Au Gymnase de Marseille – « Les Bas-fonds » de Gorki : un voyage en enfer revu par Eric Lacascade

Publié le 10 décembre 2017 à  19h00 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h49

Miséreux et misérables, peu solidaires souvent mais s’organisant parfois dans l’espoir d’un avenir moins sombre (Photo Brigitte Enguerand)
Miséreux et misérables, peu solidaires souvent mais s’organisant parfois dans l’espoir d’un avenir moins sombre (Photo Brigitte Enguerand)
Sur un tableau noir chacun vient écrire son nom à la craie. Ils s’appellent Nastia, Anna, Pepel, L’acteur, Natacha ou Louka. Il y a aussi Kletch dont la femme est déprimée et malade. Ils incarnent tous la misère sociale et morale, végétant dans un sous-sol puant et sombre que l’on appelle des «bas-fonds» sans espoir de lendemain radieux. Nous les suivons pas à pas, larmes à larmes devrait-on dire et nous verrons (belle idée de mise en scène) certains noms effacés quand ils sont éjectés du monde lors d’une fin tragique. Miséreux et misérables, peu solidaires souvent mais s’organisant parfois dans l’espoir d’un avenir moins sombre. Alors quand Kostilev vient prélever l’argent du loyer, ils subissent cette ponction comme une injustice supplémentaire. Alors ils crient leur douleur. Ils la hurlent même à l’image des acteurs les incarnant sous la mis en scène tapageuse, vrombissante, agitée, d’un Eric Lacascade exalté. Ainsi montrés, c’était au théâtre du Gymnase de Marseille, «Les bas-fonds » de Gorki, c’est du Tarantino chez les Surréalistes. Un mélange continu d’excès brut de décoffrage notamment dans le dernier acte où la bière coulera à flots, jetée parfois en l’air, -les spectateurs du premier rang échappant de justesse à l’arrosage- et de stylisation chargée de gommer les aspérités de la démonstration théâtrale. Ainsi, on voit chaises et tables voler à grand fracas, et l’on fait monter et descendre sur des tringles des costumes que l’on va ensuite enfiler un à un. On retiendra de cette débauche de bruits et de fureurs la constance avec laquelle Eric Lacascade se tient à son projet global avec une cohérence sans failles. On lui précisera cependant que ce n’est pas parce que les gens vocifèrent qu’ils disent des choses importantes et qu’ils se font entendre. Abondance de biens nuisant parfois, ces «Bas-fonds» là donnent le tournis, même si on doit souligner le travail intéressant du metteur en scène qui ose prendre des risques et bousculer le spectateur. On notera son aptitude à faire jouer les acteurs ensemble dans un remarquable esprit de troupe. Parmi eux notons la performance de Gaëtan Vettier qui dans le rôle d’Aliochka apporte cette part de folie inhérente à l’écriture de Gorki et au travail de Lacascade. Il incarne d’ailleurs le symbole même de la liberté résistante des uns et des autres Aliochka étant le seul personnage de cette pièce de Gorki (la première dans l’histoire de théâtre où les pauvres et les exclus sont les héros), qui transforme en comédie de mœurs un drame sociale pesant. Cri de colère politique «Les bas-fonds», dénonciation de l’exploitation de l’homme par l’homme entraînant ici la maladie et la mort . Une pièce lourdement signifiante manquant singulièrement de mystère. Toute comparaison gardée un drame de Sartre à côté s’apparente à du Mallarmé. C’est dire combien tout est prévisible, didactique, le tout rendu plus explicatif encore par la mise en scène en lutte et à juste titre, contre les injustices du monde.
Jean-Rémi BARLAND

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