Paris. Théâtre du Rond-Point. Rencontre avec Louis Arene, metteur en scène et collaborateur artistique de trois spectacles flamboyants

C’était du 6 au 9 décembre 2006 au Théâtre du Gymnase de Marseille. Louis Arene incarnait le jeune Jonas Suter dans la pièce « Marcia Hesse », un chef d’oeuvre signé Fabrice Melquiot et mis en scène de manière inoubliable par Emmanuel Demarcy-Mota. On y découvrait un acteur puissant, qui, né le 6 juin 1985, demeure un des comédiens les plus brillants de sa génération. Parcours exemplaire de créativité que le sien, puisqu’il mêle aussi bien les arts de la comédie, du mime, de la peinture, de la danse, du cirque et et des masques.

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Louis Arene : « Le Théâtre est là pour nous mettre en face de nos contradictions. »( Photo Jean-Rémi Barland)

Comédien et plasticien, il fait ses études au lycée Claude Monet, option théâtre, où il rencontre Emmanuel Demarcy-Mota avec lequel il jouera par la suite dans plusieurs spectacles : Le Diable en partage et Marcia Hesse de Fabrice Melquiot, Peine d’amour perdue de Shakespeare. Il se forme ensuite à l’École du jeu (École de théâtre de Paris) puis entre au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique. Il a pour professeurs Alain Françon, Dominique Valadié, Michel Fau, Mario Gonzalez, Christiane Cohendy, Caroline Marcadé… Il se passionne très vite pour le travail du corps et un théâtre physiquement engagé. La danse et l’improvisation seront très tôt présentes dans ses travaux.  En sortant du Conservatoire, il écrit, met en scène et interprète son premier spectacle, le solo La Dernière Berceuse, qui obtient le Prix des Arts de l’Académie Nationale d’Art Dramatique Silvio d’Amico de Rome et le Prix du Jury 2011 du festival Passe-Portes de l’île de Ré.

A La Comédie-Française entre 2012 et 2016

Pensionnaire de la Comédie-Française entre 2012 et 2016, il y met en scène et joue La Fleur à la bouche de Pirandello. Il incarne des rôles pour de nombreux metteurs en scène : Muriel Mayette, (qui ne tarit pas d’éloges à son sujet), Christian Hecq et Valérie Lesort, Clément Hervieu-Léger, Giorgio Barberio Corsetti, Jean-Yves Ruf… En 2015, il crée les masques de Lucrèce Borgia de Victor Hugo dans la mise en scène de Denis Podalydès. En dehors de la Comédie-Française, il joue pour Philippe Calvario, Laurent Hatat, Cosme Castro et Jeanne Frankel, Annabelle Simon, Dominique Catton, Mélodie Berenfeld.

Le Munstrum Théâtre

Sa grande affaire demeure sans conteste le Munstrum Théâtre co-fondé en 2012, avec Lionel Lingelser, compagnie au sein de laquelle il est metteur en scène, acteur, scénographe et créateur de masques. « On a créé cette compagnie, dit-il, comme un laboratoire d’objets masqués. On a eu des cours de masques au Conservatoire, et c’est une technique de travail très ludique. En masques on peut tout jouer. L’acteur est créateur, et on était un peu frustrés que cet objet ne puisse servir qu’à exprimer des choses comiques. Alors on a travaillé sur l’essence de l’expression, en enlevant le gros nez du clown, en faisant du masque une surface de protection, plutôt que d’exposer un faciès».

«Il faut préciser, ajoute-t-il, que c’est une rencontre aussi avec une résine spéciale qui sert à faire des semelles orthopédiques et qui a pour avantage de ne pas donner naissance à des masques lourds mais légers. Le masque devenant brillant, comme la couleur de la peau. On peut le salir. Cela donne un autre rapport à la théâtralité. C’est plus brut et ça crée un trouble. Il est de plus très fin. On ne voit pas trop la différence entre le masque et la peau. Ce qui donne une chose modifiée, cela ouvre un champ poétique. »

Entre créations originales et mises en scène de textes contemporains, la singularité de la compagnie s’exprime par un geste esthétique puissant et une radicalité poétique au service de thématiques sociétales fortes. Une recherche autour du masque, objet théâtral par excellence, traverse les spectacles de la compagnie avec une modernité inédite. « La Compagnie , explique Louis Arène, c’est une histoire de famille, avec qui on partage une vision commune du théâtre. On réfléchit beaucoup ensemble. Je ne sais pas où je vais parfois, mais de manière déterminée, comme si on tirait un fil dans la nuit. Un public jeune nous suit, et c’est formidable d’attirer cette tranche d’âge de spectateurs.»

En février 2025 avec le Munstrum, Louis Arene créera le spectacle Makbeth, d’après l’œuvre de Shakespeare, co-écrit avec Lucas Samain qui sera quant à lui au Rond-Point du 23 janvier au 10 février pour Derrière les lignes ennemies  dont il a signé texte et mise en scène. « Pour ce  Makbeth, précise-t-il, on sera huit au plateau . On travaille beaucoup à partir d’impros et une fois calées, ça ne bouge plus. Pour moi le Munstrum Théâtre c’est une troupe unie. On a grandi ensemble théâtralement. On donne énormément de nous-mêmes. Il y a une flamme qui nous meut. Cette flamme est transmise au public. Et j’ai toujours l’impression de recommencer à zéro quand je démarre un projet. Je sais que l’on s’attaque à un monument quand on monte Shakespeare mais cette notion on l’oublie en se disant qu’on va offrir son œuvre aux gens du public qui sont comme des amis dans la salle. » Quant au nom lui-même du Munstrum Théâtre il est en relation avec le fait que la compagnie est basée à Mulhouse, ville de naissance de Lionel Lingelserle co-fondateur. Louis Arene raconte: « Quand nous avons décidé de monter notre propre structure, Lionel a demandé à sa grand-mère comment on disait « monstre » en alsacien, puisque c’était l’un des maîtres-mots associés à notre projet. C’est ainsi que l’appellation « Munstrum Théâtre » fut choisie. »

Louis Arene est aussi une voix….

Au fil des ans Louis Arene monte également Le Chien, la Nuit et le Couteau (2016) de Marius von Mayenburg et Zypher Z (2021), création mobilisant toute l’équipe du Munstrum, écrite en collaboration avec Kevin Keiss. Avec Lionel Lingelser, il co-signe la mise en scène de L’Ascension de Jipé (2014) et Clownstrum (2018). Louis Arène c’est aussi une voix. Assez prenante ce qui l’a conduit à enregistrer pour les éditions Thélème et Gallimard une succession de lectures audio d’œuvres complètes. Citons en vrac  pour Thélème le tome 4 des Misérables de Victor Hugo ou  Lame de fond» de Linda Lé, et pour Gallimard :  En attendant Bojangles  de Olivier Bourdeaut et  La famille Martin de David Foenkinos. Le comédien explique : « Ce sont à chaque fois des commandes de lecture et je prends beaucoup de plaisir à cet exercice. » Passionné de littérature Louis Arene a publié aussi un livre pour enfants, Histoires et célèbres inconnues (2007), avec Fabrice Melquiot.

« 40° sous zéro » de Colpi

Artiste associé au Théâtre du Rond-Point Louis Arene interviendra d’abord en janvier sur  40° sous zéro de Copi dont il signe la mise en scène et qui est de fait une création originale du Munstrum Théâtre. Composé de deux pièces L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer  et  Les quatre jumelles  ce spectacle peut se résumer ainsi : « Monstrueuses, hilarantes et subversives, ces deux pièces au climat frigorifié mettent en scène les luttes fratricides de personnages cruels extravagants en marge de la société et de l’espèce humaine. Ici, on change de sexe à volonté et on crève pour mieux ressusciter dans un ballet post-apocalyptique jubilatoire. En jouant des contrastes entre kitsch et sublime, cruauté et drôlerie, le spectacle est aussi une œuvre plastique et musicale qui révèle la portée politique et la poésie déglinguée de Copi. Dans une transe joyeuse et dévastatrice est célébré un théâtre de la catastrophe et de la cruauté certes, mais un théâtre du rire et de la surprise avant tout. Un théâtre de la fin de l’impossible où la révolution pourrait enfin advenir. » Et Louis Arene de souligner  : «Réentendre l’écriture de Copi est un choc. C’est l’écriture subversive d’un auteur qui n’est pas « convenable », qui n’est pas bien-pensant. Sa parole est un souffle qui nous fait du bien. Un hymne à la liberté, à la transformation. Ce sont des farces, sur des êtres très sombres dont il fait des personnages flamboyants. Il s’empare ici de la figure du monstre, et il nous en propose une vision humaine. On y retrouve les drag-queens chers à Copi, c’est un vrai délire.» L’homosexuel ou la difficulté de s’exprimer situé en Sibérie,  et Les quatre jumelles  dont l’action se déploie en Alaska révèle le monde de Copi peuplé uniquement de «folles », de «maquereaux» «de lesbiennes » «d’androgynes». Avec sur scène Louis Arene, Lionel Lingelser, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Alexandre Esthève, François Praud. Que de l’excellence en somme ! Notons que l’on a pu voir déjà « 40° sous zéro » dans le Off du Festival d’Avignon en 2019 et que ce fut un choc pour tous ceux qui ont applaudi cette création.

« Le mariage forcé » de Molière

C’est en 2022, à la Comédie-Française que Louis Arene a déjà monté Le Mariage forcé de Molière, courte pièce s’inscrivant dans le cadre de la célébration des 400 ans de la naissance de Poquelin. Une «farce» qui sera reprise au Théâtre du Rond-Point du 20 février au 1er mars 2024. Aujourd’hui, avec ses comparses de la célèbre Troupe du Munstrum Théâtre il s’empare du Mariage forcé, en soulignant le caractère féministe très actuel de la comédie : « Les données habituelles d’une société patriarcale y sont inversées sous les traits d’une coquette effrontée, bien décidée à en découdre avec la domination masculine»,  explique Louis Arene qui, à l’aide d’un jeu de masques, permettant de poursuivre une réflexion autour du genre « fait de la pièce une expérience singulière où les rapports amoureux sont cruellement mais joyeusement malmenés, tout en lui offrant une dimension onirique et picturale horrifique remarquable.» Sylvia Bergé, Julie Sicard, Christian Hecq, Benjamin Laverhne, et Gaël Kamlindi, tous de la Comédie-Française composent la distribution qui est elle aussi à la hauteur du texte et de la mise en scène.

« Les possédés d’Illfurth » texte de Yann Verburgh écrit en collaboration avec Lionel Lingelser

Ralentir…chef d’oeuvre Les possédés d’Illfurth le texte de Yann Verburgh (dramaturge dont on verra très prochainement Le théorème du pissenlit le 17 février aux Salins de Martigues, et les 22 février et 23 février à La Criée de Marseille), est une œuvre tellurique. Bouleversant et magnifique. impressionnant de présence,  Les superlatifs viennent à manquer pour rendre compte de la performance de Lionel Lingelser dans ces Les possédés d’Illfurth. Il invente, il raconte, il crée des formes, il rend un hymne vibrant au pouvoir immense des contes, et au théâtre tout entier. Il faut l’entendre se glisser dans la peau et la voix d’un metteur en scène survolté qui n’est autre qu’Omar Porras, le voir brosser le portrait d’un être épris de sensibilité se souvenant de son enfance, et d’un homme d’aujourd’hui affrontant un dragon, pour parler oui de prouesse inoubliable. Au départ de ce texte de Yann Verburgh auquel il a apporté sa collaboration dans l’écriture, l’histoire de deux enfants supposés s’être retrouvés sous l’emprise de démons. Natif de ce lieu le comédien et metteur en scène Lionel Lingelser, avec toute l’équipe du Munstrum, s’en empare. À travers le personnage d’Hélios, avatar fantasmé de l’enfant qu’il était, il tire un fil imaginaire jusqu’aux deux possédés, interrogeant le rapport aux croyances et au mal. Seul en scène, et unique vecteur de sens et d’émotion, entretenant avec le spectateur une relation de grande proximité, à la fois bouleversante, joyeuse et intense. Les rapports à la mère, au père, aux gens du village et de la troupe à laquelle il participe, donnent naissance à des scènes cocasses, burlesques, tristes ou explosives comme une montée de lune dans La nuit des rois . Notons la collaboration artistique de Louis Arène, magicien des formes, pour ce qui est une œuvre folle, hors normes et d’une beauté visuelle incomparable. Démons et merveilles en fait…

« Le théâtre est là pour créer des problèmes »

 Acteur et créateur de fait polyvalent, Louis Arene aime tordre les conventions artistiques . D’une présence magnétique sur scène (pour preuve sa performance dans Histoire de la violence d’après Édouard Louis, où il incarnait Édouard, pièce créée d’abord en résidence à La Chartreuse de Villeneuve-Lez-Avignon, du 29 avril au 12 mai 2019 avec Samir M’Kirech (Reda) et Julie Moulier (Clara) dans une adaptation et mise en scène de Laurent Hatat et Emma Gustafsson), Louis Arene n’est jamais là où on l’attend. « Le théâtre est là pour créer des problèmes. Nous mettre face à nos contradictions, Questionner les normes, ouvrir des perceptions », aime à dire celui que le journaliste Olivier Fregaville-Gratian d’Amore a défini comme « un faiseur d’images fantasmagoriques. » Une excellent formule pour résumer la vie et l’œuvre de Louis Arene, également passeur de culture, au point d’être intervenant metteur en scène à l’Université Bordeaux-Montaigne, auprès des étudiants en deuxième année.  Et en 2023 comme metteur en scène et pédagogue à L’Académie de l’Union à Limoges, à l’Ensatt à Lyon et à l’Esca à Asnières. Un artiste qui met, comme on s’en aperçoit, en permanence un peu d’oeuvre dans sa vie et de vie dans son œuvre. Un type bien en somme !

Jean-Rémi BARLAND

Louis Arene est un artiste invité du Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75 008 Paris sur trois spectacles :

  • « 40° sous zéro » de Copi. Du 11 au 27 janvier 2024.
  • « Le mariage forcé » de Molière. Du 20 février au 1er Mars 2024.
  • « Les possédés d’Illfurth » de Yann Verburgh et Lionel Lingelser. Du 14 mai au 1er juin 2024.

Renseignements, horaires, réservations sur   Theatredurondpoint.fr  par téléphone au 01 44 95 98 21, ou sur place.

 

 

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