Anti_Fashion à Marseille- Entretien avec Lidewij Edelkoort :  » Il y a un mouvement qui veut que l’on repense les choses »

Publié le 3 juin 2017 à  10h52 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  16h07

«Depuis 2012 l’Anti_Fashion est à la mode», déclare sans rire Lidewij Edelkoort, la papesse de l’anti-mode en ouverture de la conférence de presse de la deuxième session à Marseille destinée à repenser en trois jours le système de la mode du 2 au 4 juin au J1 à quelques encablures du MuCEM. Un constat amusant de la part de celle qui déclare que «la mode n’a plus rien à dire» et dicte la voie à suivre dans ses cahiers de tendance suivis depuis plus de dix ans avec intérêt et crainte dans le monde de la mode et du design. «Il faut retrouver l’amour de la mode et du fétichisme», avance-t-elle, affirmant «je suis très optimiste, c’est en train de se faire». Et avoue être heureuse que des jeunes designers de mode aient réussi à «faire tenir dans un sac tout ce qu’ils ont envie de faire» et que la jeune génération ait envie de travailler avec leurs parents et la famille.

Stéphanie Calvino, Sophie Fontanel, Lidewij Edelkoort et Dider Parakian ont présente cette 2é édition de l'anti_fashion au J1 à Marseille (Photo ZAL)
Stéphanie Calvino, Sophie Fontanel, Lidewij Edelkoort et Dider Parakian ont présente cette 2é édition de l’anti_fashion au J1 à Marseille (Photo ZAL)

Lidewij Edelkoort, dite Li, pour qui «la mode n’a plus rien à dire» a publié en 2015 un manifeste intitulé «Anti_Fashion» dans lequel elle décrit un changement radical qui rend le «Fashion system» (la mode) actuel obsolète. «J’adore la mode. Je n’ai jamais dit que c’était la fin de la mode. J’ai dit que c’était la fin d’un système de mode comme on le connaît aujourd’hui. Ce n’est pas la faute de la mode, c’est la faute du système», précise-t-elle dans la note d’introduction des trois jours de tables rondes au J1. En conclusion de son introduction devant la presse réunie au J1, elle souhaite que ces journées permettent de «donner du sens et de croire que cette histoire est en marche».

Depuis ce manifeste a fait un chemin dans le milieu de la mode et dans d’autres univers comme le design ou la gastronomie pour devenir une référence, une façon de penser et d’innover. Le premier Rendez-vous Anti_Fashion autour de Lidewij Edelkoort et de son manifeste a eu lieu à Marseille en juin 2016. Cette nouvelle édition se déroule du 2 au 4 juin 2017 à Marseille. Elle est animée par Sophie Fontanel avec une vingtaine d’intervenants. Rassemblés autour de Li, ils questionneront le système actuel -un système de mode à bout de souffle, miroir d’une économie déréglée et d’une société fragilisée – pour écrire, ensemble le scénario du renouveau pour reprendre les termes de Lidewij Edelkoort.

Autre «influenceuse de talent » avec plus de 100 000 followers sur Instagram et marraine de ces journées, la journaliste et écrivaine Sophie Fontanel. Ancienne directrice de la mode de l’hebdomadaire «Elle» notamment, Sophie Fontanel avait quitté ce journal pour le Nouvel Observateur, créé un blog et publié des instagram avant la lettre sur sa vie quotidienne. Elle rappelle qu’elle s’était heurtée dans son journal à ceux qui ne voulaient rien changer au système. «Le manifeste est négatif ? questionne-t-elle. Tout ce qui meurt est remplacé par quelque chose d’autre. Il ne faut pas dire Yaka, il faut le faire», assure-t-elle dans une affirmation où l’on reconnaît

l’esprit de Canal+ dont elle a fait partie.
Sous la présidence de sa fondatrice Stéphanie Calvino qui organise pour la deuxième année consécutive ces journées de réflexion sur l’Anti_Fashion, Didier Parakian, adjoint au maire de Marseille mais surtout ancien industriel de la mode à Marseille et à l’international s’est félicité que Marseille soit en train de «devenir fashion». Il a cité nombre de leaders des métiers de la mode sur le territoire marseillais et aussi le trublion Jacquemus, nouveau venu dans cet univers, qui a cassé les codes avec son «Marseille je t’aime, Marseille je t’adore».

Le projet de ces journées est de créer des rencontres autour du manifeste Anti_Fashion, pour fédérer, rassembler et échanger entre les industriels de la filière textile, les marques et la formation, pour mieux comprendre le marché et ses attentes. L’objectif de ces Rencontres est d’explorer ensemble les nouvelles dynamiques de création et d’innovation dans un monde qui est en train de se réinventer et ce avec différents intervenants reconnus internationalement. Ouverts à tous sur le J1 jusqu’à dimanche après 15 jours de workshop, ces échanges permettront d’identifier des directions socio-culturelles émergentes que le monde économique pourrait emprunter, et de développer de nouveaux programmes d’études, de nouvelles approches d’enseignement innovantes et motivantes, de différentes matières artistiques et scientifiques pour les écoles et les universités, déclare le programme de ces journées.
Antoine LAZERGES
Programme de ce samedi 3 juin, dernier jour des débats: de 10h à 13h -Le temps & le geste, une nouvelle dynamique d’inspiration. De 14h-18h – Le sens & l’engagement ; une nouvelle dynamique de creation/production- du dimanche 4 juin de 10h-14h
le collectif & le collaboratif: une nouvelle dynamique de création.

Entretien avec Lidewij Edelkoort

(Anti-photos ZAL)
(Anti-photos ZAL)

Destimed : Pourquoi le manifeste Anti_fashion ?
Lidewij Edelkoort : Il y a un grand souci de ne plus tourner rond, le système de la mode ne fonctionne plus. Les consommateurs n’en veulent plus. On consomme trop ce qui fait que l’on n’a plus de goût parce que l’on perd le goût des choses quand on a trop de choses. Quand on a trop de yoghourt dans un supermarché on ne sait lequel choisir alors on part sans yoghourt. La même chose se passe dans le vêtement dans les bijoux, dans les sacs. J’ai commencé parce que, un jour, en sortant de Bernie, un grand magasin à New York, j’ai vu trois femmes très riches sortir déclarant «il n’y a rien ici ». Elles venaient de voir 50 000 références dans ce magasin. Je me suis dit: «Oh la la, ça devient de pire en pire». J’ai fait une étude en plusieurs points pour voir où cela coinçait, comment on pouvait changer et surtout, j’ai fait la critique de tout. C’est un risque que j’ai pris parce que c’est un peu kamikaze. J’aurais pu perdre tous mes clients. Mais, au contraire, nombre de personnes m’ont remerciée en disant: «C’est ce qu’on pense tous mais on ne peut pas le dire». Alors je suis devenue la porte-parole de beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens…
Des retombées?
Maintenant la vidéo Anti_Fashion sur Youtube a été vue par presque 300 000 personnes et tous les jours encore il y a de gens qui regardent. Donc il y a un vrai besoin de cette analyse. Depuis c’est un sujet dont les gens parlent et cela a éveillé un peu les consciences. Cet événement ici à Marseille en est le fruit. On avait déjà commencé, un tout petit peu, l’année dernière. Grâce notamment à l’Université de Marseille qui a un département business de mode. Des élèves travaillent avec nous en workshop pour trouver d’autres systèmes pour fabriquer, penser, communiquer, toucher les consommateurs. Cela va ouvrir une toute autre façon de faire. On est en train de renaître de nos cendres. Une époque super excitante est en train de naître. On va non seulement créer des vêtements mais on va créer tout autour.
Vous êtes la papesse du design de la mode ou son gourou selon les avis. Le créateur de facebook a conseillé à la génération Y, dont il fait partie, de «donner du sens à ce que l’on fait parce que il n’y a plus de sens pour cette génération. Est-ce que votre mouvement va dans cette direction ?
C’est ça ! C’est cette nouvelle génération qui en a marre, qui veut faire que les choses durent. On le voit avec les nouveaux élèves, ceux qui sortent des écoles, ils sont tous dans d’autres systèmes. Ils font, par exemple, une collection de nomade : ils mettent dans un sac à dos tout ce dont on a besoin… Ils pensent aussi beaucoup aux autres à l’environnement et au commerce équitable. Ils cherchent d’autres façons de travailler ensemble, plus en coopération. Est-ce que l’on peut partager ensemble la direction d’une boite? Est-ce que l’on peut travailler en famille… ? Beaucoup d’élèves ici veulent travailler en famille, ils veulent employer les anciens dans leur univers. Ils disent que les anciens ont un grand savoir dont ils veulent profiter…
Une question un peu politique : On parle d’anti-fashion, d’anti-art à propos de la photo (exposition Walter Evans au centre Pompidou à Paris) et d’anti-système en politique. Est-ce que cela fait partie d’un même mouvement?
Je ne peux pas le dire précisément. Il y a un mouvement qui veut que l’on repense les choses, ce qui explique les élections françaises. Ce hors système fera démarrer un autre système parce que l’Homme a besoin d’un certain nombre de paramètres..
C’est un nouveau système qui se met en mouvement pour créer quelque chose de nouveau mais sans détruire ce qui existe avant. Cela se rajoute ?
Il faut quelque part éroder ce qui se fait maintenant et faire la preuve de pouvoir exister pour pouvoir fermer. Je vais tout faire pour que cela fonctionne.
Propos recueillis par A.L.

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