effectué fin février, a révélé que 66 % des Israéliens pensent que la Cour suprême devrait avoir le pouvoir d’annuler une loi si elle est incompatible avec les Lois fondamentales, et 63 % pensent que l’équilibre actuel dans la composition du Comité de sélection des juges -où un accord est requis entre les politiciens et les juges- devrait être maintenu.
Concernant les conséquences de la réforme sur l’économie, 53% sont d’accord pour estimer qu’un système judiciaire politiquement dépendant nuirait à l’économie d’Israël.
En conclusion, ne nous y trompons pas. Au-delà de cette réforme de la justice, c’est l’avenir d’Israël en tant qu’État à la fois démocratique et juif, comme l’ont souhaité les fondateurs de l’État d’Israël, qui est en jeu.
[(Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.)]
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