Amnésie Internationale : guerres et génocides en débat à la Fondation du camp des Milles

Publié le 23 janvier 2015 à  23h30 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h36

C’est à la Fondation du camp des Milles que la 7e édition d’amnésie internationale a débuté. Une édition qui prend une importance toute particulière du fait du centenaire du génocide arménien et des attentats que vient de connaître la France. Tour à tour, Alain Chouraqui, le président de la Fondation, le journaliste, docteur en sciences politiques Gaïdz Minassian, l’historienne, spécialiste de l’Arménie Claire Mouradian et Yves Ternon, docteur en histoire, ont pris la parole avant de répondre aux questions du public.

Alain Chouraqui d'intervenir lors du débat sur
Alain Chouraqui d’intervenir lors du débat sur

Amnésie internationale, lancée en 2001 par la Jeunesse Arménienne de France (JAF) s’appuie sur trois grands axes : le travail de mémoire, la résistance face aux négationnismes et la prévention de ces actes barbares pour que l’Histoire ne se répète plus. Alain Chouraqui se réjouit d’autant plus d’accueillir cette manifestation. «Comment ne pas se référer à l’actualité avec, d’une part, l’extrémisme intégriste et, d’autre part, l’extrême droite avec une force puissante qui vient de se mettre au milieu des deux branches de la tenaille. Mais ce mouvement est-il assez fort ? Va-t-il durer ? Tout ce que nous pouvons faire avec notre Fondation c’est rappeler les mécanismes qui conduisent au génocide. D’autant que la première période du camp des Milles a vu la République, face à la guerre, préparer des Lois , les esprits, le camp, dont Vichy se saisira».

«Échange histoire grandiose contre meilleur emplacement géographique»

Claire Mouradian, historienne, spécialiste de l'Arménie (Photo Philippe Maillé)
Claire Mouradian, historienne, spécialiste de l’Arménie (Photo Philippe Maillé)

Claire Mouradian commence son propos par une boutade polonaise qu’elle trouve tout à fait adapter à l’Arménie : «Échange histoire grandiose contre meilleur emplacement géographique». Elle va montrer comment évolue le statut des arméniens, comment ils deviendront l’ennemi intérieur. L’historienne avance: «En effet, à partir du XIVe siècle, l’Arménie perd son dernier royaume et, depuis, la guerre ne cesse de faire partie de son paysage. Il sera un espace de confrontation entre les empires perse et ottoman, avec, dès le XVIe siècle, l’apparition d’un troisième intervenant : la Russie».
Les conflits se succèdent, l’Empire Ottoman subit à partir du XVIIIe siècle des défaites et une poussée russe. «Cela crée une situation de crise, une perception de la menace de plus en plus forte de ce grand voisin qui apparaît comme un défenseur des arméniens chrétiens. Mais, au XIXe siècle, les arméniens ne se révoltent pas contre l’empire à l’opposé des Grecs. Ils deviennent ainsi la Nation fidèle. Mais l’Empire se rétrécit, les arméniens passent de la Nation fidèle au statut de peuple susceptible d’apporter une menace».
Le pouvoir, pour sauver l’Empire, essaie de moderniser l’Armée, de modifier la perception de l’impôt, d’avancer sur l’égalité des droits entre les divers peuples. «Mais ceci aura pour effet de voir les juifs et les arméniens considérer qu’ils n’ont pas acquis assez de droits alors que pour les musulmans ils en ont trop».
Après l’échec de cette politique, de nouvelles défaites, changement de cap: «Le pouvoir décide de s’appuyer sur un groupe au détriment des autres, ce sera d’abord les musulmans puis, lorsque cela échouera, de se tourner vers le « turquisme ». Les groupes, tel les Arméniens, qui se trouvent de part et d’autre de la frontière sont considéré comme menaçants».

«Russes et Turcs ont chacun à l’esprit que l’Arménie est un territoire de guerre»

Gaïdz Minassian, journaliste, docteur en sciences politiques (Photo Philippe Maillé)
Gaïdz Minassian, journaliste, docteur en sciences politiques (Photo Philippe Maillé)

Avec Gaïdz Minassian on se rapproche du génocide. Pour lui « il y a interdépendance entre guerre et génocide». Avant de rappeler: «Russes et Turcs ont chacun à l’esprit que l’Arménie est un territoire de guerre». Puis, d’expliquer que les conditions de vie des Arméniens de Constantinople n’ont rien avoir avec celles que connaissent les arméniens des provinces reculées. «Les premiers peuvent devenir ministre, haut fonctionnaire, député… ceux des provinces ont un statut de protégés qui fait qu’ils ne peuvent pas effectuer le service militaire, porter d’armes, avoir un cheval, porter plainte contre un musulman. Dans le Caucase le danger est autre, il s’agit de l’assimilation, nombre d’arméniens russifient leur nom».
Le mouvement arménien se structure en trois organisations politiques. «Ils vont se retrouver en face d’un mouvement révolutionnaire turc : les Jeunes Turcs. Il y a convergence apparente d’intérêt mais dès le départ ce mouvement veut éviter le démembrement de l’Empire alors que pour les arméniens, ce qui compte, c’est garantir des droits à l’ensemble des citoyens. Le mouvement Jeune Turc se divise entre nationaliste libéral girondin et nationaliste autoritaire jacobin. cette dernière tendance l’emporte.» Au début du XXe arrive des révolutions en Russie, en Iran et dans l’Empire Ottoman «mais en aucun cas on ne parlera de constitution. En 1909 le Sultan tente une contre révolution couronnée d’échec et qui entraîne de nouveaux massacres d’arméniens provocant la plus grande incompréhension de ces derniers. Mais, jusqu’en 1912, arméniens et turcs tentent de s’entendre. La Turquie perd alors de nouveaux territoires, les Jeunes Turcs deviennent de plus en plus nationalistes».

«La guerre, à partir du moment où elle devient totale, lève toutes les barrières morales»

Yves Ternon, docteur en histoire (Photo Philippe Maillé)
Yves Ternon, docteur en histoire (Photo Philippe Maillé)

Avec Yves Ternon on en arrive au génocide. «Comment passe-t-on de la violence de guerre à l’organisation de la destruction d’un groupe en raison de son appartenance à ce groupe ? Cela passe par une radicalisation de la guerre. Un adversaire sait qu’il ne pourra survivre que si l’Autre est détruit. La guerre, à partir du moment où elle devient totale, lève toutes les barrières morales, reconfigure le visage de l’ennemi intérieur. Les génocides du XXe siècle sont perpétrés parce que ceux qui les commettent avaient peur. L’armée turque veut atteindre Bakou. L’opération est mal préparée et l’Armée est exterminée par le froid, la maladie. La rumeur se répand que les arméniens sont responsables de cette défaite. En Méditerranée, la France et l’Angleterre échouent dans la campagne des Dardanelles mais, les Jeunes Turcs considèrent que le menace est vitale. La décision est prise, sans doute le 23 ou le 24 mars 1915 d’entamer un processus de destruction des Arméniens. A Constantinople on décapite l’élite arménienne, dans les régions, ils se font tuer dans le plus grand chaos. La déportation est conçue comme un moyen d’extermination. L’Arménie est vidée de sa population arménienne après des massacres, des viols, des spoliations. Des dispositifs que l’on retrouve dans tous les génocides».

«Le processus qui conduit au génocide est long, le temps du génocide est court car le criminel est toujours pressé»

Yves Ternon de préciser: «Le processus qui conduit au génocide est long, le temps du génocide est court car le criminel est toujours pressé».
Au cours du débat, il insistera sur l’importance de l’éducation. «Il faut éradiquer la haine. A partir du moment où un discours de haine s’élève il faut le casser, voilà la seule violence, verbale bien entendu, que je demande». Et d’exprimer son émotion : «Les arméniens, lors de leur génocide, ont été aidés par bien peu. Mais parmi ceux qui leur ont porté secours il y avait les Turcs Yezidis. Aujourd’hui, lorsque je regarde les déportés yezidis, je vois les mêmes images, si ce n’est que maintenant elles sont en couleurs et, que le drame se déroule sur les lieux mêmes où a eu lieu le génocide arménien. Et il faut bien prendre conscience que les dirigeants de Daesh ne sont pas des cinglés. Ils sont une idéologie claire qui pourrait conduire à la destruction du monde».
Gaïdz Minassian invite les citoyens «à demander aux journalistes d’être plus exigeants. Et nous avons une classe politique qui est peut-être la plus mauvaise de la Ve République. La manifestation du 11 janvier est aussi là pour dire aux politiques d’arrêter leurs disputes stupides».
Claire Mouradian dénonce les idéologies totalitaires: «Elles apportent des réponses simplistes à des problèmes complexes».
Simplicité, complexité, comment s’adresser au plus grand nombre, Alain Chouraqui considère : «Pour arriver à la simplicité il faut passer par la complexité». Puis d’indiquer le besoin de règles qui s’exprime dans la société, règles qui nécessite de la régularité: «Mais dans les périodes de changement il y a une quasi impossibilité de la règle. Et, dans tous les cas, on trouve alors trois groupes, le premier tiers a besoin de lois, de normes, besoin de s’aveugler au point de ne pas voir que celui qui appelle au meurtre au nom de la soi-disant supériorité des grands blonds et lui même un petit brun. Un autre tiers de la population est capable de se débrouiller, de produire ses propres règles. C’est ceux qui étaient dans la rue le 11 janvier. Enfin, le troisième tiers bascule en fonction des crises, des rapports de force».

«L’Occident n’a plus les ressources pour dominer le monde »

Gaïdz Minassian de lancer: « Depuis trois siècles les normes sont dictées par l’Occident, elles sont aujourd’hui contestées par le reste du monde. Il faut bien mesurer que nous sommes à un tournant : l’Occident n’a plus les ressources pour dominer le monde. Nous, nous avons des politiques qui ne font pas leur boulot. Et nous avons eu des attentats qui sont l’expression d’une mondialisation par le bas. Nous sommes dans une bataille entre les normes occidentales et des États qui les contestent. Et puis il existe des paradis semi terroristes : la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et le Pakistan. Il va falloir nous interroger sur nos alliances lorsque l’on voit que, notamment, le Premier ministre turc est venu manifester le 11 janvier».
Jean-Luc Bennahmias : «Oui, notre classe politique n’est pas toujours à la hauteur mais, dans les événements que nous venons de traverser elle l’a été. De même cela vous choque que certains soient venus le 11 janvier. Je fais une toute autre lecture de ce qui s’est produit : des dictateurs se sentent obligés d’être présents et je trouve cela relativement positif. De plus, les attentats ont remis au centre du jeu la question de l’autorité des structures intermédiaires : des enseignants, de la santé, la justice, la police… Il s’est passé quelque chose d’extrêmement positif dans le pays». Puis d’inviter à se méfier «de lois qui pourraient être votées dans l’urgence mais le gouvernement me semble attentif à cette question».
Alain Chouraqui réagit à son tour aux propos de Gaïdz Minassian : «Vous dites que l’Occident n’a plus les moyens de sa domination et j’aurai tendance à dire tant mieux. Le roi est nu l’essentiel de notre apport doit être culturel et les choses ne se présentent pas trop mal d’autant que sur le plan économique et militaire nous avons encore quelques billes».
Michel CAIRE
Programme de ce samedi 24 janvier: Amnésie internationale

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