Publié le 11 janvier 2019 à 9h47 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 19h22
Une nouvelle fois le Secrétariat social de Marseille, Centre chrétien de réflexion, alerte sur la situation de la pauvreté à Marseille. Une étude avait été réalisée en 2013, le titre du document était porteur d’espoir : «La pauvreté n’est pas une fatalité». Plus de cinq ans après, la situation s’est aggravée, l’appel lancé par le Secrétariat social se fait plus pressant: «La pauvreté, un besoin urgent de fraternité». Bernard Cheval, son président lance en avant-propos: «Si nous nous réunissons aujourd’hui c’est que nous ne pouvons plus supporter l’insupportable. Nous n’acceptons pas que l’on oublie 1/4 de la population. Le drame de la rue d’Aubagne invite à prendre conscience de la situation à Marseille». «L’effondrement de trois immeubles à Marseille le 5 novembre 2018 dernier témoigne une nouvelle fois de la situation sociale d’une ville qui ne veut pas voir les conditions de vie de la partie de ses habitants les plus démunis. Le quart des habitants a un revenu inférieur au seuil de pauvreté. Un autre quart n’en est pas loin». Et d’observer que «certains quartiers bénéficient d’aménagements de qualité, que les jeunes entrepreneurs du numérique sont considérés comme les acteurs du renouveau, la ville ne s’intéresse pas aux plus démunis des siens». «Confrontée à un sous-emploi chronique, poursuit le secrétariat social, logée dans des conditions indignes, cette population cumule toutes les formes de pauvreté et précarité : monétaire, sociétale, culturelle, scolaire, chômage… Elle bricole une économie de la survie. Elle n’intéresse personne sauf les associations qui accompagnent, avec des moyens dérisoires, ces exclus du développement».
Marseille va mieux que les Marseillais
Philippe Langevin, économiste, Président de l’ARDL (Association régionale pour le développement local en Provence) vient de présenter, devant un public venu en nombre, le document «Pauvres à Marseille – besoin urgent de fraternité», d’une centaine de pages qui entend interpeller «tous les responsables des politiques publiques (État, Conseil départemental, Métropole, commune de Marseille) sur une société à plusieurs vitesses qui écarte du développement un nombre très élevé de personnes et génère des situations de précarité qui remette en cause notre modèle social». Pour Philippe Langevin: «Marseille va mieux que les Marseillais». Considère que le renouveau de Marseille est incontestable «mais nous sommes dans une ville d’archipels, dans laquelle il n’y a pas d’unité». Le document souligne que malgré des réussites et le fait qu’il y ait de plus en plus de riches à Marseille «plusieurs indicateurs révèlent de grande pauvreté d’une partie importante des habitants». 25,8% des ménages sont en situation de pauvreté monétaire «et ce taux est en augmentation», insiste-t-il. Le revenu médian -17 930€/an en 2014, est faible, comme la part des ménages fiscaux imposés, tous deux inférieurs à la moyenne nationale. Si Montpellier présente des résultats comparables avec ceux de Marseille, on peut constater que, parmi les villes de plus de 200 000 habitants, Marseille est en deuxième position pour le revenu médian et le taux de pauvreté monétaire, après Montpellier et en troisième position pour la part des ménages fiscaux imposés, après Montpellier et Lille».
«Notre ville compte beaucoup de gens de peu et encore plus de gens de rien»
Philippe Langevin juge que le niveau des inégalités est encore plus significatif: «Marseille est une ville éclatée dont l’unité de façade ne doit pas faire illusion. Inégalités sociales d’abord entre plus du quart des habitants au seuil de pauvreté et plus de 10% au seuil de l’impôt sur les grandes fortunes. Inégalités territoriales ensuite qui opposent les beaux quartiers des 7e et 8e arrondissements au centre-ville et aux quartiers Nord où les revenus moyens, après redistribution, sont trois fois plus faibles. Ces écarts sont amplifiés au niveau des petits quartiers». «Notre ville, lance-t-il, compte beaucoup de gens de peu et encore plus de gens de rien. Marseille est incapable d’accorder à chacun une vie décente». Rappelle les facteurs de précarité à Marseille avec, en premier lieu les solitudes: «40% des ménages ne sont composés que d’une seule personne contre 34% au niveau national». En deuxième position vient la monoparentalité avec 23,4% des familles, contre 14% au niveau national. 87,5% des familles monoparentales sont composées de femmes avec enfants et 15% de ces familles sont allocataires du RSA majorée. Puis vient le chômage, toujours supérieur à la moyenne nationale. Un fait lié à la pénurie d’emplois: «L’emploi n’augmente pratiquement plus à Marseille depuis 2011 après une période favorable de 2000 à 2009. On estime ce déficit, pour être au niveau des grandes villes, à 60 000 postes de travail. Le marché du travail exige des qualifications que les demandeurs n’ont pas». Le faible niveau de formation est ainsi évoqué: «La population qualifiée est faible et le nombre de non diplômés élevé. 24% des plus de 15 ans non scolarisés n’ont aucun diplôme (18% au niveau national)». Le document ne manque pas d’insister sur la pénurie de logements sociaux. «Le nombre insuffisant de logements mis en chantier et l’absence de vacances conduisent à une file d’attente de plus de 20 000 demandes et un délai moyen de 8 ans pour accéder à un logement social. 263 000 personnes perçoivent une aide au logement, soit 30% de la population marseillaise». Puis de déplorer que«le renoncement aux soins pour raison financière concerne 15% des adultes. Les quartiers Nord manquent de médecins et de spécialistes». Enfin, les inégalités culturelles liées à l’origine des habitants sont abordées: «Elles écartent de la culture des communautés de vie qui ne se retrouvent pas dans l’offre de manifestations dont le prix d’entrée est par ailleurs incompatible avec leurs ressources».
«Marseille isole de plus en plus la partie la plus précaire de ses habitants»
Le constat se fait terrible: «Au-delà d’un discours convenu sur la force de ses migrations successives, sur la qualité de ses associations, sur son hospitalité généreuse et sa capacité à échanger et à se comprendre, Marseille isole de plus en plus la partie la plus précaire de ses habitants qui voient la Ville se transformer sans qu’ils en aient leur part. Les nouveaux logements sont trop chers pour eux, les emplois créés ne leur sont pas accessibles, l’université leur est étrangère. Alors, ils se replient sans bruit sur des vies pauvres que la statistique ne connaît pas et que les cadres supérieurs, les ingénieurs et les aménageurs ne rencontrent jamais. Ici, les pauvres sont plus pauvres qu’ailleurs et les riches plus riches qu’ailleurs. Dans une ville des extrêmes, les moyennes perdent leur sens. La pauvreté n’est pas un chiffre. Pour la combattre, il faut savoir la regarder». Alors, parole est donnée à des intervenants. Céline, mère de 6 enfants, habite la Busserine, elle raconte: «Je suis aide-soignante mais j’ai été malade, depuis je touche 900€ par mois avec 4 enfants à la maison. Je connais la précarité, la violence, la stigmatisation. J’ai un fils qui est tombé dans les réseaux, je l’en ai sorti seule. Notre cité a connu les travaux de la L2, le bruit, la poussière, 24 heures sur 24 et, maintenant, nous avons un mur devant nous. Nous avons vécu ces travaux comme une violence». Face à cela elle a contribué à la création d’un groupe de veille: «Nous alertons les institutions, nous organisons avec des associations des opérations de nettoyage et nous agissons quotidiennement pour vivre dignement». Martine à 60 ans, elle est au chômage «depuis quelques années». Elle n’a pas d’appartement: «Je vis chez qui veut bien m’accueillir». Elle participe à la vie associative «un moment où on peut s’évader, vivre la convivialité». A ses côtés la directrice de l’école primaire Bellevue (3e) évoque un quartier enclavé, abandonné. «La misère est un mille-feuilles social, médical… avec beaucoup de violence et pas mal d’enfants souffrent de troubles du comportement».
«Est-ce que je fais du bien ou est-ce que je soulage ma conscience?»
Wahid a une maîtrise de mathématiques lorsqu’il vient se réfugier en France fuyant les islamistes. Il s’intègre facilement en France, apporte non seulement ses connaissances en maths mais aussi en athlétisme. En 2012, on lui demande de quitter le territoire, il ne veut pas rentrer chez lui, il doit cesser de travailler, devient SDF. «J’ai pensé au suicide». Il rencontre le service des migrants du Secours Catholique où on lui propose de devenir bénévole: «Cela a changé ma vie, lui a redonné du sens, les journées passaient à nouveau vite». Mais il est arrêté par la Police. «Le Secours Catholique est venu me soutenir, m’a trouvé un hôtel puis un logement. J’ai repris confiance en moi et j’ai maintenant mes papiers et je vais avoir un emploi». Le responsable du Secours Catholique précise: «Lorsqu’il est passé devant le Tribunal Administratif nous étions plusieurs du Secours Catholique a être présents ainsi que des membres de son club d’athlétisme ainsi que des personnes à qui il avait donné des cours de mathématiques». Le Pasteur de la Fraternité Belle-de-Mai (3e) avoue: «J’ai été frappé par le côté inégalitaire de cette ville, le manque de logements sociaux. Et, le sentiment de défaitisme, de fatalisme, qui vous touche. Il est pourtant possible d’agir. Il y a des mobilisations collectives à porter pour mettre les gens devant leur responsabilité, pour enrayer le désespoir». Karine est bénévole à Emmaüs, elle ne manque pas de se poser des questions sur la pertinence de son action: «J’ai des revenus, une belle maison. Je suis bénévole mais je n’ai pas manqué de m’interroger sur la pertinence de mon action: est-ce que je fais du bien ou est-ce que je soulage ma conscience? En agissant ainsi est-ce que l’on n’empêche pas les gens d’aller à la révolte? Alors j’ai arrêté avant de reprendre avec les petits déjeuners les plus sympas de Marseille, ceux d’Emmaüs aux Réformés mais je suis désespérée par ce que j’entends. Il faut vraiment que, tous ensemble, nous nous révoltions».
Michel CAIRE