Publié le 28 novembre 2018 à 20h49 - Dernière mise à jour le 28 octobre 2022 à 19h23
L’escalier intérieur d’une maison cossue où l’on trouve des masques égyptiens gravés sur le bois, au fond sur la droite des plantes qui recouvrent un mur. Et puis, ce fauteuil roulant sur lequel apparaît Jean le maître des lieux (François Berléand), un homme que l’on devine brisé par un drame passé et qui vit ici apparemment paisiblement avec son épouse Elisabeth (Evelyne Buyle). Car drame il y a eu, il y a et il y aura.
Sous couvert de comédie «Ramsès II » de Sébastien Thiéry que l’on peut voir au théâtre du Gymnase de Marseille est la pièce la plus terrible, la plus sombre et la plus dramatique que l’on puisse concevoir. Dramaturge, roi de l’étrange, -«de la cocasserie grinçante, de la dérision insolente, libre et parfois profonde à la fois», comme le définit le critique théâtral Olivier Celik-, auteur de comédies noires en forme de thriller, Sébastien Thiéry nous plonge d’emblée à chaque lever de rideau dans un abîme de perplexité. «Qui est Monsieur Schmitt ?», s’interrogeait-il dans un précédent opus mis en scène par José Paul. Que cachent ici aux spectateurs Jean, Elizabeth, leur fille Bénédicte (Élise Diamant), et surtout leur gendre Matthieu (Eric Elmosnino) ? Telle est la question centrale de cette farce noir de chez noir à situer entre Dubillard, Pinter, et le «Misery» de Stephen King dans la version scénique jouée par Myriam Boyer. Où veut nous conduire Sébastien Thiéry, qui -même s’il est beaucoup question de voiture le temps de la pièce- nous mène délibérément en bateau nous plongeant au passage dans un océan de doutes et de rires.
Une mise en scène digne d’un thriller
«Ramsès II» est, paradoxalement au regard de la richesse du contenu, relativement simple : Le couple formé par Jean et Élisabeth attend pour déjeuner sa fille Béatrice et son gendre Matthieu. Mais ce dernier arrivant seul, avec pour cadeau un masque de Ramsès II, acheté à Mûski, prétend ne pas savoir où est passée sa femme, et si même elle était avec lui dans la voiture. A ce moment-là l’épouse trouve une pelle dans le coffre du véhicule. S’emmêlant les pinceaux, tenant des propos obscurs, contradictoires et aberrants, ne pouvant donner de raisons plausibles quant à la présence de cet objet, Matthieu explique que sa femme est peut-être tombée dans un trou qu’il a creusé dans la forêt. Persuadé que sa fille a été tuée, Jean appelle les gendarmes. (Notons au passage que François Berléand soit dans «Momo», «Nina» ou «Ramsès II» passe énormément de coups de fil au théâtre). Mais voilà…. la prétendue morte débarque dans la maison, fringante, en pleine forme, mais estomaquée de voir son père tenir en joue avec son fusil son mari avec qui elle n’a aucun souci. Nous entrons alors dans une zone de haute turbulence, et nous observons ce qui se passe dans la tête des différents personnages avec effroi et jubilation. Avec une intelligence d’écriture assez rare, Sébastien Thiéry distille du mystère, utilise un comique de répétition des plus astucieux (la même scène de l’arrivée du gendre est proposée plusieurs fois avec un éclairage différent), et parvient à capter l’attention grâce à la mise en scène lumineuse de Stéphane Hillel. Loin de surligner, ce dernier offre au spectateur des pistes de réflexion différentes. Pour, au final, lever toutes les ambiguïtés et éclairer les comportements des uns et des autres d’un seul bloc. Si longtemps on a cru pouvoir entrapercevoir plusieurs solutions à l’énigme de la pièce l’épilogue clôt littéralement le débat. Il n’y a qu’une réponse, et elle est aussi terrible que poignante.
Comédiens d’exception
Et puis il y a les acteurs. Si Élise Diamant campe excellemment son rôle de fille du couple, elle n’a pas un rôle assez long pour être véritablement mise en lumière. Exceptionnels et magiques, les trois comédiens centraux de ce thriller familial nous époustouflent par leur génie comique, et nous épatent pour leur propension à jouer ensemble différentes partitions déployant en virtuoses des gammes bariolées décrivant en cercles concentriques tous les aspects de la psychologie humaine. Eric Elmosnino idéal en gendre qui ne l’est pas (idéal), est désopilant dans sa manière de mêler cynisme et candeur. En mère de famille et épouse dévouée, Évelyne Buyle, écarquille de grands yeux surpris, et nous fait hurler de rire. Et puis il y a François Berléand, énorme qui rappelle ici dans son rôle de handicapé au bord de la crise de nerfs les Alberto Sordi et Vittorio Gassmann des comédies italiennes. C’est dire à quel niveau se situe son interprétation tout simplement… inoubliable.
Jean-Rémi BARLAND
« Ramsès II » au théâtre du Gymnase jusqu’au 1er décembre. Plus d’info et réservations: lestheatres.net