Marseille. Théâtre de La Criée. «Hélène après la chute» de Simon Abkarian, «Deux Grecs sur un divan», un puissant hymne féministe

« C’est un combat », nous dit Simon Abkarian l’auteur de la pièce « Hélène après la chute » donnée au théâtre de La Criée jusqu’au 22 décembre « entre deux corps meurtris qui s’affrontent en tombant». Loin de la lascive passivité dont elle fait preuve dans le texte d’Homère, Hélène s’insurge ici face à la servilité dans laquelle sont maintenues les femmes de son entourage.

Destimed helene apres la chute photo antoine agoudjian
Aurore Frémont et Brontis Jodorowsky complémentaires et inoubliables dans « Hélène après la chute » (Photo Antoine Agoudjian)

Force vive, lucide, et indocile, Hélène confronte Ménélas à ses abus et l’oblige à constater les dégâts commis par ses pairs. Après «Electre des bas-fonds» Simon Abkarian s’empare ici d’un autre mythe antique en conservant toute sa dimension épique et tragique mais en le plaçant dans une criante modernité, faisant la part belle aux questionnements des femmes de notre temps. Là encore le dramaturge signe un puissant hymne féministe et signe un texte tellurique et sanguin dont on sort éblouis et conquis. « Je ne me repentirai pas d’un crime que je n’ai pas commis. Aucun regret ne viendra souiller le dernier souffle de ma vie. Jamais je ne demanderai pardon ni à toi ni à aucun autre Grec», dit-elle avant d’ajouter : «Buvons. Quand le vin donne des ailes à l’esprit, la parole surgit d’elle-même». Face à Hélène qui a provoqué la Guerre de Troie et dont Simon Abkarian dit qu’elle ne fut pas enlevée mais est partie de son plein gré (c’est sa version du personnage) Ménélas avait lancé : « Je ne suis pas un putain de marin. J’en ai assez de prendre la mesure de mon courage à l’aune de mes plaies. Je n’en peux plus de ces rames, de ces armes. La vigie de notre amour est tombée de son perchoir. Je n’en peux plus de naviguer à vue, de barrer sans l’espoir d’un rivage. Aveugle, je ne sais plus crier terre. » On comprend qu’il s’agit là d’un agrégat de douleurs et de plaintes combatives.

Scénographie circulaire superbe

Afin de mettre en forme et en place tous ces éléments narratifs, Simon Abkarian a choisi une scénographie circulaire où sur une sorte de canapé se débattent ces deux amants désunis. Lumières bleutées et orangées, le tableau digne des œuvres de maître qui surgit devant nous, est d’une beauté picturale puissante. Pour incarner les deux protagonistes de ce combat de fauves au petit matin, l’auteur qui signe aussi la mise en scène et dont le texte est disponible chez Actes Sud-Papiers a choisi deux interprètes d’une force elle aussi explosive. Aurore Frémont (déjà impressionnante dans «Electre» de ce même Simon Abkarian) est ici d’une présence magnétique. A ses côtés Brontis Jodorowsky ( le mystérieux « Nicolas Flamel » du film « Les animaux fantastiques 2 », fils aîné de l’auteur et réalisateur chilien Alejandro Jodorowsky et de Bernadette Landru) montre qu’il est un comédien de théâtre d’une force inouïe. On ajoutera que dans ce corps à corps il n’y a pas de chœur, mais deux solitudes. Pas de guitare ni de batterie, mais un piano confié à Macha Gharibian aux saisissants accents schubertiens. Un spectacle beau, âpre, pétri d’humanisme universel. Une œuvre d’art en fait.

Jean-Rémi BARLAND

« Hélène après la chute » de Simon Abkarian. Éditions Actes Sud-Papiers. 50 pages, 11 €. A voir au Théâtre de La Criée, 30 quai de Rive Neuve . 13007 Marseille, jusqu’au 22 décembre à 20h. Réservations 04 91 54 70 54 ou au guichet ou encore sur theatre-lacriee.com

 

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