Au Grand Théâtre de Provence « Der Freischütz » revisité avec talent

Publié le 9 mars 2019 à  9h33 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h47

La somptueuse scène finale de cette production du
La somptueuse scène finale de cette production du

Foin de culottes de peau et d’escopettes de carnaval, c’est un « Freischütz » dépoussiéré et revisité qui vient d’enchanter deux soirées du Grand Théâtre de Provence d’Aix … Un « Freischütz » magique voulu par Laurence Equilbey désireuse de retrouver les ambiances de son enfance passée en Forêt Noire et de rendre à cette œuvre de Carl Maria von Weber son aura romantique dont elle ne bénéficie que très peu, aujourd’hui, auprès du public, mélomane ou non. Ce qui est fort dommage car la partition du compositeur allemand est dense, inventive, chargée d’émotions mais aussi de respirations ; on y trouve des inspirations mozartiennes avec, entre autres, l’Ermite apparaissant tel le commandeur, puis sentencieux et empli d’humanité à l’image de Sarastro ou Max qui serait comme un frère fragile de Tamino. On peut aussi y découvrir des préfigurations wagnériennes, notamment avec le forgeage des balles au cœur de la Gorge-aux-loups rappelant celui du Tarnhelm par Mime dans l’antre d’Alberich… Pour cette production, Laurence Equilbey a fait appel à Clément Debailleul et Raphaël Navarro, les fondateurs de la compagnie 14:20, précurseuse en matière de magie nouvelle. Les effets visuels sont à la base d’un travail qui épure grandement l’environnement scénique au bénéfice de l’action. Ils jouent avec les lumières et les hologrammes pour passer sans cesse, efficacement, du réel au spectral, et travaillent sur la lévitation pour renforcer un côté surnaturel bienvenu ; de l’obscurité ambiante émergent les protagonistes et les balles de métal sont intelligemment remplacées par des balles de jonglage fluorescentes. Des effets réussis, pour la plupart, dans des conditions extrêmes puisque tous les réglages qui avaient été peaufinés pour l’Opéra de Caen, où la production a été créée le 1er mars dernier, ont dû être retravaillés en trois jours par les techniciens pour s’adapter à la scène du Grand Théâtre de Provence dont l’ouverture, entre autres, est bien différente de celle de l’établissement lyrique caennais. De la belle ouvrage. Dans la fosse, on espérait beaucoup du son de Insula Orchestra et le résultat fut à la hauteur de ces attentes. Sous la direction précise et attentive de Laurence Equilbey, les instruments d’époque font merveille pour servir une partition, on l’a dit, des plus intéressantes. Cordes de velours, bois subtils et aériens, cors puissants et colorés : la directrice musicale, qui affectionne et connaît particulièrement cette œuvre, permet aux musiciens de donner le meilleur. Une interprétation qui a le mérite de gommer le clinquant souvent de mise avec les instruments modernes, pour laisser la place à une audition certainement plus proche de ce que désirait Weber pour son opéra. Sur la scène, le chœur Accentus fait merveille, totalement intégré à la scénographie et vocalement idéal à tous les pupitres, en totale harmonie avec le son de l’orchestre. Puis il y a une distribution taillée pour adhérer aux partis pris de cette production avec deux sopranos exceptionnelles, Johanni van Oostrum et Chiara Skerath. La première incarne une Agathe vocalement puissante tout en livrant un chant très nuancé et la deuxième est une Ännchen espiègle, à la ligne de chant idéale et à la belle maîtrise technique ; la jeune soprano belgo-suisse sera d’ailleurs ovationnée avec ferveur par le public. A leurs côtés, Tuomas Katajal est un parfait Max, belle projection, voix bien en place, au jeu travaillé conférant au personnage une angoisse palpable. Le Kaspar de Vladimir Baykov est inquiétant et tourmenté à souhait, voix profonde et puissante. Hiératique et mystique, Christian Immler est un parfait Ermite, Thorsten Grümbel un puissant Kuno, Samuel Hasselborn, un prince Ottokar noble et rigide, Anas Séguin un Kilian joueur. Un mot, pour terminer, afin de saluer les jonglages et les prestations dansées de Clément Dazin, Samiel omniprésent sans être pesant. Appelé à voyager jusqu’à l’automne, avant d’être enregistré en live au Théâtre des Champs Elysées, ce Freischütz a le grand mérite d’exister dans cette version moderne apte à séduire un large public tout en servant à merveille la musique de Weber.
Michel EGEA

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