Publié le 27 juillet 2023 à 19h21 - Dernière mise à jour le 25 août 2023 à 11h53
Le 19e siècle n’était pas encore entré dans l’histoire ancienne qu’un entrepreneur aixois, obnubilé par les balbutiements de la photographie, installait une « clicherie moderne » au cœur de la cité du Roy René. Henry Ely, ex-militaire et ex-négociant, venait de poser la première pierre d’un édifice entré, depuis, au cœur du patrimoine d’Aix-en-Provence.
Matériel, immatériel ? Qu’importe. Ce patrimoine là c’est celui du cœur battant d’une ville aux enfants célèbres, Cézanne, Milhaud, Zola, entre autres ; c’est surtout celui construit par quatre générations de photographes, Henry, Hugo, Jean et aujourd’hui Jean-Eric devenus au fil des ans, et aujourd’hui au fil des siècles, les témoins privilégiés des tout petits et des très grands événements rythmant l’existence des familles aixoises et marquant l’histoire de la collectivité. Depuis le début du siècle passé, le 20ème, jusqu’à aujourd’hui, des milliers, voire des millions de clichés sont venus, comme les petits santons, peupler les boites en carton qui jadis abritaient les feuilles de papier photo. Plaques, puis pellicules et aujourd’hui clés USB et disques durs, ont constitué petit à petit un édifice colossal dont chaque élément témoigne d’un moment de vie.
Journaliste au Provençal puis à La Provence, combien de fois n’ais-je entendu, en suivant une réunion, une assemblée ou un autre événement : « Alors on commence ?» « Non on attend Ely… » Le « Ely » en question, c’était Jean, petit fils d’Henry, fils d’Hugo et père de Jean-Eric et de ses frères, célèbre par son flegme, son « bonjour, bonjour » légendaire et les distances qu’il prenait -et-assumait- avec la ponctualité. Que de souvenirs partagés avec lui au long des années aixoises de ma carrière. Et ces souvenirs, il y en a quelques uns retrouvés avec plaisir, et parfois émotion, au cœur de cet ouvrage «Flagrants d’Ely(s) » publié il y a quelques semaines par les éditions « Tout écrit » et l’association Ceppia (Collectif Ely pour le Patrimoine Photographique et Iconographique d’Aix) avec le soutien et la participation de la Ville d’Aix-en-Provence. Au rang de ces instants qui ont compté, l’un des plus cruels n’est autre que l’incendie de la montagne Sainte-Victoire en 1989, l’un des plus émouvants la présence de François Mitterrand, luttant contre le cancer, au sommet franco-italien de 1994, l’un des plus marquants, la visite du château de Vauvenargues en 1982, là même ou vivait Pablo Picasso… Des événements joints à une centaine d’autres qui font traverser le temps depuis les années 1890 jusqu’à aujourd’hui et qui sont signés par chaque composante d’un quatuor qui œuvrait entre les murs d’un studio historique situé passage Agard, sorte de traboule reliant le cours Mirabeau à la place du Palais de Justice, à deux pas du mythique Café des Deux Garçons.
L’endroit ayant été vendu dans son ensemble à un professionnel de l’immobilier, le studio Ely doit déménager et ses trésors sont aujourd’hui dans l’obligation de trouver un lieu d’accueil. Une gageure lorsqu’on sait que le stockage de quelque deux millions de clichés ne se fait pas dans un garage et que, de plus, ces supports patrimoniaux nécessitent des soins particuliers pour assurer leur conservation.
A l’instar de l’ouvrage « Flagrants d’Ely(s) » le potentiel de valorisation du fonds est bien réel et pourrait prendre diverses formes, notamment les publications mais aussi des expositions et bien d’autres événements. La seule association Ceppia n’a pas la capacité d’y parvenir seule. Aussi le soutien de la ville et de son maire, Sophie Joissains, qui parle du fonds comme de la « mémoire inestimable d’Aix-en-Provence », est des plus importants et devrait se poursuivre dans l’avenir.Le passé, le présent, le futur… Ils se conjuguent, certes, mais ils composent aussi l’existence de chacun d’entre nous. Y compris celle du fonds Ely qui, si pour une raison ou une autre, était appelé à disparaître, laisserait une plaie béante au cœur d’une commune qui perdrait ainsi une pierre angulaire témoignant de son histoire. Fort heureusement on en est loin et le coup de projecteur procuré par le livre, doublé de la – bonne- volonté de la ville et de ses édiles, laissent envisager de belle choses. Pour le fonds Ely, graviora manent, ne semble pas être pour demain…
Michel EGEA
« Flagrants d’Ely(s) » (152 pages) en vente (35 €) à la librairie Le Blason, rue Jacques de la Roque et à la librairie Goulard, cours Mirabeau, à Aix-en-Provence. Plus d’info: associationceppia.fr