Adieu, Edmonde…

Publié le 21 janvier 2016 à  22h24 - Dernière mise à  jour le 9 juin 2023 à  22h10

(Photo Philippe Maillé)
(Photo Philippe Maillé)

A 95 ans, Edmonde-Charles Roux, femmes de lettres, journaliste, dont la vie littéraire et les combats ont épousé près de 70 ans d’un siècle est décédée dans la nuit de mercredi à Marseille. Elle s’est éteinte dans la résidence médicalisée où elle séjournait depuis l’aggravation de son état de santé. A l’heure où affluent de toutes parts les hommages, les prises de parole pour évoquer cette femme libre et passionnée, donc forcément indocile qui, lorsqu’elle présidait l’Académie Goncourt savait se montrer aussi intransigeante qu’imprévisible pour dénicher de nouveaux talents.
Une femme bien singulière écoutant ses coups de cœur sans jamais perdre de sa superbe, de cette formidable prestance en qui certains voyaient une «bourgeoise frondeuse quand d’autres vantaient son incroyable énergie, sa puissance de vie qu’elle avait mis au service de bien des causes. Très impliquée dans le journalisme, elle s’est notamment battue pour conserver le Groupe de Presse « Le Provençal » en le cédant à Jean-Luc Lagardère.

Entière et engagée

A l’âge de 20 ans, toute jeune infirmière volontaire affectée au corps des ambulancières, elle fut deux fois blessée avant de continuer le combat dans les réseaux de la Résistance; en tant que journaliste et féministe ayant fait de sa liberté une priorité, elle sut transformer son engagement littéraire et culturel en un incontournable chemin de vie. Caporal honoraire à l’issue de la seconde guerre, elle devint Prix Goncourt en publiant en 1966 « Oublier Palerme » farouchement soutenue par Elsa Triolet et Louis Aragon. Mystérieuse et insaisissable, c’était une charmeuse qui captivait son auditoire par l’élégance de sa conversation, son sens de l’humour, ses éclats de rire, ses prises de position fermes et puis surtout, cette intelligence qui finissait par rendre brillants ceux qui l’écoutaient. D’elle, gardons l’image de cette infirmière intrépide après la débâcle de 40, fille de la grande bourgeoisie -qui « écrivait bien mais votait mal« , selon le Général De Gaulle-, admiratrice d’Aragon et Genet, une femme qui, après avoir mis sa plume au service de Maurice Druon pour la saga des « Rois Maudits« , se montra aussi une journaliste insoumise osant mettre un mannequin noir à la Une du Magazine Vogue, au grand dam des propriétaires américains de la gazette… Qu’elle a d’ailleurs dû quitter après une « telle hardiesse »!
Sans n’avoir jamais abandonné la littérature, elle est revenue à Marseille, pour épouser le dernier homme politique qui avait eu l’audace de se battre en duel: Gaston Defferre. Quelle époque !
Edmonde s’engageait, sans état d’âme, sans concession, avec l’abnégation nécessaire à la défense des causes qu’elle estimait justes. Ses remarques, parfois cinglantes, toujours bien tournées, disaient sans fard sa rage de combattante.
Elle vient de rendre les armes. Que faire si ce n’est partager ces instants d’émotion en cherchant à apprivoiser son absence. Dans le silence et le respect.
Christine LETELLIER

Le sens de la formule et de la réplique

Edmonde qui disait souvent d’un événement « C’est pas rien !« , signe que les choses étaient graves, était d’un courage sans limite, une effrontée de l’exploit qui, ayant risqué sa vie durant la guerre, entendait bien poursuivre son chemin avec le même élan et la même fougue gagnante. « L’Etiquette« , le respect des convenances, la parole donnée qu’on ne doit pas retirer, bref, rude avec elle-même, il lui arrivait aussi de l’être avec les autres, c’était une femme de caractère, qui allait toujours de l’avant.
On la retrouve telle qu’elle était dans cette réplique : Interrogée sur un déplacement prévu de l’Académie Goncourt à Beyrouth, après des attentats, sa réponse fusa comme un missile : « On leur a dit oui, on ne se décommande pas. »
De Gaulle et Edmonde: « Vous votez mal, mais vous écrivez bien« , lui dit le général De Gaulle, en l’accueillant à l’Élysée lors d’une réception du 14 juillet.
Croix de Guerre, galons 1ère classe d’honneur elle a été nommé caporal de la Légion en 2007. « Ce sont mes amis, disait-elle. J’aime leur manière d’être, de penser, de s’occuper des irrécupérables… Ironie de la vie, j’y ai même rencontré un certain capitaine Hervé Bazin.. » (Clin d’oeil à l’auteur de Vipère au poing).
En rentrant de la 2e guerre, le « Soldat » Edmonde avait changé, face à ses parents, elle entendait désormais affirmer sa liberté ! « Ce sont les mêmes qui m’envoient sur le front, et à mon retour, veulent me voir rangée« .
A propos de Marseille « Le Marseillais, on le croit rigolard. Il est le contraire de rigolo. Il est noir. Parce que la Grèce est noire, parce que la Méditerranée est noire et qu’en plus, Marseille est consciente du fatum antique, de la fatalité, cette loi immuable, suprême, qui règle d’avance l’enchaînement des événements de l’existence« .
Druon et les rois Maudits: « J’ai été un de ses nègres, en somme, mais des nègres qui disaient leur nom.»
Autre citation: « Le seul mot de discrimination me met hors de moi. Positive? Ça veut dire quoi? La discrimination, c’est toujours le fait de dire non à des gens« .
Sur ses débuts de journaliste: « Ma chance ? La journaliste qui devait couvrir la réouverture de la Scala tombe malade, on m’y envoie. C’est le retour de Toscanini après son exil. Je connaissais ses filles, j’ai été invitée dans sa loge »
A propos de Gaston Defferre: « Il était d’une incroyable séduction »
A propos de son engagement politique, elle se faisait volontiers ironique: « On me dit gauche caviar. Pourquoi pas ? L’essentiel, c’est la gauche. Si le caviar vient avec, tant mieux ! Cela veut dire qu’on était destiné à vivre à droite et qu’on a le cœur à gauche« .

Dates de son parcours

-1920 : naissance à Neuilly-sur-Seine.
-1939 : s’engage comme ambulancière. Est blessée à Verdun.
-1944 : attachée au cabinet du général de Lattre de Tassigny.
-1946 : entre à Elle, puis à Vogue, dont elle devient la rédactrice en chef en 1950.
-1966 : remerciée de Vogue – elle obtient le prix Goncourt pour « Oublier Palerme » (Grasset).
-1973 : épouse le maire de Marseille Gaston Defferre.
-1974 : elle publie : »L’Irrégulière ou mon itinéraire Chanel  »
-1983 : fait son entrée à l’académie Goncourt, qu’elle présidera entre 2002 et 2013
avant d’en rester membre jusqu’à son décès.
-1989 : un nouveau livre : « Un désir d’Orient », sur Isabelle Eberhardt.
-2004 : elle publie « Le Temps Chanel »
-2011 : elle quitte la présidence de la Société des amis de L’Humanité
-2013 : elle est élevée au rang de grand officier de la Légion d’honneur
-2016 : décès le 20 janvier à Marseille.

Réactions

Jean-Claude Gaudin, maire de Marseille Vice-Président du Sénat

Edmonde Charles-Roux était une femme de convictions et de courage. Des convictions qu’elle a affirmées avec force tout au long de sa vie publique et que je salue, même si nous ne les partagions pas toutes. Un courage dont elle a fait preuve au cours de la deuxième guerre mondiale, au point de devenir la Marraine d’honneur de la Légion étrangère, et auquel je tiens à rendre hommage. Au-delà de ses engagements, Edmonde Charles-Roux était aussi une femme de très grande culture. Prix Goncourt pour « Oublier Palerme » puis présidente du Jury Goncourt, elle était, de fait, l’un des ambassadeurs d’une certaine culture française à travers le monde. Je ne saurais enfin oublier dans l’hommage que je tiens à lui rendre, au nom de tous les Marseillais, la main de Gaston Defferre, momifiée par César, qu’elle m’avait offerte pour honorer la mémoire de son mari et son action à la tête de notre ville trois décennies durant. Avec elle, cette grande dame emporte une longue et belle page de notre histoire commune. »

Christian Estrosi, Président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur

C’est avec tristesse et émotion que j’ai appris le décès d’Edmonde Charles-Roux. Au nom des habitants de Provence-Alpes-Côte d’Azur et en mon nom propre, je veux adresser à sa famille et à ses proches mes sincères condoléances.
Son nom restera associé au prestigieux prix Goncourt qu’elle remporta et dont elle présida le jury. Mais avant tout, Edmonde Charles-Roux était une Résistante, une femme de lettres, une journaliste engagée, une femme passionnée de culture et de sa terre d’adoption, Marseille et la Provence.
Elle restera également dans nos mémoires comme une personnalité de convictions qui défendait, sans concession, ce en quoi elle croyait. On pouvait ne pas partager toutes ses idées, mais on ne pouvait qu’admirer sa force de caractère et son incroyable parcours. Provence-Alpes-Côte d’Azur a perdu hier l’une de ses plus éminentes représentantes.

Martine Vassal, Présidente du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône
Edmonde Charles-Roux, grande personnalité marseillaise
J’apprends ce matin, avec tristesse et émotion, le décès d’Edmonde Charles-Roux, résistante, journaliste, femme de lettres, grande personnalité marseillaise. Aujourd’hui, le Département des Bouches-du-Rhône a perdu une femme de caractère, passionnée, engagée en faveur de la culture et de la société politique. Au-delà de nos convictions politiques différentes, j’ai toujours eu une profonde considération pour Edmonde Charles-Roux. Je tiens à saluer son parcours extraordinaire et à rendre hommage aux combats qu’elle a menés avec ténacité et conviction, tant sur le plan national que local. Sa renommée, que le temps n’effacera pas, concourt au rayonnement de Marseille et de la Provence. A sa famille, aux siens, à ses proches, je présente mes plus sincères condoléances.

Fondation du Camp des milles – Mémoire et Éducation
Disparition d’Edmonde Charles-Roux : une «femme debout» entrée en résistance

La Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation salue avec respect et émotion la disparition d’Edmonde Charles-Roux à l’âge de 95 ans. Cette figure de la Résistance, cette femme de lettres avait fait de la liberté et de l’égalité le combat de sa vie. Ayant côtoyé les plus grands tout en soutenant les plus démunis, elle poursuivit tout au long de sa vie un engagement sans faille pour le respect et la transmission des valeurs républicaines, et en particulier la liberté d’expression et l’égalité entre hommes et femmes.
Cette disparition confirme la nécessité pour notre société de faire face à la disparition des grands témoins de la Seconde Guerre mondiale. C’est pourquoi doivent être développés, comme au Camp des Milles, des lieux-témoins qui prennent le relais des témoins, des lieux qui montrent jusqu’où ont pu conduire les extrémismes, les racismes et l’antisémitisme par le passé mais qui montrent aussi les capacités humaines pour résister face aux engrenages menant au pire. Edmonde Charles-Roux savait se rebeller contre ce qu’elle jugeait injuste.
Elle apporta son soutien à la Fondation, en particulier lorsqu’elle fut invitée à son premier Forum annuel : « Femmes debout, femmes en résistance ». C’est en mémoire et en héritage des combats qu’elle a menés aux côtés de tant d’autres hommes et femmes de courage et de devoir que la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation œuvre au quotidien pour transmettre à tous les leçons de l’histoire pour aujourd’hui. Celle qu’illustre le dernier grand camp français d’internement et de déportation encore intact mais aussi plus largement l’histoire des grands génocides du XXe siècle. Comme aux heures noires, l’engagement de chacun peut aujourd’hui s’opposer aux dangers des extrémismes, des racismes et de l’antisémitisme qui menacent la paix civile, la démocratie et la liberté de tous.

Groupe PS Marseille
C’est avec une profonde tristesse que les élus socialistes ont appris ce matin le décès d’Edmonde Charles-Roux. De la femme de lettres, nous retenons avec émotion la résistante, la féministe, la femme libre et engagée qu’elle était. Son engagement, Edmonde Charles-Roux l’avait aussi pour Marseille, pour sa culture et son Histoire, elle qui disait qu’en «convoquant l’Histoire, on pouvait prouver que le racisme était une dimension inconcevable à Marseille». Journaliste, romancière, membre et présidente du Prix Goncourt, Edmonde Charles-Roux était bien plus que la femme de Gaston Defferre. Si le Maire illustre a été, comme elle l’aimait l’appeler, «L’Homme de Marseille», Edmonde Charles-Roux était assurément, par son engagement et sa liberté, une femme de Marseille, une Marseillaise.

Frédéric Vigouroux, maire PS de Miramas, conseiller départemental
Hommage à Edmonde Charles-Roux

C’est avec une immense tristesse que j’ai appris le décès d’Edmonde Charles-Roux, le 20 janvier 2016 à Marseille. Femme de lettres, présidente du “Prix Goncourt” et grande résistante, elle a marqué notre histoire par sa vision humaniste et ses combats pour le rayonnement culturel de notre pays. La France perd l’une des femmes les plus engagées de notre siècle. Cette militante a passé sa vie aux côtés de Gaston Defferre, maire de Marseille et ministre sous François Mitterrand. Amie de Frédéric Mistral, son grand-père Jules fut l’un des mécènes du Museon Arlaten à Arles sur les traditions provençales. Edmonde Charles-Roux, qui a reçu le prix Goncourt en 1966 pour son roman «Oublier Palerme», était aussi supportrice de l’OM et militante de la culture euro-méditerranéenne. Je présente toutes mes condoléances à sa famille et à ses proches.

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