Publié le 16 septembre 2013 à 17h11 - Dernière mise à jour le 27 octobre 2022 à 16h18
En clôture de l’université d’été du Front National, qui s’est tenue ce week-end à Marseille, Marine Le Pen a affiché ce dimanche ses ambitions politiques pour les prochaines municipales de mars 2014, notamment dans la cité phocéenne. Mais si la stratégie politique se veut différente de celle mise en œuvre par son père Jean-Marie durant plus de trois décennies, les ressorts électoraux demeurent les mêmes : l’insécurité, l’immigration, la dénonciation du pouvoir politique en place, du système médiatique et de la construction européenne. Ou comment nourrir une ambition politique nouvelle avec de vieilles recettes.
« Salut à toi Marseille ! » : ce tutoiement de rigueur scellé dès l’entame de son allocution par Marine Le Pen ce dimanche 15 septembre devant 4 500 de ses partisans – selon les chiffres fournis par le FN – réunis au Parc Chanot, où le parti d’extrême-droite a tenu son université d’été ce week-end, témoigne de l’ambition que nourrit la présidente du FN en vue des Municipales de mars 2014 dans la cité phocéenne. Car près de vingt ans après avoir conquis une municipalité de plus 100 000 habitants, Toulon, et trois autres villes de la région Paca (Marignane, Orange et Vitrolles), du temps où Jean-Marie Le Pen présidait aux destinées du mouvement, sa fille voit aujourd’hui plus grand : s’installer au printemps prochain au sein de l’Hôtel de Ville de la deuxième ville de France.
Une ambition qui lui apparaît légitime à plus d’un titre. Elle s’appuie tout d’abord sur les résultats des élections partielles où ses candidats ont su faire trembler « l’UMPS ». Des épisodes politiques dont Marine Le Pen tire une conviction forte : « Le front républicain est mort. La funeste bipolarisation de la vie politique est enterrée. Les électeurs ont prouvé que le vote FN, moins que les autres, est un vote protestataire » mais « un vote positif, d’adhésion, assumé, plein d’espoir ». Et la présidente du FN d’en venir ensuite à ce qui constitue à ses yeux le plus grand succès de son parti en cette année 2013: « avoir approfondi notre présence dans tous les débats politiques, dans les débats entre Français, d’être incontournables ». « Quel que soit le sujet, nous sommes au centre des discussions », a-t-elle martelé devant une assemblée où l’on retrouvait aux première loges l’humoriste Jean Roucas – qui a si longtemps raillé les politiques dans le « Bébête Show » télévisé, l’ancêtre des « Guignols de l’Info » dans les années 1980 et au début des années 1990 – nouveau venu désormais parmi les « marinistes ».
La preuve de ce rôle central que tient désormais le parti d’extrême droite sur l’échiquier de la vie politique française lui est encore fournie, selon elle, par « l’UMPS ». « L’université du PS a été consacrée au FN, preuve que notre programme est au centre de toutes les préoccupations », soutient-elle. Quant à l’UMP, qui « parle beaucoup d’elle-même », qui « passe son temps à se regarder le nombril », sa « vraie préoccupation » est « notre progression et l’adhésion croissante des Français à nos idées ». « Énième point commun avec le PS, leur seule préoccupation n’est pas la dégradation de la situation de chaque français mais la défense de leurs intérêts électoraux et politiciens », dénonce-t-elle en renvoyant gauche et droite dos à dos d’une manière que n’aurait pas reniée son père Jean-Marie, si coutumier du fait en son temps.
« Je sais les ravages de l’insécurité si forte à Marseille qu’on peut parler de parties du territoire national désormais hors de la République, hors de l’État de droit »
Car c’est bien là l’enseignement majeur de ce discours de Marseille, et c’est tout sauf une surprise : le FN a changé sans changer. Si Marine Le Pen s’inscrit désormais, bien davantage que son père, dans une stratégie de prise du pouvoir, et qu’elle tente ainsi de présenter son parti comme une formation apte à gouverner, s’intéressant à tous les sujets de la vie quotidienne des Français, capable de formuler des propositions sur chacun d’entre eux, son socle électoral, son fonds de commerce, les « fondamentaux » comme on dirait en rugby, eux ont traversé les époques.
La leader du FN a certes eu beau jeu de s’appuyer sur cette nouvelle image de son parti et de prendre à témoin ses militants pour valider sa stratégie politique. Une stratégie qui repose sur trois piliers. Tout d’abord, « la mise en action d’un principe très simple : toujours privilégier les intérêts de la France et du peuple français ». Et renvoyant une nouvelle fois gauche et droite dos à dos, elle proclame: « Notre seul camp, c’est celui de la France ». La stratégie de la leader d’extrême droite, « c’est aussi de parler de tous les sujets et de faire des propositions sur tous les sujets ». « Il n’y a plus de domaine du débat public où nous ne soyons pas présents. Et beaucoup dont nous sommes seuls à parler, imposant le débat sans tabou : l’Europe, l’euro, la mondialisation, l’immigration », se gargarise-t-elle, citant pour le coup des thèmes qui n’ont rien d’innovant puisque le FN en a fait son fonds de commerce depuis trois décennies. Enfin, Marine Le Pen tient désormais à présenter son mouvement comme un parti de rassemblement à l’ancrage populaire. Sa stratégie c’est ainsi « aussi d’aller partout sur le territoire à la rencontre de tous les Français, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent ». « Pour les Municipales, nous voulons des têtes de listes partout en France et je vous annonce qu’à cette date, 623 têtes de liste ont déjà été investies », lance-t-elle sous les ovations, en nourrissant l’espoir de transformer sa stratégie en succès électoraux dès le printemps prochain.
Mais si l’ambition est nouvelle, le discours et le fonds politique demeurent. Pour en avoir la preuve, il suffit de se pencher sur le couplet de son discours consacré à Marseille. Quel sera le thème de campagne majeur de Stéphane Ravier, tête de liste du FN dans la cité phocéenne ? L’insécurité bien entendu. « Je sais les ravages de l’insécurité si forte à Marseille qu’on peut parler de parties du territoire national désormais hors de la République, hors de l’État de droit. Je sais le retour à la féodalité, à la barbarie et je sais que chacun en souffre parfois dans sa chair. Et ce n’est pas à vous, à Marseille, que je vais l’apprendre », introduit-elle.
A Marseille, « M. Valls réunit les élus mais il réunit ceux qui depuis 40 ans montrent leur incompétence »
Avant d’enchaîner par une tirade visant « l’UMPS », cette classe politique qui était la cible privilégiée de son père qu’il désignait pour sa part par le terme « establishment ». « Les règlements de compte ne sont que la partie la plus voyante d’une insécurité quotidienne et les ministres ne viennent que pour la photo. M. Valls réunit les élus mais il réunit ceux qui depuis 40 ans montrent leur incompétence, dans le cadre d’un pacte, le terme est bien choisi. Il n’en oublie aucun, y compris ceux qui sont mis en examen (NDLR : allusion à Jean-Noël Guérini, président socialiste du conseil général des Bouches-du-Rhône) ou condamnés à de la prison ferme (NDLR : allusion à Sylvie Andrieux, la députée socialiste des Bouches-du-Rhône, qui a fait appel de sa condamnation). On finirait par être flattés d’avoir été écartés par M. Valls de cette énième pitrerie car bien évidemment il a refusé de convier le Front National qui ne représente, il est vrai, qu’un quart de la population », stigmatise-t-elle. Avant d’ironiser dans un style rappelant Jean-Marie Le Pen: « Je pense que M. Valls craignait de voir Stéphane Ravier exposer les solutions que les Français attendent. » Le FN seul contre tous, ces « tous pourris » comme les désignait dans son style caractéristique son père, surfant sur l’insécurité : la formule a fait ses preuves. Rappelons-nous en effet que le parti lepéniste a conquis Toulon en 1995, sur fonds d’affaire Yann Piat, avec un slogan politique tenant en quatre mots : « Tête haute, mains propres ».
Marine Le Pen n’omet pas de jouer avec les peurs et de surfer sur cette immigration-invasion, en s’appuyant là encore sur l’exemple phocéen. « Il n’y a pas d’exception marseillaise. Il suffit de lire les faits divers. La gangrène criminelle s’étend peu à peu à toute la France. Aujourd’hui, les campagnes et les bourgs ne sont plus non plus épargnés », assène-t-elle. Avant de prendre à nouveau pour cible le ministre de l’Intérieur, son bouc-émissaire favori. « Et n’en déplaise à M. Valls, les chiffres parlent d’eux-mêmes, même s’il cherche à les faire taire, et la violence s’apparente de plus en plus à un terrorisme des rues, dont le but est certes de tuer, de voler, mais aussi de terroriser la population avant de la soumettre », stigmatise-t-elle.
Le récit ne serait pas complet sans un couplet sur l’Union européenne, mère de tous les maux de la France. « Il faut que les Français comprennent que l’on ne peut rien faire sans défaire cette Europe. Il faut remettre en cause notre appartenance à l’Union européenne par un référendum », préconise-t-elle. Il s’agit là à ses yeux qu’une question de souveraineté. Et de se rappeler de ce bon vieux temps où « la France était souveraine, avec des institutions fortes, des frontières, une armée » c’est-à-dire « tous les attributs de sa souveraineté ». Et de s’appuyer sur ce passé « pas si lointain » pour proclamer : « Ne venez pas me dire que ce n’est pas possible. Récupérer indépendance et souveraineté, c’est ce que nous ferons à l’instant même où le peuple français nous aura donné sa confiance. »
« La déception française face à la gauche ressemble étrangement à la déception éprouvée face à la droite auparavant »
A l’instar de son père opposé à la participation de la France à la Guerre du Golfe au Koweït en janvier 1991, Marine Le Pen fait là encore du neuf avec du vieux puisqu’elle est opposée à une intervention française en Syrie. Car si elle plaide pour « un outil militaire digne de ce nom » – « Je reconstituerai un arsenal militaire à la hauteur de l’ambition que je nourris pour la France et je graverai dans le marbre de notre constitution cette limite minimale de 2% du PIB pour notre budget militaire » – elle veut renouer avec « un temps pas si lointain où la France se devait seulement d’être française, ni américaine, ni soviétique, libre de ses choix politiques, maître de son destin ». Or à ses yeux, la France est devenue selon elle « la maîtresse des USA » et « la catin d’émirs bedonnants », désignant ainsi l’Arabie Saoudite et le Qatar, « ces deux pays d’arrière-garde de tous les djihads internationaux » qui « alimentent le terrorisme et la guerre non seulement en Syrie mais aussi au Sahel, en Afghanistan, ou en Libye hier ». Et d’en conclure : « En Libye, Nicolas Sarkozy a déshonoré la France, François Hollande s’apprête à faire de même en Syrie ».
Enfin, la panoplie ne serait pas complète sans un feu nourri sur ces élites « incompétentes », ces journalistes victimes de « paresse intellectuelle » lorsqu’ils estiment que « le FN ne progresse que parce que la situation de la France se détériore », ou « ce système politique à bout de souffle : il ne pense plus, il rabâche, il n’argumente plus, il radote, et finit par montrer son vrai visage, sclérosé, rabougri, desséché ». « Depuis l’élection de François Hollande, la déception française face à la gauche ressemble étrangement à la déception éprouvée face à la droite auparavant. Je sais le dégoût qu’inspire aujourd’hui la classe politique, inconsistante et inconséquente à la plupart des Français. Ils sont atterrés face au concours du pire auxquels se livrent Nicolas Sarkozy et François Hollande », dénonce-t-elle.
Face à cela, le FN se veut le garant des intérêts du peuple français dont « de serviles parlementaires se sont autorisés à bafouer sa volonté (…) en adoptant en 2008 un traité parlementaire contraire à la volonté populaire librement exprimée trois ans plus tôt » pointe-t-elle en allusion à la victoire du « non » au référendum sur la constitution européenne le 29 mai 2005 qui n’a pas empêché sa mise en place. Une « trahison » que le Parlement paiera le prix fort si Marine Le Pen arrive au pouvoir. « Je retirerai au Parlement son pouvoir constituant qui sera désormais l’apanage exclusif du peuple », prévient-elle.
Bref, si le style se veut différent, si l’image se veut moins brouillée, les ressorts et le socle électoral du FN demeurent plus que jamais les mêmes.
Serge PAYRAU