Publié le 22 octobre 2018 à 18h57 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
A partir de l’été 2013, les Israéliens et les Palestiniens se sont engagés dans une négociation devant en principe aboutir à un accord de paix, le Secrétaire d’État américain, John Kerry, jouant le rôle de médiateur. Neuf mois plus tard, en avril 2014, les négociations ont été rompues et sans surprise les deux parties se renvoyaient la responsabilité de l’échec, dans un «blame game». Pour les Israéliens, la raison de leur retrait était que les Palestiniens venaient de conclure un accord avec le Hamas, et pour les Palestiniens, la condition posée par les Israéliens à la poursuite des négociations, à savoir leur reconnaissance formelle du caractère juif de l’État d’Israël, était inacceptable. Les Palestiniens ont immédiatement rejeté cette demande, considérant que l’acceptation de cette exigence revenait à trahir les Palestiniens de nationalité israélienne. Ils y voyaient une suppression du «droit au retour» des réfugiés dans ce qui est aujourd’hui Israël ainsi qu’une atteinte aux droits nationaux et civils de la minorité arabe du pays. En d’autres termes la demande israélienne revenait, de leur point de vue, à leur demander de reconnaître la légitimité du narratif sioniste. Pour sa part, John Kerry, considérait la demande israélienne excessive et inappropriée, dans la mesure où la reconnaissance du caractère juif d’Israël était déjà explicitement mentionnée dans la Résolution 181 des Nations-Unies du 29 novembre 1947, qui proposait un Plan de partage de la Palestine en un État Juif et un État arabe. Ainsi, le caractère juif du futur État était clairement affirmé. Il ajoutait de plus qu’en 1988, le responsable de l’OLP, Yasser Arafat avait accepté l’existence de l’État d’Israël comme État juif. Aussi la demande israélienne ne lui paraissait aucunement se justifier. Cependant, et malgré les réserves de Kerry, Netanyahu insistait. Pour lui, cette reconnaissance ne constituait ni plus ni moins que la «véritable clé de la paix » et, à ce titre était une condition sine qua non à la poursuite des négociations.
Pour la petite histoire, ce n’est pas Netanyahu qui est le premier à avoir soulever la question de la demande israélienne selon laquelle les Palestiniens doivent reconnaître le caractère juif de l’État d’Israël. La lecture des documents «Palestine Papers» concernant le contenu des négociations israélo-palestiniennes menées par Tzipi Livni du côté israélien et Saeb Erakat du côté palestinien en 2007 et 2008, indique clairement que cette question avait été soulevée par Livni et acceptée par les Palestiniens [[ The Guardian, « Palestinian Negociators accept Jewish State, Papers Reveal”, 24 janvier 2011.]]. A huis clos, Erakat aurait déclaré à Livni en novembre 2007, « Si vous souhaitez appeler votre État l’État juif d’Israël, vous pouvez l’appeler comme vous le souhaitez« . Le journal anglais The Guardian a reproduit le dialogue suivant entre Livni et Akhram Haniyeh et Ahmed Qurei, les négociateurs palestiniens :
-Tzipi LivnI: Je veux juste dire quelque chose. … Notre idée est de faire référence à deux États pour deux peuples. Ou encore deux États, la Palestine et Israël vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, chaque État constituant la patrie de son peuple et la réalisation de ses aspirations nationales et de son autodétermination… »
-Akram Haniyeh: Cela concerne le peuple israélien?
-Livni: (Visiblement en colère .) Je pense que nous pouvons utiliser une autre session sur ce que signifie être juif et que c’est plus qu’une religion. Mais si vous voulez nous ramener à 1947, cela ne vous aidera pas. Chaque État constituant la patrie de son peuple et la réalisation de ses aspirations nationales et de son autodétermination sur son propre territoire. Israël est l’État du peuple juif – et je voudrais souligner le sens de «son peuple», c’est le peuple juif- avec Jérusalem la capitale unie et indivise d’Israël et du peuple juif depuis 3007 ans… (L’équipe palestinienne proteste.) Vous l’avez demandé. (Ahmed Querei : Nous avons dit Jérusalem-Est ! )… Et la Palestine pour le peuple palestinien. Nous ne voulions pas dire qu’il existe un «peuple palestinien» mais nous avons accepté votre droit à l’autodétermination.
-Ahmed Querei: Pourquoi est-ce différent?
-Livni: Je n’ai pas demandé quelque chose qui se rapporte à moi-même. Je n’ai pas demandé à reconnaître quelque chose qui est la décision interne d’Israël. Israël peut le faire, c’est un État souverain. (Nous voulons que vous le reconnaissiez.) Toute l’idée du conflit est… tout le problème est l’établissement de l’État juif.… Il y a quelque chose qui est plus court. Je peux lire quelque chose avec un libellé différent : que le but ultime est la patrie constituant pour le peuple juif et le peuple palestinien respectivement, et la réalisation de leurs aspirations nationales et à l’autodétermination dans leur propre territoire.
L’insistance de Netanyahu incite alors à poser la question suivante : s’agissait-il de sa part d’une attitude visant à faire dérailler les négociations, sachant à l’avance que les palestiniens rejetteront cette exigence, ou bien s’agissait-il d’un élément essentiel participant à la sécurité du pays. En d’autres termes, s’agissait-il d’une attitude tactique ou de l’affirmation d’un impératif considéré comme stratégique. Si on admet la seconde hypothèse, elle s’inscrirait alors dans le cadre de ce que les théoriciens des relations internationales nomment l’École de Copenhague. L’approche développée par les tenants de cette École considère que la survie des États n’est plus seulement menacée par des facteurs militaires mais qu’il faut intégrer des considérations politiques, économiques, environnementales et sociétales. Stricto sensu la sécurité nationale était confinée aux aspects miliaires et les moyens d’assurer la défense du pays et de ses citoyens. Lato sensu, la sécurité nationale intègre l’identité nationale considérée comme une composante de la sécurité nationale. En sens il s’agit d’une sécurité plus.
La parole en actes. Les acteurs qui ont autorité pour parler de la sécurité du pays désignent explicitement les sources des menaces. En ce sens le discours génère la réalité, dans la mesure où accepté par l’opinion, il légitime les mesures d’urgence à prendre, surtout si les menaces risquent de mettre en danger l’existence même de la nation. A cet égard il convient de distinguer la sécurité de l’État et la sécurité de la nation ou sécurité sociétale. On parle de sécurité de l’État lorsque la souveraineté de l’État est menacée. Et, lorsque les menaces portent sur l’identité on parlera de sécurité sociétale ou sécurité plus. Il peut arriver qu’un État se sente en sécurité si sa souveraineté n’est pas menacée, alors que dans le même temps la société perçoit que l’identité nationale est menacée.
Dans ce cadre renouvelé de la définition de la sécurité, quatre dimensions sont à considérer dans le cas d’Israël, et plus spécifiquement des juifs israéliens attachés au sionisme, défini comme le droit du peuple juif de fonder un État juif indépendant : la géographie, la démocratie, les inégalités, et enfin, la démographie. Reprenons chacune de ces trois dimensions, à commencer par ce qu’Abulof nomme «le démon démographique». Pour lui, la menace démographique a pu céder à d’autres menaces, telle que le terrorisme, mais elle est restée primordiale. En 1925, Zeev Jabotinsky, le dirigeant sioniste révisionniste, et dont le secrétaire était le père de l’actuel Premier ministre israélien, Netanyahu, affirmait la volonté de créer une majorité juive dans le futur État [[The Jewish Chronicle, 19 juin 1925]].
A la création de l’État d’Israël, Ben Gourion définissait la stratégie de sécurité nationale qui devait reposer sur trois piliers : la dissuasion, l’alerte rapide et la décision. Le pays ne pourrait jamais remporter la victoire totale, il ne pouvait que vaincre à chaque guerre et retarder le plus longtemps possible la prochaine bataille. Ces trois impératifs ont parfaitement joué durant la guerre des six jours, alors que la guerre de Kippour de 1973 a résulté de l’échec de les mettre en œuvre. Depuis, l’environnement stratégique d’Israël a radicalement changé :
– Paix avec l’Égypte en 1978 et avec la Jordanie en 1994
– La menace irakienne a disparu après 2003
– La force conventionnelle d’Israël est nettement plus puissante que celle des pays voisins
– Depuis : usure par les moyens non conventionnels : attaques terroristes, missiles aveugles, BDS..
– Nouvelle menace existentielle : l’éventuelle capacité nucléaire de l’Iran.
– Menaces non militaires : le défi démographique qui pourrait selon Charles Freilich s’avérer presque aussi dangereux pour l’avenir d’Israël que les menaces militaires. Aussi pour lui, «pour échapper à ce danger Israël devrait chercher à résoudre son conflit avec les Palestiniens», et ne pas s’enfermer dans la dialectique du « blame game », les paramètres de Clinton lui paraissant acceptables. Cependant, ajoute Freilich [[Charles D. Freilich “Israeli National Security : A new strategy for an Era of Change”, Oxford University Press, 2018]], Israël devrait être disposé à prendre des mesures unilatérales si aucun accord n’est conclu avec les Palestiniens.
– Commentaire d’Amos Yadlin, ancien général israélien, «la situation de la sécurité nationale en Israël est aussi bonne qu’elle ne l’a jamais été, mais (…) comporte des risques, car elle peut encourager une approche plus passive ou plus complaisante. Si les 70 prochaines années de l’histoire d’Israël doivent avoir le même succès que ces 70 dernières années, Israël doit maintenir une stratégie de sécurité nationale proactive dans le but de garantir en son centre un État sûr, juif, démocratique et moralement juste.»
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Le Professeur Gilbert Benhayoun est le président du groupe d’Aix -qui travaille sur les dimensions économiques d’un accord entre Israël et les Territoires palestiniens- qui comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées. |