Aix. Rencontre au Grand Théâtre de Provence avec l’acteur Yuming Hey, le Mowgli du « Jungle book » de Robert Wilson

Publié le 22 décembre 2019 à  9h51 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h29

La panthère Bagheera, l’ours Baloo, le tigre Shere Khan, le python Kaa, le chacal Tabaqui, quelques éléphants, des singes, des loups, sans oublier Mowgli, le Petit d’Homme, autant de personnages qui évoquent une part d’enfance nichée en chacun de nous. Autant d’êtres fantasmagoriques liés dans l’inconscient collectif au dessin animé que Walt Disney a tiré du «Livre de la jungle» le chef d’œuvre de Rudyard Kipling. Chansons en anglais, chorégraphie, textes en français, musique confiée aux CocoRosie, piano, violon, marimbas et flûte, le metteur en scène Robert Wilson, s’inscrit dans une sorte de filiation avec le maître américain du film d’animation.

Yuming Hey : comédien multiforme, et esprit cultivé autant que curieux. (Photo DR)
Yuming Hey : comédien multiforme, et esprit cultivé autant que curieux. (Photo DR)
Conçu pour tous les publics, son « Jungle book » que l’on peut encore voir au GTP ce dimanche 22 décembre à 15 heures, est taillé pour la joie et l’éblouissement. Une féérie d’une heure-quinze dont on sort enchantés au sens étymologique du terme. Du bleu, du blanc, du vert, du bariolé à tous les étages, ce spectacle porte en lui les marques du beau, du vrai, du grand. De la fascination aussi qu’éprouve le metteur en scène américain pour les animaux et les territoires de l’enfance, lui qui a magnifié les «Fables» de La Fontaine pour la Comédie-Française, a monté «Peter Pan», et s’est inspiré du «Petit Prince» pour «Wings on Rock » liant le monde de Saint-Exupéry à une légende amérindienne évoquant le récit d’un enfant en quête de père. Si l’on constate que la fin de son «Jungle book » retrace très (trop) vite des dizaines de pages, l’essentiel du livre de Kipling demeure restitué. La partition des CocoRosie renforçant la virtuosité des choses vues, et dessinées à grands renforts d’humanité et de tendresse.

Un Mowgli virevoltant

Et puis, si tous les acteurs sont ici excellents et travaillent avec un réel esprit de troupe, s’écoutant même dans les silences, Yuming Hey, dans le rôle de Mowgli, s’impose comme un comédien-danseur exceptionnel et totalement inoubliable. Il faut dire que ce natif de Marseille, ville où il naquit le 16 octobre 1993, d’une mère française et d’un père sino-malgache, possède tant de cordes à son arc qu’on le devine à l’aise dans tous les registres créatifs. Flûte traversière et cours de théâtre à cinq ans, danse moderne, jazz, chant dans le difficile registre de contre-ténor, mannequinat pour Kenzo, écriture, mise en scène, codirection avec Edouard Chapot, et son ami Mathieu Thouzé du théâtre 14 à Paris (programmation en forme de coups de cœur), que n’a-t-il pas fait. Esprit libre, personnalité au grand cœur Yuming Hey sourit quand on lui dit qu’il possède du génie. Il préfère avancer avec modestie que toutes ses réussites sont avant tout et essentiellement le fruit d’un travail acharné. Et pourtant… Fasciné par les mises en scène de Robert Wilson, et notamment par son «Faust», et celle des «Bonnes» de Jean Genet, il s’est dit en les voyant que ce créateur réussissait à faire traverser les comédiens par une lumière continue. «Jouer, voilà ce que je veux faire » s’est-il alors écrié lui qui pressentait tout cela dès les spectacles pour enfants de Carine Reggiani où il donna beaucoup de sa personne, et les cours au Conservatoire supérieur d’art dramatique, où il confia s’être un peu ennuyé. «D’habitude je me laisse traverser par les mots, raconte-t-il, avec Robert Wilson, c’est par la lumière, et je me souviendrai toujours de cet exercice qu’il nous donna en auditions consistant à demeurer immobile sur scène imaginant qu’il y a des rayons de soleil qui sortent de ton corps et devant et derrière toi». Des auditions pour Mowgli très longues et fructueuses, Yuming Hey prenant alors conscience avec Robert Wilson que la concentration est un muscle, que le corps est un instrument comme un violon ou un piano qu’un acteur est sensation, instinct autant qu’esprit.

«Puck» à l’opéra, «Garçon d’Italie» au théâtre

Infatigable le jeune acteur sait enthousiasmer son auditoire autant que le bouleverser à chacune de ses prestations. Il fut un «Puck» d’anthologie dans «Le songe ‘une nuit d’été» d’après Shakespeare, en version opéra mise en scène par Jacques Vincey. «Les personnages qui apparaissent ne sont ni enfants, ni adultes, et j’aime travailler sur l’ambigüité», explique-t-il. Et Yuming Hey d’impressionner également chacun par son travail précis, et nuancé sur «Actrice» de Pascal Rambert, l’auteur de «Architecture» donné cet été en Avignon avec Jacques Weber, Emmanuelle Béart, Denis Podalydès, (avec pour ce rôle le comédien Pascal Rénéric en alternance). Voix d’or, présence magnétique, Yuming Hey participa aussi dans le cadre du Off d’Avignon à l’aventure de «Un garçon d’Italie » mis en scène par Mathieu Touzé (également interprète de la pièce). Un chef d’œuvre d’émotion, un grand spectacle salué par l’auteur du roman lui-même, un Philippe Besson bouleversé et reconnaissant de la perfection apportée à chacun des gestes et là encore…des silences. «Je lis beaucoup, précise Yuming Hey, et j’aime particulièrement l’écriture de Philippe Besson, car c’est un auteur qui met des sensations sur des choses que j’ai vécues ou que je vis encore, avec des phrases simples, que je n’aurais jamais pu inventer moi-même». Et d’ajouter : «C’est un écrivain qui refuse les codes figées du bien et du mal, qui rejette le moralisme et les idées reçues et qui en appelle à la tolérance. J’adore… ». Parmi les autres auteurs que le comédien aime particulièrement on trouve Tchékhov, Sarah Kane, le Peter Hanke de «Par les villages », il fut sensible à la mis en scène de Stanislas Nordey, Jean-Marie Gustave Le Clézio de «Onitsha»; deux œuvres de Didier Jean, «Le courage de revenir» et «Sweet home», et les textes de Christophe Pellet, dont «Le garçon girafe ». «Cette œuvre que j’ai jouée m’a hanté, je suis ébloui par toute la violence contenue. Christophe Pellet met des règles, puis fait tout exploser. Ses personnages cherchent des limites et finissent par mourir. C’est bouleversant !»

Acteur de la série «Osmosis» sur Netflix

Si Yuming Hey demeure un acteur de théâtre, c’est également un comédien de l’image. On l’a vu au cinéma sous la direction de Gaël Morel, et surtout dans la série «Osmosis» diffusée sur Netflix que réalisa Julius Berg, Mona Achache et Pierre Aknine (qui a dirigé Yuming Hey sur les planches dans «Phèdre»). Une série d’anticipation dont l’action se situe en 2050 et qui raconte comment trouver son âme sœur par le biais d’une application. Une série à succès où apparaissait aux côtés de Yuming, l’acteur-chanteur et danseur Fabien Ducommun dont on salua voilà dix ans dans le cadre du Off d’Avignon la performance dans la pièce «Penetrator» traduite et mis en scène par Fabienne Maître. Yuming Hey, dont le vrai nom est Yuming Aurélien Feng n’est jamais là où on l’attend. C’est un être libre, et ouvert sur le monde, qui a décidé de mettre beaucoup de vie dans son œuvre et d’œuvre dans sa vie. C’est-à-dire se rendre disponible pour toutes sortes d’aventures esthétiques, d’écouter les autres, de découvrir des auteurs et des créateurs, de poser sur le monde un regard bienveillant…
Jean-Rémi BARLAND
«Jungle Book» au GTP ce dimanche 22 décembre à 15h. plus d’info et réservations: lestheatres.net

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