Publié le 2 novembre 2018 à 10h20 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 19h09
Quels souvenirs garde-t-on quand on a 16 ans ? Essayez de vous rappeler, vous verrez ce n’est pas aussi facile… «Hôtel Valdheim» de François Vallejo est construit sur la confrontation de deux mémoires. Celle que l’on garde d’un séjour en Suisse, dans la station de Davos quand on a 16 ans -notre mémoire privilégiant en priorité les situations plutôt agréables- et l’autre que l’on veut imposer, 40 ans après, au même ex-ado devenu quinquagénaire. Avec des faits, des dates, des possibilités qui apportent une toute autre interprétation aux images que l’adolescent, Jeff Valdéra, avait gardé de l’été 1976. Voilà pour la structure du livre. Et puis, il y a le style Vallejo, une belle écriture avec un indéniable savoir-faire pour capter le lecteur, jouer avec lui, l’emmener où il veut, quitte à l’entraîner dans des situations rocambolesques, extravagantes, en somme nous perdre pour très vite nous récupérer !
Un livre qui explore un monde que nous avons ou nos parents ont connu, la guerre froide, la France et l’Europe avant et après la fin du mur de Berlin, autant d’événements qui interrogent aussi notre mémoire. En effet, quel lien peut-il y avoir entre l’Hôtel Waldheim, fréquenté dans les années 70 par la bourgeoisie Suisse et Allemande, les pistes de ski de Davos et la Stasi qui, pendant 40 ans, a contrôlé la vie quotidienne en RDA ? Et que l’URSS considérait, évidemment, comme un partenaire «très loyal et efficace » ! La chute du mur de Berlin, l’assaut de la Stasi par les Allemands de l’Est, sa dissolution enfin le 31 mars 1990, autant d’événements qui parlent à notre mémoire.
De la même façon il faut ajouter l’écrivain Tomas Mann et «La Montagne Magique» (mais aussi l’ensemble de son œuvre) dont se nourrit Frau Finkel, vielle dame amoureuse de littérature qui vit depuis des années à l’Hôtel Waldheim. Elle reste le plus souvent dans sa chambre, ne descend plus guère au restaurant, craignant de ne rencontrer que des ânes, des aliborons comme elle préfère dire, histoire de tester les connaissances de ses interlocuteurs. Herr Meili est le patron de cet Hôtel. Un patron apprécié de ses clients mais qui est-il vraiment ? Même question pour l’historien Friedrich Steigl qui entreprend d’initier le jeune Jeff Valdéra (16 ans à l’époque) au jeu de GO, jeu de stratégie. Sans oublier ce couple si mal assorti que sont les Linek, qui se déclare Suisse sans en avoir l’accent ni l’air ! Un huit clos dans lequel les uns et les autres doivent cacher ce qu’ils sont et en même temps, comme au jeu de GO ou d’Échecs, envahir, maîtriser le domaine de l’autre.
Heureux temps de l’adolescence !
Tout commence dans ce roman par une carte postale des années 1960, blafarde, écornée qu’un écrivain déjà d’une certaine renommée, reçoit chez lui, dans le sud de la France, ces dernières années. Il s’appelle Jeff Valdéra. Tiens, tiens… En photo sur cette carte, l’Hôtel Waldheim, à Davos, en Suisse. Une seule phrase l’accompagne : «ça vous rappel queqchose»… Réaction du récipiendaire : plus de quarante-ans après qui peut se souvenir de l’ado de 16 ans qu’il était lors de son séjour dans cet hôtel ? Personne ! Ce qui d’ailleurs l’inquiète. Alors, qu’est-ce qu’on attend de lui ? Pendant deux jours, il va interroger sa mémoire qui a fait depuis longtemps son tri. Notre mémoire étant à l’écoute de nos ressentis, de leur intensité, elle met au premier plan les événements qui ont une charge émotionnelle importante, qu’ils soient très heureux ou très malheureux. Puis, elle conserve toutes sortes d’éléments qui s’y rapportent, qui pourraient servir un jour, quelque part dans le cerveau. En ce qui concerne le ressenti, pas de souci pour l’ancien ado ! Le départ pour Davos avec sa tante célibataire ? Oui ! Il s’en souvient très bien ! Surtout de cette nuit quasiment blanche dans le train, avec ces deux jeunes filles suisses qui, devant lui, s’étaient mises entièrement nues pour grimper dans leur couchette. Wouaaah ! Il n’en avait pas dormi de la nuit ou presque, juste assez pour manquer la deuxième séance, le rhabillage des croquantes suissesses. Il en était encore tout rouge à son arrivée à l’Hôtel Waldheim où un plateau de charcuterie, surmonté d’une montagne de viande des Grisons l’attendait lui et sa tante célibataire. Suffisant pour oublier un peu les filles. Et puis c’est tout ! Quelques jours après, une autre carte postale arrive, à nouveau postée de Zurich, tout aussi énigmatique que la précédente, avec le même mélange des langues française et allemande : «Ne dites pas que ça te rappel pas rien. Où étiez-vous sur la photo de la gauche ? Il s’est passé les drôles de choses, non ? » Oui ! Effectivement.
Elle s’appelle Frieda…
Mais pas question d’en dire plus. Sinon que ces cartes sont envoyées par une femme, Frieda Steigl, née en Allemagne, et dont le père, historien a fui la RDA comme d’autres universitaires à cette époque. C’est lui qui a initié l’ado au jeu de GO. Son père ? Frieda ne l’a plus jamais vu depuis son séjour à Davos. Il a complètement disparu. Elle a fait des recherches. C’est en consultant les archives de la Stasi, quelle a découvert que le nom de Jeff Varda, donc du récipiendaire, y figurait aussi. L’accuse-t-elle d’avoir d’une manière ou d’une autre contribué à cette disparition ? Ce livre de François Vallejo et probablement un de ses plus intimes. La quête de la mémoire, la traversée du temps historique, le goût du mythe le plus universel, tous ces éléments, chers à l’auteur, sont ici réunis.
Christine LETELLIER
«Hôtel Valdheim» de François Vallejo aux Éditions Viviane Hamy – 304 pages – Prix : 19€