Frédéric Tellier est venu au Cézanne d’Aix-en-Provence présenter en avant-première son film «L’abbé Pierre, une vie de combats».
Un nouveau film sur l’Abbé Pierre… Un biopic de plus me direz-vous. Eh bien pas du tout. Signé Frédéric Tellier, voilà un long métrage qui évidemment raconte l’homme de paix que fut Henri Grouès qui, à la fois résistant, député, défenseur des sans-abri, révolutionnaire et iconoclaste, devint l’Abbé Pierre. Tous ces éléments biographiques sont présents, mais il s’agit surtout d’une réflexion sur la résilience, et sur les engagements de transmission, de partage, de foi, où, plutôt que d’affirmer de manière péremptoire on interroge le réel, (tant le réalisateur a fait sienne cette idée que le malheur de la question c’est la réponse).
Dans une salle du Cézanne très émue, et dans laquelle étaient présents de nombreux compagnons d’Emmaüs de la région aixoise a été rappelé le combat de l’Abbé Pierre en donnant de l’homme un visage plutôt contrasté, brossant avant tout le portrait d’un homme qui doute et qui se pose énormément de questions. Tout ceci lié à des images étonnantes notamment des prises de vue dans le désert, lieu qu’affectionnait l’homme d’église, et une esthétique rappelant par moments la beauté des tableaux des peintres flamands.
Des images d’autant plus poignantes que le rôle de l’abbé Pierre est tenu par un Benjamin Lavernhe méconnaissable, lui ressemblant jusqu’à se fondre dans le personnage en se déplaçant comme lui, portant sa voix jusqu’à l’osmose, et on se surprend à penser par moments quand il apparaît de dos que nous sont présentées des images d’archives alors que le réalisateur n’en a utilisé qu’une seule durant les deux heures quinze que dure ce long métrage où l’on ne voit pas le temps passer. Où l’on apprend de surcroît une foule de choses étonnantes comme l’amour fraternel et intense que l’Abbé Pierre entretint avec Lucie Coutaz (portée par Emmanuelle Bercot au sommet de son art), elle qui l’accompagna dans sa lutte contre la pauvreté pendant plus de quarante ans. Âme-sœur indéfectible, bras droit fidèle et héroïne qui accepta de rester dans l’ombre du mythe, elle entre enfin, avec ce film dans les mémoires.
« Ne jamais s’habituer à la souffrance et ouvrir des œillères »
Nous suivons donc le destin magnifique d’Henri Grouès alias l’Abbé Pierre, qui, né dans une famille aisée, va faire la guerre, et des bancs de l’Assemblée Nationale aux bidonvilles de la banlieue parisienne, vivre son engagement auprès des plus faibles qui lui a valu une renommée internationale. La création d’Emmaüs et le raz-de-marée de son inoubliable appel de l’hiver 54 ont fait de lui une icône.
Demeurées inconnues ses fragilités, ses souffrances, font l’objet d’une approche empathique et très cinématographique (la mise en scène est inventive) où surgit un homme révolté très camusien qui, souvent critiqué, parfois trahi, eut mille vies et mena mille combats. Benjamin Lavernhe est d’ailleurs très juste quand il évoque le film lui-même : « C’est une très grande envie que le film reste dans le cœur des gens. Le but, c’est d’ouvrir les œillères, de les rendre à nouveau poreuses dans le bon sens du terme, à la souffrance des autres et surtout à ne jamais s’habituer à la souffrance de l’autre» , explique-t-il . « Je pense, dit-il, que l’héritage de l’abbé Pierre est grand par Emmaüs, par le travail de la fondation Abbé Pierre. Et qu’un film de cinéma s’empare de ce sujet et en fasse un grand film romanesque d’aventures, un film sur l’histoire du siècle et un portrait aussi intime de ce monsieur qui est absolument extraordinaire, c’est une manière de continuer le combat». Cinéaste généreux qui a offert aussi à Alain Sachs ou Michel Vuillermoz des rôles forts et inoubliables, Frédéric Tellier prolonge ici un des messages de l’abbé Pierre qui dit avec force qu’il ne faut jamais s’habituer à la misère. On saluera ce film citoyen qui réchauffe l’âme en ces temps où on s’aperçoit que depuis l’hiver 54 rien n’a vraiment changé dans les rues de France… et d’ailleurs.
Jean-Rémi BARLAND
L’Abbé Pierre – Une vie de combats, le nouveau film de Frédéric Tellier avec Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot et Michel Vuillermoz, au cinéma le 8 novembre.