On connaît le chef à succès, triple étoilé Michelin depuis 2008 avec le Petit Nice et propriétaire du restaurant le Môle au MuCem. Celui qui a servi de tremplin à la haute gastronomie à Marseille. On connaît moins le Gérald Passédat solidaire, prêt à s’engager pour les bonnes causes. Portrait.
Un chef fraternel
Son visage anguleux, à peine adouci par des cheveux ondulés poivre et sel, ne prête pas à la confidence, n’offre pas la chaleur méridionale coutumière. Il est trompeur. Gérald Passédat aurait pu se contenter d’être un chef de renom et un manageur à succès mais il a voulu faire partager son savoir et s’engager pour aider ceux qui ont besoin d’un coup de pouce. « Il est grand temps de léguer mon savoir, de mener des actions humbles, fraternelles », confie sobrement l’étoilé Michelin. « Cela a commencé avec les pêcheurs que j’ai aidés avec mes commandes pour le restaurant et je poursuis en léguant mon savoir à mon personnel ». Mais Gérald Passédat ne s’arrête pas là. Voilà quelques mois il a été très touché par la demande de l’Après M, l’ancien Mac Do implanté à Sainte Marthe (14e). «Ce sont des gens extraordinaires. J’ai voulu les aider dans leur parcours pour faire revivre ce lieu, apporter une recette voire deux et peut-être trois, de burger (NDLR -Le burger «l’Ovni étoilé», signé Gérald Passédat, au bœuf ou poisson est de loin la meilleure vente de l’Après M. ). Ces personnes-là méritent une écoute fraternelle de tout le monde ». Il apporte aussi ses conseils dans les cantines des collectivités pour magnifier les produits et a un pied dans l’association La Petite Lili, à l’origine du restaurant solidaire, Le République. «Ces actions je n’en ai pas fait des tartines », glisse Gérald Passédat «Mais, poursuit-il, à un moment il faut dire les choses. On a pignon sur rue mais il n’y a pas que ça. Le tissu associatif est important pour moi même si j’ai un établissement de luxe.».
Magnifier les poissons
« La façon dont on se nourrit, on nourrit son âme », clame Gérald Passédat. Ce qu’il souhaite qu’on garde de lui c’est « sa cuisine sans crème, sans beurre, juste sur le fil du rasoir pour plus de digestibilité ». Il rappelle que dans les années 80-90 « il n’y avait pas grand-chose à Marseille. Il y avait très peu de restaurants, ils se comptaient sur les doigts d’une main. Mes parents avaient fait un travail de dingue et ont obtenu une deuxième étoile en 1981. Il y avait un trou béant où les touristes étaient pris… pour des touristes et ce n’était pas sain. Il n’y avait pas cette passion pour la cuisine qui est actualisée depuis les années 2008-2010 ». 2008 est l’obtention d’une troisième étoile pour le chef du Petit Nice. Puis Marseille, capitale européenne de la culture en 2013, a été un énorme booster. Gérald Passédat se félicite: « Marseille est en train de décoller gastronomiquement parlant et je pense y avoir concouru en mettant en exergue des poissons oubliés de la Méditerranée en les magnifiant et cela a été un tremplin pour la haute gastronomie.»
Visite guidée et grande fierté
Lors de notre rencontre sur la terrasse du restaurant, un client canadien aborde le maître des lieux. Il veut saluer l’hôte qu’il a vu à la télévision Outre-Atlantique. «Merci d’être venu dans cette maison», enchaîne Gérald Passédat, vous restez quelque temps avec nous ? ». « Oui on a retenu une semaine avec ma femme ». On sent une certaine satisfaction chez «l’aubergiste», ravi de voir l’attachement à son établissement. Le temps est compté, mais Gérald Passedat a quelques minutes pour une visite de la salle à manger, sa fierté. « D’un côté on a la Méditerranée, de l’autre les toiles de Gérard Traquandi. Tout ce que j’aime c’est la simplicité et l’élégance. Il n’y a pas grand-chose c’est juste dans les blancs. Ma salle à manger est ouverte sur la Méditerranée c’est de là qu’est parti ma cuisine quand j’étais enfant, j’étais tout le temps là à faire des arapèdes, des oursins, des violets. A pêcher à la fouine, la palanque et au harpon. Ça c’est mon royaume quand j’étais gamin. C’est ce qui m’a amené à faire ce que je fais maintenant. Cette maison est devenue une entreprise et cette entreprise est redevenue ma maison. C’est pour cela que je me qualifie d’aubergiste. Ici on reçoit, on fait tout pour que les gens se sentent bien. Il faut vraiment que tout soit sans anicroche». L’artiste Passédat, regardant par la fenêtre, se fait lyrique: « Il faut que ce soit comme un petit nuage qui passe comme ça, dont la beauté est en lévitation». Et de conclure: « Un restaurant gastronomique c’est un voyage ».
Gérald Passédat s’est remis d’une double greffe du foie voilà cinq ans. Elle l’a tenu éloigné des cuisines un bon moment. Aujourd’hui tout va bien. Il marche sur ses deux jambes. Celle du chef étoilé et celle du frère qui aide ceux qui en ont besoin.
Reportage Joël BARCY