A l’Opéra de Marseille – « Faust », tableaux d’une damnation

Publié le 16 février 2019 à  10h10 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h47

Nicole Car, émouvante Marguerite damnée par le diabolique Méphistophélès incarné par Nicolas Courjal. (Photo Christian Dresse)
Nicole Car, émouvante Marguerite damnée par le diabolique Méphistophélès incarné par Nicolas Courjal. (Photo Christian Dresse)

Le mythe de Faust est éternel. Partant de là, le maître d’œuvre peut s’en emparer et le transposer dans le temps comme il l’entend. Pour cette production de l’opéra de Gounod créée en 2017 à l’Opéra d’Avignon et reprise actuellement sur la scène lyrique marseillaise, Nadine Duffaut, la metteure en scène, travaille le mythe en l’actualisant. Son vieux Faust, omniprésent, assiste, fantomatique et impuissant face aux drames qu’il a lui-même provoqués, au récit de sa vie qui défile sous ses yeux appelés à se fermer définitivement prochainement. Dans un décor que n’aurait pas renié Poe pour sa «Chute de la maison Usher», les soldats partent pour la campagne d’Indochine, Méphisto promène ses santiags rouges et sa morgue en roulant des pectoraux sous son blouson de cuir, Marguerite, pècheresse rejetée par la société, accouche (avorte?) sur scène avant de partir égorger son bébé dans les coulisses et de sombrer dans la folie. Le tout sous le regard ambigu d’un Christ de Passion peint par le danois Carl Heinrich Bloch en 1880. Pendant les quelque trois heures du spectacle, la metteure en scène fait se succéder les tableaux de cette damnation avec plus ou moins de réussite, mais sans jamais gâcher le plaisir de la musique et des voix. Car il eut été dommage de perturber par une mise en scène intempestive l’expression de l’art vocal des un(e)s et des autres. A commencer par celui de Nicole Car, délicate et émouvante Marguerite, énamourée pour son malheur.. L’australienne excelle dans ce rôle après avoir été très convaincante, il y a quelques semaines ici même, dans son incarnation de Violetta. Elle a le charme, le jeu, mais aussi la voix ; un soprano souple et puissant, avec de beaux graves qui lui confèrent une rondeur bienvenue tout en restant performante dans les aigus. Elle appréhendait de chanter en français pour la première fois, qu’elle se rassure, elle s’est jouée des difficultés de la langue avec aisance, sacrifiant seulement quelques mots au bénéfice de la musicalité. Saluts frénétiques mérités, tout comme ceux adressés à Nicolas Courjal dans le rôle de Méphistophélès. Il a la beauté du diable et en joue pour mettre encore plus en valeur ses qualités vocales dont on sait, depuis quelques saisons, qu’elles sont arrivées à leur plénitude. Son registre, entre aigu et basse, est des plus étendus et sa ligne de chant est d’une précision absolue. Il bouscule les difficultés, triomphant sans frémir, de ce rôle éprouvant. Un immense Méphisto pour une prestation qui restera dans les mémoires. Le Faust de Jean-François Borras est scéniquement crédible et vocalement en place, même si son contre-ut de la cavatine «Salut ! Demeure chaste et pure…» est quelque peu forcé au soir de la deuxième représentation à laquelle nous assistions, mercredi dernier. Jean-Pierre Furlan incarne le vieux Faust avec talent scénique indéniable, livrant honnêtement sa partie vocale du premier acte. Fort apprécié, à juste titre, par le public, Étienne Dupuis est un excellent Valentin, voix chaude et souple, directe et précise, parfaitement projetée avec une diction remarquable ; son air «Avant de quitter ces lieux… » est de toute beauté. Kevin Amiel est un émouvant Siebel, Jeanne-Marie Lévy une Marthe aux hormones encore titillées par le démon de minuit et Philippe Ermelier un bon Wagner. Une fois de plus, excellemment préparé par Emmanuel Trenque, le chœur est remarquable dans toutes les configurations requises par la production, femmes et hommes ne rechignant pas, en outre, à participer pleinement à la mise en scène de l’œuvre. Enfin, comment ne pas souligner d’un double trait la performance d’un orchestre au son somptueux dont les couleurs et les qualités multiples sont mises en valeur par la direction lumineuse et intelligente du maestro Foster. Le travail effectué depuis quelques années par chacun de ses musiciens porte désormais des fruits qu’il convient de savourer à chacune de ses sorties. Diable, que cet orchestre fait plaisir désormais !
Michel EGEA
Pratique. Faust de Gounod à l’Opéra de Marseille. Autres représentations les 16, 19 et 21 février à 20 heures. Location par téléphone au 04 91 55
11 10 ou 04 91 55 20 43. Plus d’info: opera.marseille.fr/

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