Magnifique ! Puissant ! Féérique ! Inoubliable ! Comme tous les spectacles d’ailleurs d’Omar Porras, qui, dès qu’il s’empare d’un sujet, d’un récit, d’une histoire qu’il a inventés ou adaptés de grands auteurs les transforme en or massif.
Le public ne s’y trompe pas, qui, subjugué, fait un triomphe à chaque production proposée par ce metteur en scène inventif et lumineux. Un artiste singulier qui étonne, ravit, et qui, sans renoncer à ses fondamentaux se réinvente à chaque spectacle. On se souvient de sa version de « Maître Puntila et son valet Matti » de Brecht, donné en octobre 2007 au Théâtre du Gymnase de Marseille, ou de « Ma Colombine » tel qu’on a pu le découvrir en juillet 2019 au Gilgamesh Théâtre d’Avignon dans le cadre du Festival Off, où sur un texte de Fabrice Melquiot, un de nos grands dramaturges français, Omar Porras jouait ce que furent certains moments de sa vie. Nous étions conquis, bouleversés, transportés, dans un monde onirique aux mille fragrances vives. Impressions de liberté facétieuse confirmés avec « Le conte des contes » vu au Toursky dans une mise en scène festive d’Omar Porras d’après le texte de Gianbattista Basile qu’il a cotraduit et coadapté avec Marco Sabbatini. Le scénario tient dans la main.
Un raconteur au chevet d’un enfant mélancolique
« Pour tenter de guérir leur fils de sa mélancolie, des parents appellent un « raconteur » à la rescousse. Afin de le soigner, ce dernier met en scène des contes avec la complicité de la famille. Il y a l’histoire du serpent qui se transforme en homme quand la princesse l’embrasse, celle d’un garçon qui se transforme en jolie princesse, et d’une princesse qui préfère garder le crapaud plutôt que de lui rendre son apparence humaine. Et puis, il y a aussi les contes plus connus de « Cendrillon » ou du « Petit Chaperon rouge » mais revisités avec une liberté facétieuse pas mal déjantée. » Poète des tréteaux qui fait se rejoindre tous les modes d’expressions artistiques (cirque, danse, chant, théâtre, emplois de masques, musiques, peintures), Omar Porras nous conduit ici avec cette adaptation d’un texte publié en 1634-1636 au plus près des sources orales et des vérités de la terre. Il y a, dans tous les spectacles qu’il signe, depuis la création de sa compagnie le Teatro Melandro, en 1990 à Genève, l’héritage de son pays natal la Colombie, «des bouffées fantastiques, des moments qui arrachent toute narration à la simple réalité. En toute lucidité », notait un critique. Pour reprendre la définition de Brigitte Prost, datant de 2020, Omar Porras est « un chamane au pays des licornes». Ou selon l’expression d’Antonin Arthaud appliqué à d’autres il est « un athlète affectif » dont la pensée et le corps ne font qu’un.
Jamais cérébral, un spectacle d’Omar Porras célèbre les noces de la chair et de l’esprit. Avec lui c’est l’enfance à volonté retrouvée. Dans « Le conte des contes » On rit beaucoup, on est émus, on voit se succéder des situations burlesques, tendres, dramatiques, portées par des comédiens exceptionnels eux aussi qui jouent avec l’esprit de troupe indispensable à ce genre de production. De cette guérison par l’oralité on retiendra la présence de Simon Bonvin, qui incarne le prince, de Melvin Coppalle, en cuisinier un peu sorcier, de Marie Evane Schallenberg irrésistible de drôlerie sous les traits de la bonne déjantée, de Cyril Romoli, en père bienveillant, mais un peu patriarcal, d’Audrey Saad, la « Secondine », de Jeanne Pasquier la mère. Sans oublier le Marseillais Philippe Gouin dans la peau du Raconteur qui a signé la chanson « Ange » que l’on entend dans la pièce. Jouant plusieurs rôles s’ajoutant à leur personnage principal, chacun des sept comédiens ouvre la porte d’une galerie où tout est possible, où l’illusion théâtrale nous fait traverser à toute allure dans un joyeux mélange : le sanguinolent, le burlesque, le cabaret et l’érotique.
Composition musicale et arrangements signés Christophe Fossemalle
« Il semblerait que les contes aient leur mot à dire… Ils parlent à l’âme de ceux qui savent les écouter…. », dit le Raconteur interprété par Philippe Gouin tandis que la composition musicale et les arrangements signés Christophe Fossemalle ne surlignent pas les choses mais nous transportent un peu plus haut, un peu plus loin. Un piano sur la scène, des mains coupées qui repoussent, l’adolescence décrite comme un terrain vague, un costume qui donnera les ailes nécessaires pour voguer vers des amours possibles, probables, ne serait-ce qu’imaginaires, plaisir d’amour toujours assaisonné de douleur, le quotidien observé par le fils qui déclare à ce moment là ne voir que des cœurs qui saignent, autant d’éléments savamment agencés. Et « Le conte des contes » dans cette version scénique d’offrir mille lectures possibles. Il était une fois. Il était deux fois. Il était cent fois…et plus encore… Tout respire ici le miracle d’un récit fantasmagorique porté haut et loin par le génie de leurs créateurs.
Jean-Rémi BARLAND
Texte disponible à l’Avant-scène Théâtre. N° 1487