Publié le 10 octobre 2018 à 10h25 - Dernière mise à jour le 29 octobre 2022 à 13h46
Il était à peine vingt heures, hier soir, lorsque la sonnerie de mon téléphone portable a retenti. Je venais de prendre place sur mon canapé moelleux afin d’écouter le journal télévisé m’annoncer la montée inexorable du fascisme dans le monde, comme le refus de l’Italie d’accueillir les bateaux de migrants dans ses ports. Je contemplais donc le monde s’étioler et régresser sans que ces annonces ne semblent perturber le présentateur du JT et ne parviennent à empêcher René et Marcel de s’envoyer leur trentième Ricard au troqué du coin. Bref, il me semblait être le seul citoyen à être sensible à cette poussée des idées fascistes et à ne pas parvenir à avaler mon Ristretto et pas seulement eu égard aux origines du patronyme de mon nectar. Mais mon téléphone n’avait pas cessé de retentir, l’appelant semblait pressé et c’est après le troisième appel que je m’emparais de cet appareil afin de répondre. Vous n’allez pas le croire mais c’était le secrétariat général de l’Élysée qui insistait pour me parler, dans une voix suave, presque érotique, mon interlocuteur s’assurait de mon identité avant de me solliciter dans l’urgence.
Eh bien oui, même si cela est difficile à croire il me proposait le poste de ministre de l’Intérieur ! Vous n’êtes pas sans savoir que ce poste est vacant depuis quelques jours et que le grand-père qui l’occupait, n’ayant pas saisi les intérêts et le sens de ses responsabilités, a préféré prendre la fuite vers Lyon pour tenter d’y récupérer son poste de maire au grand dam des autochtones qui pensaient en être définitivement débarrassé. Le secrétaire de l’Élysée insista donc sur la qualité de l’hébergement et même sur les vertus de la nourriture. Il évoqua encore les émoluments et même les méthodes occultes initiés par Claude Guéant, traditions basées sur la récupération à des fins personnelles de sommes en numéraires destinées aux policiers de terrain. En fait il me fit l’article tel un vendeur de canapé chez monsieur Meuble et je vis le moment où il allait me dire que je lui étais sympathique. Estomaqué je ne su quoi répondre …
Je restais avec mon téléphone en main en tentant d’écouter les infos catastrophiques et sans comprendre que soudainement je pouvais devenir ministre et qu’enfin j’allais me vautrer dans le luxe qu’offrent les palais de la République et obtenir l’assouvissement de mes moindres caprices d’un seul claquement de doigts. Subitement je devins si important que je fis un geste de dédain à ma femme afin qu’elle range ma tasse vide et déguerpisse de mon canapé soudainement devenu ministériel. Bref ma tête doublait de volume et ce n’est qu’un soufflet extrêmement rapide asséné par celle qui bosse sans compter ses heures qui me fit retomber sur terre.
Mais un court instant et entre deux arguments de vente je pris le temps de réfléchir et de m’interroger sur ma capacité à occuper un tel poste, sur mes compétences dans ce domaine si particulier et complexe. Certes j’ai été durant trente ans policier et je pense connaître la police comme le fond de ma poche mais ai-je les qualités nécessaires pour faire un bon ministre ? Cette question hantait déjà ma tête et les quelques secondes que je m’accordais pour y réfléchir me permirent de parvenir à un constat simple : je n’étais pas fait pour le job ! C’est donc tout de go que je déclinais la proposition de ce sbire en arguant que le salaire n’était pas suffisamment important et malgré les enveloppes «Guéanesques» je ne parviendrais pas à maintenir mon niveau de vie d’aujourd’hui à savoir celui d’un saltimbanque tentant de vendre ses livres et ses scénarios.
Je sentis un malaise de l’autre côté de mon combiné, il fût marqué par un long silence et je décelai même des sanglots écrasés dans un kleenex usagé. Je repris la parole afin de m’assurer que mon interlocuteur n’avait pas fait de malaise et était encore en vie, j’insistais lourdement afin qu’il m’informe de son état de santé et je crus comprendre qu’il s’apprêtait à mettre fin à ses jours par pendaison. Je hurlais donc afin de convaincre cet homme de ne pas commettre le geste ultime, de ne pas sacrifier sa vie à ce gouvernement et à ce président cynique. Je ne cessais de lui rabâcher qu’il parviendrait à trouver quelqu’un pour le poste, que chaque matin il y a un pigeon qui se réveille et qu’un carriériste incompétent finirait par accepter de s’installer à la place Beauvau. J’entendais ses pleurs et ses lamentations. Il implorait les Dieux, sollicitait la chance et même des grigris Africains jonchant son bureau. Il ne savait que faire …
Personne, je dis bien personne n’en voulait et le secrétaire général de l’Élysée se lamentait sans que je puisse le consoler, sans que je puisse lui apporter une once d’aide et de soutien. Je ne culpabilisais pas de cette situation, je ne m’en voulais même pas d’avoir refusé ce poste de ministre. J’avais la conscience tranquille et bien que ma femme aurait aimé vivre à Paris et tenta de me convaincre d’accepter la proposition, je mis fin à cet entretien téléphonique.
Je balançais mon téléphone et remis le son de ma télé. Le journal tirait à sa fin et j’appris que le remaniement ministériel avait du mal à se mettre en place et que plusieurs personnes, comme moi, avaient refusé cet emploi. Je pris ma femme dans mes bras, il était six heures et le réveil nous fit sursauter.
Ce n’était qu’un rêve mais … bien triste réalité !
Pauvre France …