Publié le 16 avril 2019 à 8h31 - Dernière mise à jour le 4 novembre 2022 à 12h47
Le soir du scrutin, les estimations donnaient le parti de centre droit « Bleu-Blanc » de Benny Gantz gagnant et pourtant au matin c’est Benjamin Netanyahou du Likoud, à droite de l’échiquier politique, qui est apparu comme grand vainqueur. Ce renversement de situation a de quoi désarçonner. Aussi voici 10 clés pour mieux comprendre les enjeux, les résultats des élections générales israéliennes et leurs implications.
Les deux plus grands partis israéliens, «Blanc-Bleu», de centre-droit, de Benny Gantz et le Likoud, de droite, de Benjamin Natanyahou, au coude à coude, ont revendiqué le soir-même la victoire. Pourtant, le lendemain, la commission électorale a tranché en faveur du Likoud avec 36 sièges, soit 26,45% des voix, contre 35 sièges, soit 26,11% des voix pour «Bleu-Blanc». Cependant aucun des deux n’a à lui seul la majorité requise pour former un gouvernement. Le Président de l’État Réouven Rivlin a commencé les consultations afin de désigner celui à qui sera confiée cette tâche. Il a jusqu’au 24 avril pour donner sa réponse. Sauf surprise, c’est « Bibi », surnommé «l’inoxydable», qui sera choisi et deviendra le prochain Premier ministre d’Israël, car il a une «majorité naturelle» de 65 sièges. Une longévité qui ne peut se comparer qu’à celle de David Ben Gourion, personnage central de la création de l’État juif. On ne peut comprendre les résultats de cette élection générale 2019, et leurs conséquences, sans connaître les bases qui régissent la démocratie israélienne.
Contrairement à la France, l’État Hébreu est une démocratie parlementaire. La Knesset, le parlement israélien, comprend 120 députés élus tous les quatre ans à la proportionnelle intégrale favorisant un émiettement des voix et, en conséquence, l’impérieuse nécessité de constituer des coalitions pour obtenir une majorité afin de gouverner le pays. C’est au Président, dépourvu de réel pouvoir, qu’il incombe cependant de choisir, pour former le futur gouvernement, le candidat ayant la plus forte capacité à rassembler autour de lui une coalition majoritaire et non celui dont le parti aurait obtenu le plus de voix. Le Président lui-même est élu par la Knesset pour un mandat non renouvelable de sept ans.
Ces coalitions issues de la proportionnelle intégrale sont difficiles à former et instables en fonction des intérêts respectifs des différents partenaires. Cela peut donner un pouvoir démesuré à des partis minoritaires, pourtant essentiels pour former une majorité, et un risque d’instabilité permanente. Ce que devraient méditer les tenants d’une telle réforme de nos institutions sous nos latitudes.
La campagne électorale a été d’une indigence telle qu’on ne connaît pas aujourd’hui les programmes des deux plus grands partis. Les projets politiques ont fait place aux insultes et aux «fake news». Cela n’a donc pas été un déterminant majeur du positionnement des électeurs. Cela laisse, en revanche, toute sa place aux négociations pour former les coalitions. Ce sera donc un programme gouvernemental à postériori, basé sur les revendications ou les concessions respectives des différents partenaires de la coalition.
Les instituts de sondages se sont trompés une fois encore ! Aussi bien que l’on peut se poser la question de leur réelle utilité. A moins qu’ils ne soient devenus des événements fictionnels réguliers comme les séries made in Israël qui remportent tant de succès de par le monde. En conséquence, pour être proche de la réalité, il ne faut pas en tenir compte et chercher l’information ailleurs.
La presse internationale ne fait pas une élection. Les medias mainstream, hormis aux USA, n’ont pas caché leur préférence pour le challenger Benny Gantz, ancien chef d’Etat-major, sans réelle expérience politique. Quant à l’ancien Premier Ministre, les avis mesurés le concernant ont été rares, cumulant à la fois le rejet de sa politique et de sa forte personnalité faisant fis du politiquement correct. Considéré comme un va-t-en-guerre, il a portant fait preuve de retenue suites aux attaques de populations civiles en Israël, de Sdérot dans le Sud, jusqu’à Tel-Aviv au centre du pays.
L’impact de Gaza sur les élections. On aurait pu penser que le retrait de tous les habitants israéliens de Gaza en 2005 aurait pu changer radicalement la donne et pacifier la région. Il n’en a rien été. Les leçons tirées par les dirigeants israéliens, à la suite des différentes campagnes militaires lancées contre le Hamas et le djihad islamique, sont que tant que l’Iran notamment financera ces groupes terroristes islamistes rien de changera. Une nouvelle campagne militaire occasionnerait des pertes civiles et militaires importantes, du fait du retranchement des factions palestiniennes sous les hôpitaux, les mosquées et dans les écoles. Enfin, si le cas échéant, une nouvelle opération était décidée, cela aboutirait, même temporairement, à une nouvelle occupation et par la suite aucun leader arabe n’accepterait de recevoir les clés de Gaza de la main des Israéliens. C’est la raison pour laquelle, c’est la politique d’endiguement qui prévaut aujourd’hui. Ce n’est que du peuple gazoui que peut venir la solution.
Qui a voté qui ? Le Sud d’Israël, pourtant proche de Gaza aurait voté majoritairement Netanyahou. Même s’ils sont très critiques envers la politique de « containment » du gouvernement, chacun sait bien qu’une guerre occasionnerait la perte d’un père, d’un fils, d’un frère ou d’un mari. Car Tsahal, l’armée de défense d’Israël, est avant tout une armée de conscrits et de réservistes. Il ne faut pas confondre réaction à chaud après la chute d’une roquette sur une ville et la décision de rentrer en guerre avec toutes ses conséquences. Sans surprise, les habitants de Tel Aviv, plus à gauche, et du Centre ont soutenu Benny Gantz.
Faible mobilisation des électeurs arabes israéliens. Il faut se méfier des globalisations concernant les minorités et des interprétations hâtives. En effet, aux dernières élections, c’est dans un village Druze que l’on a vu le plus grand nombre d’électeurs voter en faveur du Likoud. En 2019, les citoyens arabes d’Israël se seraient peu mobilisés, pas même auprès des partis qui les représentent traditionnellement (Hadach-Taal ou Raam Balad). Cela est paradoxal, alors que le droit de vote est fortement encadré, voire inexistant dans la plupart des pays environnants. En définitive, leur comportement est comparable à celui de nombreux d’électeurs occidentaux qui désertent les scrutins car ils ne croient plus en la politique, ni aux hommes politiques.
Politique internationale. Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, ce ne sont ni les affaires judiciaires à répétition ciblant le Premier ministre sortant, ni sa personnalité qui irrite autant en Israël qu’à l’étranger qui ont pesé face aux urnes. Ce qui a été priorisé, c’est la capacité de Netanyahou de maintenir un dialogue constructif face aux deux superpuissances ayant pourtant des intérêts contradictoires, et face à des personnalités imprévisibles comme Donald Trump et Vladimir Poutine, alors qu’il n’est que le Premier ministre d’un pays de 9 millions d’habitants. De plus, confronté aux menaces existentielles de l’Iran et à la politique impérialiste de la Turquie d’Erdogan, il a su naviguer en eaux troubles et nouer des collaborations avec les pays « arabes sunnites modérés » ainsi que des alliances fortes avec des pays africains. Et ce n’est que la partie visible de l’iceberg, il en est de même avec la chine, l’Inde et le Japon. Il existe également une communauté d’intérêt fort au niveau énergétique avec les pays européens avec la mise en place du pipeline EstMed.
Quel programme ? Comme en Israël, rien ne se fait comme ailleurs, c’est durant les négociations en vue de constituer la coalition politique que seront déterminées les grandes orientations du prochain gouvernement. Il est donc trop tôt pour en parler. On a beaucoup glosé et réagit aux propos excessifs de campagne des uns et des autres. Ceux qui croient encore aux promesses électorales, en particulier en ce qui concerne les implantations dans les territoires palestiniens, seront probablement déçus. C’est une élection israélienne mais on ne peut agir frontalement contre la plus grande puissance du globe et son deal du siècle.
Une fois encore, Benjamin Netanyahou a démontré qu’il était un «bête politique», déjouant tous les pronostics. Seule la justice, si les affaires contre lui sont suffisamment solides, pourra mettre un terme à sa carrière. Quant aux Israéliens ils ont eu à faire un choix cornélien entre une réorientation de la politique intérieure, y compris le dossier Palestinien, représentée par les espoirs mis dans le parti « Bleu-Blanc » et Benny Gantz ou la politique extérieure dans un Moyen-Orient très instable et menaçant. On sait ce qu’il en est advenu, la balance a pesé en faveur du second.
|Hagay Sobol est médecin et professeur des universités, conseiller PS dans le 11e et 12e arrondissements de Marseille, Secrétaire fédéral chargé des coopérations en Méditerranée|
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