Publié le 8 avril 2023 à 10h31 - Dernière mise à jour le 6 juin 2023 à 19h54
Parmi les innombrables qualités de Renaud Capuçon, il y a le sens du partage et de la transmission. Son quatuor formé en l’honneur d’Adolf Busch (1891-1952) avec l’altiste Adrien La Marca, le violoncelliste Edgar Moreau, et le violoniste Guillaume Chilemme l’atteste. Tout comme son implication dans la volonté d’offrir aux spectateurs du Festival de Pâques des concerts estampillés «Génération @ Aix» par lesquels de jeunes artistes artistes comme Bilal Alnemr ou Raphaëlle Moreau trouvèrent d’éclatants tremplins à leur carrière en devenir.
Transmission donc. Et partage disions-nous. Une évidence là encore dans la manière dont Renaud Capuçon s’investit sur scène en tant que chef d’orchestre, et lors de ses concerts en duo avec des pianistes d’excellence. Que ce soit David Fray, Frank Braley, le regretté Nicholas Angelich disparu l’an dernier et à qui l’édition 2023 du Festival de Pâques est dédiée, Jérôme Ducros, Martha Argerich, ou Khatia Buniatishvili, tous semblent comme transcendés quand ils jouent à ses côtés. Renaud Capuçon possède l’art de rendre encore plus géniaux des pianistes qui le sont d’ailleurs déjà. Nouvel exemple avec Igor Levit avec qui dans la salle du Conservatoire Darius Milhaud, il a proposé un récital aérien, d’une force et d’une élégance mêlées. Le programme certes s’y prêtait. Après une sonate en fa mineur de Bach à tomber par terre, ce fut la Sonate n°2 de Ferruccio Busoni (1866-1924) qui conquit un public déjà ébloui par ce qu’il venait d’entendre. Après l’entracte la Sonate pour violon et piano en la majeur de César Franck (1822-1890) montra combien était ambitieux le choix des œuvres mis en lumière.
Un piano profond
Avec donc au piano Igor Levit, pianiste russe né le 10 mars 1987 à Gorki (aujourd’hui Nijni Novgorod), qui affirmant s’intéresser à de multiples champs culturels, dit ne ne s’imposer aucune limite. Après avoir enregistré l’intégrale des sonates de Beethoven pour Sony Classical en 2019, où il montrait entre autres tout l’humour de Beethoven loin en cela des interprétations abusivement analytiques ou lourdement germaniques de certains de ses confrères, Igor Levit a proposé les Préludes et fugues de Chostakovitch en 2021. En 2022 dans son nouveau disque intitulé Tristan, il s’investissait dans un programme varié où des pièces de Liszt, Wagner et Mahler côtoient une œuvre pour piano, bande magnétique et orchestre de Hans Werner Henze. «Je m’intéressais à la thématique de la nuit, de l’amour, des peurs et des angoisses aussi, et j’ai cherché des morceaux en fonction de ces thématiques», expliqua-t-il. Même démarche une fois de plus dans cet album et sur la scène du Conservatoire. Creuser dans la partition même de larges sillons musicaux où le grave et la légèreté se répondent. Aussi son duo avec Renaud Capuçon nous fit voyager sur des sommets musicaux. Le piano écoutant le violon et inversement, abolissant pour l’auditeur toute temporalité, la sonate de Busoni, celle de Franck débutant comme celle de Bach par un tempo retenu prenaient de l’ampleur sans académisme ni lourdeur. Un concert magique pour célébrer la musique de l’âme. Cette musique dont Busoni déclara qu’ «elle est à la fois dans le temps et hors du temps. »
Jean-Rémi BARLAND