Publié le 25 juillet 2023 à 17h52 - Dernière mise à jour le 3 août 2023 à 17h55
L’ACBM (Association de criminologie du bassin méditerranéen) et Kiloutou viennent d’organiser à Fos-sur-Mer un débat sur l’enjeu que représente les vols de matériels de chantier et les réponses existantes. Spécialistes de la sécurité, sociologues, criminologues et gendarmes ont participé à ce débat animé par Joël Barcy.
Les rendez-vous de l’Intelligence économique (IE) sont des rencontres thématiques permettant d’aborder trois piliers inhérents à l’IE : la veille stratégique, la protection et l’influence, sous des angles différents et novateurs. Il s’agit d’associer cette discipline à des enjeux passés, présents ou futurs, et de comprendre ainsi que l’IE est une démarche pouvant s’appliquer à bon nombre de domaines. A Fos, au sein d’un hangar de l’entreprise Kiloutou, il était donc question d’un sujet peu évoqué : le vol et les escroqueries en matière de matériels de chantier. Une rencontre qui s’est tenue avant les émeutes que Marseille a connues.
4M€ de perte
Dominique Ciravegna, directeur de l’audit et de la sûreté de Kiloutou plante un décor qui a de quoi interpeller : « Kiloutou compte 500 agences sur le territoire national et les pertes à la suite des vols s’élèvent à 800 000 euros. Un chiffre qu’il faut multiplier par trois car il ne faut pas oublier que nous louons ce matériel et donc, outre la perte sèche que représente le vol il y a la perte due à la non-location de cet équipement ».
La perte est déjà sérieuse et Dominique Ciravegna ajoute : « Nous avons également des cambriolages sur chantier et des escroqueries. Cela représente une perte que l’on peut chiffrer à hauteur de 4M€ sachant qu’il faut 10 à 12 mois pour racheter le matériel que l’on ne loue donc pas pendant cette période ». Il en vient à l’escroquerie : « C’est le secteur qui se développe le plus. Comment cela marche ? Une équipe arrive dans un de nos locaux en usurpant l’identité d’un de nos clients. Elle part gratuitement avec le matériel. Nous sommes face à des gens bien organisés qui utilisent les réseaux sociaux à des fins criminelles. Ils choisissent un client capable d’intervenir sur plusieurs régions, montent leur escroquerie et, en quelques jours, commandent un maximum de matériels. Nous avons mis en place un système d’alerte pour faire face au mécanisme mis en œuvre ».
« La réponse sécuritaire ne suffit pas »
Pour Aurélien Dyjak, sociologue, de l’Institut de Criminologie Méditerranéen : « Ce système de criminalité est complexe, il demande de la technicité, implique les relations entre États, l’escroquerie pose la question de la relation de confiance entre l’entreprise, le client et le chef de chantier… Mais aussi entre entreprises lorsque l’on sait que certains moteurs sont impliqués dans des vols de matériel dans d’autres régions… afin de louer eux-mêmes ». Aurélien Dyjak considère que « la réponse sécuritaire ne suffit pas. » Il prévient : « Si on renforce seulement le système sécuritaire cela va provoquer un accroissement de la violence humaine. Il faut donc dans le même temps renforcer l’éducation, la citoyenneté car le citoyen c’est le sage ».
« Les vols ont lieu principalement à proximité des grandes agglomérations »
Le lieutenant-colonel de gendarmerie Maupetit se veut prudent sur les sommes que peuvent représenter ces vols. Il signale toutefois « une augmentation de 1 à 15% de ce type de vols entre 2021 et 2022. » Il met en exergue un fait : « Les vols ont lieu principalement à proximité des grandes agglomérations là où on peut exfiltrer le plus rapidement l’objet du vol. Des vols qui ont lieu le week-end principalement car il ne sera découvert que le lundi. Il faut également noter que le taux d’élucidation est de 8 à 9% c’est à dire légèrement inférieur à celui des vols classiques ».
« Nous proposons un traceur qui est autonome pendant 4 ans »
Stéphane Gauthier, de Coyote Secure avance une solution pour faire face aux vols : « Nous proposons un traceur qui est autonome pendant 4 ans et résistant aux brouillages. Sa pose par un professionnel agréé permet de le rendre indétectable et de garantir son efficacité. Lorsqu’un vol a lieu on engage une recherche dès que la victime a déposée plainte. Contrairement aux solutions de géolocalisation utilisant les technologies GPS et GSM, notre traceur permet de localiser le matériel volé, même dans les zones sans couverture réseau, les containers ou les sous-sols. Nos détectives recherchent immédiatement le matériel. Ils se rendent sur place pour le repérer et l’identifier et attendent les forces de l’ordre pour qu’elles le récupèrent ». Le lieutenant colonel de gendarmerie Maupetit acquiesce : « La géolocalisation fonctionne bien mais la clé c’est la réactivité ». Stéphane Gauthier confirme : « La réactivité est effectivement primordiale ».
« Il existe un fichier nationale voire même européen »
Dominique Ciravegna jette un pavé dans la mare en soulignant : « La réactivité est effectivement primordiale. Le problème c’est que le mille-feuille administratif est un frein. Il faut parfois plusieurs jours avant que l’information arrive à la gendarmerie ou la police concernée ». Le lieutenant colonel Maupetit s’inscrit en faux : « Il existe un fichier nationale voire même européen. Si tous les éléments sont apportés par la victime ils sont insérés dans le fichier. Mais il faut bien mesurer que nous assistons à une sectorisation de la délinquance : il y a ceux qui volent, ceux qui transportent qui disent ne pas savoir que ce qu’il transporte a été volé et ceux qui vendent et qui jurent aussi de leur bonne foi ».
« la gendarmerie peut faire un diagnostic sur la sécurité de l’entreprise »
Mais point de fatalisme à ses yeux : « La gendarmerie peut faire un diagnostic sur la sécurité de l’entreprise, mettre en avant des solutions peu chères à appliquer. On peut nous informer aussi quand l’entreprise va être inoccupée et nous mettons en place une surveillance accrue et, effectivement, il y a la géolocalisation ». Serge Gauthier ajoute : « Notre partenariat fonctionne très bien tant avec la gendarmerie que la police. Et c’est gagnant-gagnant. Nous nous récupérons le matériel et la police ou les gendarmes peuvent démanteler un réseau ». La gendarmerie prévient : « Il ne faut surtout jamais agir soi-même car on a souvent affaire à des gens armés et potentiellement dangereux ».
Aurélien Dyjak parle d’un travail qui s’impose dans notre société.« Le vol c’est l’immédiateté » dans une société où la précarisation est de plus en plus présente. Pour lui, « il importe donc de redonner à la population une vision à long terme ».
« Notre première ligne de défense c’est notre personnel »
Dans ce cadre Dominique Ciravegna insiste sur l’importance du capital humain : « Notre première ligne de défense c’est notre personnel. Sans lui on ne peut rien faire. alors, pour véhiculer une politique de sécurité il importe de renforcer un sentiment d’appartenance à l’entreprise une fierté de travailler pour elle ».
Sentiment d’appartenance bien réel dans la gendarmerie mais aussi adaptation. Le lieutenant colonel de gendarmerie Maupetit avance : « La gendarmerie s’adapte en permanence, elle s’adapte grâce aux nouvelles technologies, elle se rapproche de la population. Chaque gendarme est une brigade à lui tout seul. Il va voir la victime avec son portable et prend plaintes et informations sur place ».
« le danger qui arrive est celui de la cybercriminalité »
Le général de gendarmerie Chubbberre, commandant de groupement du Gard précise au terme de ces débats : « Il faut porter plainte le plus rapidement possible et à proximité des faits incriminés » avant de mettre en garde :« le danger qui arrive est celui de la cybercriminalité, un danger auquel nous nous adaptons ».
Bernadette Leroy, la présidente de l’ACBM rappelle le champ d’action de l’association et indique que la prochaine rencontre se déroulera à Marseille, en novembre, et portera sur l’influence de la Pop Music dans le monde.
Michel CAIRE