Après Avignon Lionel Cecilio s’invite à Paris dans « Voyage dans les mémoires d’un fou » à l’Essaïon théâtre jusqu’au 15 juin

Publié le 3 juin 2019 à  22h24 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  11h46

Comment réagir lorsqu’on réalise que sa dernière heure est proche ? Saisir la vie à bras-le-corps ou attendre la fin avec fatalité ? Et pourquoi ne pas tenter de laisser une trace de son passage sur terre, une marque, un souvenir, en écrivant ses mémoires pour les offrir à un lecteur imaginaire ?

Lionel Cecilio dans
Lionel Cecilio dans

C’est le point de départ d’un récit, haletant et délirant, aux frontières du réel. Un texte impressionnant d’intelligence et de beauté d’écriture signé Lionel Cecilio. Pour tous ceux qui ont pu l’applaudir au Festival Off d’Avignon l’an dernier, voici qu’il reprend du service jusqu’au 15 juin à l’Essaïon de Paris. Oui revoilà ce jeune fou qui redonne vie à des personnages surprenants : un père rassurant, un médecin lunaire, un prêtre désarmant, un professeur acariâtre, un coach de boxe philosophe, Dieu, Einstein, ou même Jeanne d’Arc… La mémoire s’emballe et entraîne la plume puis le corps. Il est intarissable, inaltérable, inarrêtable. Tous ces personnages qu’il a croisés ou fantasmés renaissent sous ses traits et dans une folie salvatrice et enivrante, c’est lui qui à présent s’offre une deuxième vie ! Sur des textes émouvants, finement ciselés, qui amusent autant qu’ils donnent à penser, l’auteur invite à un passionnant périple intérieur d’une rare sensibilité, d’une force poétique et d’une cruauté débridée. Passer du rire aux frissons, voilà l’une des promesses tenues de ce seul en scène poétique et drôle. Une véritable découverte… un hymne à la folie du monde.

La difficulté à trouver sa place

«Le thème profond et global de ce spectacle est la question de la difficulté, pour tout un chacun, à trouver sa place», précise Lionel Cecilio, auteur, acteur, et metteur en scène. «Si les différences des uns et des autres sont remarquées, revendiquées, soulignées, stigmatisées, elles peinent finalement à être apprivoisées et acceptées. Le monde moderne s’enfonce dans une douce schizophrénie. On n’aura jamais autant parler de différences et de vivre ensemble; Et on n’aura jamais autant tenté de normaliser la vie tout en vivant les uns à côté des autres. C’est en partant de ce constat que j’ai eu envie de rendre hommage aux « autres », aux « différents », à tous ceux qui tendent parfois à faire un pas de côté pour ne pas se laisser emporter par le courant.» Pour Lionel Cecilio, il s’agit ici «de rendre un instantané drôle et tendre de notre monde et de ses nombreuses absurdités, à travers le regard d’un jeune homme qui en est spectateur malgré lui. Considéré comme autiste par ses professeurs, trop petit par ses camarades, trop poète par le monde du travail. Toujours trop ou pas assez, il n’aura de cesse d’être considéré comme différent. Atteint d’une maladie qui sclérose son corps, il se sent mourir d’immobilisme dans ce monde en mouvement perpétuel. Mais cette mise au banc lui donne finalement le recul qui deviendra sa force pour constater et rapporter avec beaucoup d’humour l’absurdité du monde qui est le sien. Son esprit, plus vagabond que jamais, se fait l’écho de ses souvenirs pour faire revivre en lui tous ces personnages porteurs de ces absurdités, ces « juges de l’autre ». Secoué par la douleur, éperonné par la mort qui frappe à la porte, il ressent l’urgence de le dire! Au théâtre comme dans la vie c’est cet état d’urgence qui valide nos propos, en évitant de tomber dans l’écueil du « donneur de leçon »» . Et l’auteur, acteur et metteur en scène de conclure : «Le moteur pour aborder le thème de la vie m’est donc apparu comme une évidence, la mort. Comme le dit l’un des personnages du spectacle « on commence à croire en la vie quand on finit par prendre conscience de la mort. » Accepter l’idée de la mort c’est le plus sûr moyen de vivre pleinement. Voilà donc mon personnage qui écrit ses mémoires. Mais au théâtre rien n’est sûr, le lecteur est hypothétique, supposé, espéré…». Magnifique credo relayé par une mise en scène originale.

Une mise en scène garante d’une constance cohérente entre les univers

Soucieux du moindre détail Lionel Cecilio acteur né et homme de théâtre à l’écoute du bruissement du monde, a particulièrement soigné l’ensemble. « La mise en scène , explique-t-il, est garante d’une constante cohérence entre les univers visuels et sonores. La musique et les lumières se confondent pour emmener le spectateur ailleurs.» Du coup ce spectacle est un véritable voyage qui embarque le spectateur, de manière à ce qu’il n’ait jamais l’impression d’être dans un théâtre, qu’il ne sache d’ailleurs même pas où il se trouve et qu’il ne se pose jamais la question. « Une dimension parallèle comme un rêve, dont on ne prend conscience que lorsque l’on en sort en se réveillant», indique Lionel Cecilio qui ajoute : «L’unité de temps et de lieu est respecté, ainsi que l’urgence qui sont des notions si précieuses, selon moi, au théâtre. Pour le montrer, trois espaces scéniques renvoient au présent, au passé proche et au passé plus ancien du personnage. Tout est très clairement distingué, plus proprement possible, avec un rythme le plus lancinant possible, comme une berceuse des sens, pour pouvoir, en fin de spectacle, tout faire voler en éclat ! Réveiller le spectateur de cet état de somnolence dans lequel nous plonge le monde. Lorsque la vie, éperonnée par la mort pressante en fin de spectacle, reprend le dessus, le spectateur doit lui aussi reprendre conscience dans une inspiration de délivrance et de soulagement. C’est donc une nuit que l’on passe avec ce jeune. Dans une chambre, que j’ai volontairement voulu modeste afin de remettre au centre des questionnements l’équilibre entre richesse matérielle et richesse spirituelle. Enfin, la maladie affectant le corps, la mise en scène marque la cassure entre un esprit libre et un corps figé devenu une prison, en s’appuyant énormément sur le mouvement et la tenue de corps du (des) personnage(s). »

Souvenirs d’enfance

Lionel Cecilio qui avait écrit plusieurs spectacles avant celui-ci s’est beaucoup nourri de la lecture de «Mémoires d’un fou» de Flaubert pour écrire sa pièce. Et de raconter qu’en règle générale il écrit tous les jours avec un petit carnet, avec des annotations sur une quantité infinie de thèmes qui traversent sa vie. «Je suis un observateur presque malgré moi, confie-t-il, et j’ai nourri « Voyage dans les Mémoires d’un fou » de rencontres successives et de quelques souvenirs d’enfance». Et de faire dire à son personnage : «Enfant, j’avais mal à l’être, jeune homme mal au cœur, et à présent adulte, j’ai mal au corps». Hymne à l’écriture à la puissance des rêves, cette pièce précise que «les mots se jouent de nous peut-être plus que l’on ne joue avec eux». Et les spectateurs d’applaudir. «Beaucoup de gens qui m’accostent à ma sortie de scène ne viennent pas me parler du spectacle en lui-même, raconte-t-il, mais évoquent une part de leur existence. Cela m’a beaucoup touché et du coup ce spectacle a ce supplément d’âme que je voulais y mettre.» Après quatre années dans le off d’Avignon où il ne jouera pas cet été, Lionel Cecilio que l’on a pu voir récemment au cinéma dans Les Tuche 3, de Olivier Baroux- La fête des mères de Marie Castille Mention Schaar que l’on verra prochainement dans Miss de Ruben Alves (Sortie prévue en 2020), et L’Empire des papillons de Viktor Bernard (Sortie prévue hiver 2019), s’en va promener son « fou » à Paris. Et avec le même enthousiasme et le même amour du théâtre et des gens. Une grande pièce, un grand texte et un acteur aussi fabuleux que grand défenseur de la langue française.
Jean-Rémi BARLAND
«Voyage dans les mémoires d’un fou» de Lionel Cecilio à l’Essaïon théâtre – 6, rue Pierre au Lard, 75004 Paris du jeudi au samedi jusqu’au 15 juin à 21h15. Texte disponible chez iPagination éditions (89 pages, 10€) – Plus d’info et réservations : Essaïon théâtre

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