A propos du bien-être…. par Marion Cardella: La voie de la joie

Publié le 31 mai 2015 à  23h30 - Dernière mise à  jour le 9 juin 2023 à  21h53

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Envie aujourd’hui de partager avec vous en quoi la joie me semble constituer une voie de développement personnel et de réalisation de soi. La joie peut être abordée par la philosophie, la religion et la spiritualité, la psychologie, les arts et les lettres, etc… Il s’agit d’un sujet transdisciplinaire qui n’est pas un concept mais une émotion, un sentiment, une expérience et un ensemble de vécus quotidiens. La joie s’exprime par des phénomènes corporels et peut sembler fugace, un arbitraire état d’âme, les vécus étant en mouvements incessants et soumis aux changements qualitatifs de nos perceptions. Et pourtant elle est bien réelle et existe sous plusieurs formes dans le quotidien. Mais de là, à la considérer comme une voie majeure de réalisation de l’être! Dans la palette des émotions, pourquoi penser que celle-ci précisément représente une conquête d’un meilleur rapport à soi-même et au monde? En quoi est-elle porteuse de santé, voire de sainteté ?
Je tiens d’abord à la différencier du plaisir, de la jouissance et du bonheur en tant qu’idéal difficilement atteignable et si conditionné qu’il en devient fragile. La joie à quelque chose d’indicible justement parce qu’elle ne dépend pas des événements extérieurs mais bien plus de la lecture personnelle et intime que nous en avons. Elle peut paraître indécente au regard de la souffrance du monde et de la réalité du mal. Mais il y a dans la joie une intention profonde d’une adhésion au tout de la réalité, l’amenant à assumer la totalité de la souffrance, la reconnaissant et la dépassant dans un mouvement créateur héroïque. Et il me semble que c’est précisément là que se situe sa puissance, sa force créatrice et son pouvoir de retournement. En somme, la joie parfaite existe quand il n’y a pas de motifs d’être joyeux. Et c’est alors une immense liberté qui est ressentie. La joie «par-delà le bien et le mal» pourrait-on dire à la suite de Nietzsche. Je vais pour illustrer cela prendre pour exemple l’exhortation du Christ à aimer nos ennemis. Posons avant tout le fait qu’il ne nous est pas demandé d’aimer nos ennemis à partir du moi, de l’amour éros ou filios, mais à partir du Soi, de l’amour agapé. Il ne s’agit pas de masochisme mais de faire l’expérience d’une joie particulière, mystérieuse, la joie de la liberté, parce qu’aimer nos ennemis, aimer ce qui nous déplait, nous dérange, nous contraint, c’est ne plus être dépendants, c’est être libre.
J’interviens en ce moment dans un EHPAD et chaque fois que je pénètre dans cette maison de retraite, j’ai la sensation d’être plongée au cœur de la Cour des Miracles ! Quand ce ne sont pas des problèmes physiques et/ou cognitifs, c’est l’imminence de la mort qui est présente chez ces personnes. Et pourtant parfois, le miracle advient quand au sein même de ces conditions, une détente est là et permet à une conscience nouvelle d’émerger et de faire naître la joie. Rimbaud évoquait dans une Saison en Enfer, «la rude réalité à éprouver», et c’est cela même que les personnes résidentes en ces lieux rencontrent. Il s’agit d’une épreuve qu’ils traversent, l’épreuve de la mort étant l’épreuve ultime de cette initiation qu’est la vie. Mais chacun de nous, sûr de ne pas échapper à celle-là, en rencontre de multiples au cours de sa vie personnelle, à travers ses déceptions, ses désillusions, la perte d’un être cher, la maladie… Où est le plaisir, où est le bonheur alors ? Où pourrait être la joie ? Et pourtant voilà que quelques fois, certains individus savent être lumineux au cœur de ces épreuves et rayonnent malgré tout d’une joie sereine. Comment ce miracle, parce que cela en est un, se produit-il ? Je crois que le secret réside dans le «malgré tout». Il s’agit d’un au-delà de la souffrance qui ne la nie pas, ne la rejette pas, mais l’embrasse et la transcende. Il y a quelque chose de l’ordre de la douceur qui se manifeste dans ce lâcher-prise voulu et assumé, un oui à ce qui est qui est encore une liberté et non pas un renoncement, une soumission ou une abnégation. Le moment où l’on dépose les armes, où on laisse tomber nos représentations de tout ordre, où l’on fait la paix avec le réel, simplement avec ce qui est présent ici et maintenant. Savoir ne plus se sentir jouet des événements, victime, mais sujet présent dans son présent, consentant en toute liberté, est une manière d’être accordé à la présence de l’Être en nous, que notre être soit souffrant ou jouissant. Là demeure la joie, lorsque je goûte ce qui me traverse, que j’essaie d’être en lien avec ce qui traverse l’autre et que j’accueille totalement ce qui m’est agréable comme ce qui m’est désagréable. Parce que tant que je ne suis pas d’accord avec la réalité, que je me rebelle contre elle, j’ajoute de la souffrance à ma douleur. Lorsque dans ma vie je ne réagis plus en me soumettant ou en me rebellant face à la réalité(*), je deviens libre et j’éprouve cette joie particulière qui naît de la détente, de la paix de l’âme et qui est le critère m’indiquant que je suis dans le juste pour moi, dans ce qui est accordé. La joie est alors comme un diapason qui me sert de repère pour m’ajuster au Réel.
Alors oui, c’est une voie exigeante, difficile à réaliser, mais Aristote la considérait comme l’accomplissement de la fonction de l’homme. Elle impose une relecture des vertus, une transmutation des valeurs, une transformation radicale par une conversion exigeante qui amène à un dépassement de soi et une renaissance. Il y a là un enjeu vivifiant: devenir des ressuscités vivants ! Son mouvement libérateur transforme l’être entier, faisant naître confiance et salut. Il s’agit de la choisir comme visée première dans notre vie, comme indice qui ne trompe pas, comme valeur fondamentale et sens suprême.
Nous pouvons dégager une «pédagogie de la joie» qui requiert volonté et courage: «La joie s’acquiert. Elle est une attitude de courage. Être joyeux n’est pas une facilité, c’est une volonté», écrivait Gaston Courtois. Il y a des processus et des rythmes nécessaires à la joie. Elle est une activité de vigilance incessante et devient le critère de tout ce qui est juste, bon et vraiment utile. Mais si l’accès à cette joie se fait à travers une transformation exigeante, l’esprit possède la puissance suffisante pour y accéder. Et lorsqu’elle règne, elle devient plénitude, source d’harmonie et de paix, non seulement au niveau individuel mais aussi communautaire.
Chez Spinoza, pour qui elle est le fondement de l’Éthique dont elle est à la fois initiale et concluante, sont décrits trois genres de connaissance qui amènent trois degrés de joie: la joie fondée sur l’imagination, celle guidée par la raison et la joie suprême, béatitude, expérience d’éternité. Il s’agit de parcourir un itinéraire qui repose sur une nouvelle orientation: se détacher des faux liens pour en créer d’autres en privilégiant le rapport au tout. La joie d’abord passionnelle devient joie de la raison et amène à la libération définitive avec l’acquisition d’une joie suprême et continue.
C’est cet état d’éveil qu’incarne merveilleusement Saint Séraphin de Sarov qui accueillait tous ceux qui venaient à lui par un «Bonjour ma Joie !». On l’a vu rayonnant de lumière: la joie qui illuminait son être resplendissait tout autour de lui et réchauffait le cœur de ceux qui l’approchaient. Car la joie n’est jamais plus vivifiante que lorsqu’elle est partagée.
La joie est une émotion fondamentale qui est l’alpha et l’oméga d’un itinéraire de connaissance vers le Réel. Elle est orientée vers l’affirmation de la vie et imprégnée de gratitude. Elle est essentiellement amour de soi-même et de la totalité du Réel dans un même mouvement. Il s’agit de vivre l’expérience d’un amour inconditionnel fondée sur et dans la joie. Mais avant de conclure, je voudrais être très claire sur un point: loin de moi l’idée d’avoir un discours moralisateur qui fasse culpabiliser parce que nous ne vivons pas la joie suprême et continue, la béatitude décrite par Spinoza ! La conscience et l’expérience ne cessent de se nourrir l’une l’autre. Je ne suis pas Saint Séraphin de Sarov, et bien souvent je constate que je ne suis tout simplement pas en capacité de me connecter à la joie dans un moment où je suis dans la souffrance physique, où je suis blessée, où mon cœur se brise, où je me sens «toute tristesse» ou «toute colère». Mais avoir alors au fond de moi la conscience de l’existence de cette qualité de joie que nous avons évoquée et du chemin qui peut m’y mener, c’est déjà bien je trouve, c’est un commencement. En attendant, j’essaie juste d’accepter mes limites, de me dire avec bienveillance pour moi-même: «bien, pour aujourd’hui, pour l’instant, c’est ainsi et c’est okay pour moi que ce le soit… ». Et là déjà je peux me détendre un peu et je sais que c’est un bon début !
(*) proposition de Marshall Rosenberg, père de la Communication Non Violente

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