Livre – Eric Delbecque: « Les ingouvernables » ou la tentation d’une France léopard

Publié le 25 mars 2019 à  13h54 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  23h37

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«La possibilité d’un terrorisme contestataire, c’est-à-dire issu des rangs de l’ultragauche, de l’extrême gauche classique, de l’altermondialisme ou d’un obscur mouvement de libération animale ou de protection de l’environnement se situe tout à la fin des périls qui angoissent l’humanité au XXIe siècle», précise, dès son introduction, Eric Delbecque, dans son nouvel ouvrage «Les ingouvernables» sous-titré «de l’extrême-gauche utopiste à l’ultragauche violente, plongée dans une France méconnue». Il n’en ignore pas moins: «Les affrontements musclés de Notre-Dame-des-Landes, ceux de la manifestation du 1er Mai ou encore le mouvement des gilets jaunes». L’auteur considère qu’une mutation est à l’œuvre dans une ultragauche qui ne vise plus le Grand soir «mais l’instauration progressive d’une France trouée, d’une « France léopard » où la République ne sera plus partout chez elle». Et nous invite à remonter à la source des différents courants, parfois contradictoires, qui constituent la mouvance actuelle. Constate une sympathie pour ce mouvement,«pour cette pointe de diamant la plus inquiétante de l’anticapitalisme ne dépassant pas quelques milliers de personnes». Une sympathie qu’il explique notamment: «Parce qu’elle se nourrit, comme les autre radicalismes (d’extrême droite et salafiste), des abandons de notre modèle démocratique libéral et des injustices d’un système économique qui favorise exagérément les acteurs clefs des marchés financiers tout en portant les intérêts de l’Oncle Sam», sans oublier les projets hégémoniques des États-Unis et de la Chine. Il enfonce le clou: «Ces mêmes élites persévèrent à considérer peuples et nations comme la mouche du coche, le caillou dans la « godasse » de l’hyperclasse». «Les marges, entendez la France périphériques des gilets jaunes et les banlieues abandonnées ne sauraient à juste titre l’accepter avec bonhomie», indique-t-il avant de dénoncer: «Une indifférence sans cesse grandissante de l’hyperclasse pour les difficultés des Français les moins favorisés». L’auteur, très rapidement, prévient : «Le dénominateur commun que nous percevons plus ou moins confusément entre la galaxie protestataire « ultragauchiste », le camp salafiste et les troupes du national-populisme est une nostalgie de l’ordre holiste (ou communautariste) qui fait prévaloir la collectivité sur la personne». Et, plutôt qu’ultragauche, Eric Delbecque propose d’appeler cette mouvance «Les Ingouvernables» car, rejetant tous «l’idée même de gouvernement» ou encore la galaxie HipPunk «néologisme hybride où se mêlent les courant hippie et punk». Deux courants qui, pour l’auteur, «transcendent l’extrême gauche d’origine marxiste». Le voyage dans lequel nous entraîne Eric Delbecque commence à la ZAD (Zone à défendre); signale que, sur l’ensemble des Zadistes de Notre-Dame-des-Landes, seulement une cinquantaine, étaient violents et savaient utiliser violence et images, pour tenter d’obtenir un dérapage des forces de l’Ordre. Sachant que «les gendarmes perdent à priori la bataille de l’image». Alors, documents officiels ou de mouvements eux-mêmes, à l’appui, l’auteur nous conduit sur les pas des « black blocs », de leur esthétique de la violence, des groupuscules écoterroristes. Il nous rappelle que: «dans plusieurs ZAD, les activistes empêchèrent les médias de travailler sur la zone afin de conserver le monopole des images destinées au public». Souligne que, si des bavures peuvent exister et sont condamnables, les forces de l’Ordre sont parfaitement formées pour travailler dans des conditions difficiles. Il évoque longuement à ce propos la stratégie des black blocs qui conjugue violence, provocation et utilisation des images. Une guerre de l’information dans laquelle les entreprises excellent aussi, rappelle l’auteur qui n’a de cesse d’éviter le piège du manichéisme. Ainsi, il n’omet pas de placer cette mouvance dans un contexte de «guerre économique planétaire qui accroît les inégalités». Et d’inviter à ne pas commettre une erreur qui consisterait à croire que: «le Président Trump impose à son pays une nouvelle politique depuis son accession au « pouvoir suprême ». Démocrates et Républicains ne s’opposent en rien sur les objectifs de la politique étrangère». Le danger pour l’Europe et le reste du monde réside dans «une mise sous tutelle économique et juridique». Selon Eric Delbecque: «Rien ne fut plus toxique que la célèbre phrase de Margaret Thatcher « There is no alternative », voulant imposer l’idée que la mondialisation libre-échangiste et le capitalisme financier les plus brutaux constituaient le seul avenir possible pour les Nations du globe». Et la critique de l’ENA passage obligé de l’officialisation des dominants conjugue pertinence et un style qui ne se dément pas tout au long de l’ouvrage. Comment va le monde? Pas bien nous répond Eric Delbecque qui tire un signal d’alarme, invite à la réflexion, aux propositions pour permettre à une jeunesse de sortir d’une logique de « no future ».
Michel CAIRE
Eric Delbecque: « Les ingouvernables: de l’extrême gauche utopiste à l’ultragauche violente. Plongée dans une France méconnue ». Éditions Grasset. 20,90 euros

Expert en sécurité intérieure, Eric Delbecque est membre du conseil scientifique du CSFRS (Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques). Colonel de réserve de la Gendarmerie nationale, il fut conseiller défense auprès du ministre de l’Intérieur (2009-2012) et responsable de la sécurité de Charlie Hebdo après l’attentat de 2015. Docteur en Histoire contemporaine, diplômé de Sciences-Po et de la Sorbonne, il a enseigné entre autres à l’ENA, l’ENM et à l’EOGN (École des officiers de la gendarmerie nationale). Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’intelligence économique et la sécurité.

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