Avignon Off 2021. Rencontre avec Édouard Dossetto, Pablo Chevalier et Josselin Girard qui jouent ensemble dans des pièces mises en scène par Bruno Dairou

Publié le 28 juillet 2021 à  10h36 - Dernière mise à  jour le 1 novembre 2022 à  14h52

Complices à la ville depuis l’enfance et sur les planches où ils se retrouvent régulièrement dans des mises en scène signées Bruno Dairou, (une sorte de magicien du théâtre à la tête de La Compagnie des Perspectives), Édouard Dossetto et Pablo Chevalier crèvent les planches dans plusieurs pièces données dans le Off d’Avignon. Adjoignez-leur Josselin Girard qui les retrouve sur «La leçon» de Ionesco et le «Caligula» de Camus, (ce même Josselin Girard époustouflant dans «De Profundis» de Wilde proposé par encore Bruno Dairou) et vous aurez un trio de comédiens d’exception, subtils et intelligents qui réfléchissent sur leur métier avec au cœur un évident esprit de troupe.

«Pour un oui ou pour un non »

Pablo Chevalier (en blanc) et Édouard Dosseto (en bleu) dans
Pablo Chevalier (en blanc) et Édouard Dosseto (en bleu) dans

Chef d’oeuvre de Nathalie Sarraute «Pour un oui ou pour un non » est donné dans le Off au Cabestan tous les jours à 10h. Deux amis proches, pour une expression maladroitement employée, déclenchent une guerre fratricide qui remet en cause leur amitié. Les mots se chargent de ridicule et d’absurde pour aboutir à une joute verbale qui fait de ce texte une tragi-comédie contemporaine unique. «C’est un théâtre qui part d’un rien et qui devient explosif», précise Édouard Dossetto, «et, grâce à Bruno Dairou », enchaîne Pablo Chevalier: «Nous avons un plaisir fou à jouer cette pièce qui parle de ce qui peut nous arriver, avec une élégante façon de s’en mettre plein la figure.» Décryptage du texte à la table, répartition des rôles qui s’est faite d’elle-même, soin apporté ensuite à l’expression des silences, dialogues sur toutes les questions que pose le texte, et comme il s’agit d’une pièce sur les non-dits, les deux comédiens travaillent aussi dans l’ellipse. Le résultat tout simplement brillant offre un grand moment de théâtre où Édouard Dossetto et Pablo Chevalier montrent qu’ils savent mettre en valeur le tandem corps-voix si indispensable pour les comédiens. L’art du clown et du cirque n’est pas non plus très loin… et Bruno Dairou de vêtir les deux protagonistes de Sarraute d’habits éclatants de couleurs.

« La leçon », une pièce unique dans l’œuvre de Ionesco.

Le metteur en scène Bruno Dairou. ©Philippe Hanula
Le metteur en scène Bruno Dairou. ©Philippe Hanula

Édouard Dossetto et Pablo Chevalier on les retrouve dans «La leçon » de Ionesco à 15 heures au Théâtre de l’Albatros. Ils sont rejoints pour l’occasion par Josselin Girard qui interprète un troisième personnage totalement déjanté. Au premier abord, il s’agit ici d’un drame comique et grinçant fondé sur une relation délirante professeur-élève. «En effet, quel être étrange que cet enseignant qui s’extasie aux réponses les plus simples et devient franchement inquiétant au fur et à mesure que se déroule l’intrigue», précisent les comédiens. «Des mathématiques les plus folles à la philologie la plus meurtrière, tout est au service de l’absurde. Mais au final, ajoutent-ils, si ce texte est une violente dénonciation du totalitarisme, c’est bien à la façon de Ionesco qui déclare : “il faut parler avec légèreté des choses graves” » ne saurait mieux dire et on est saisis par la mise en scène là encore absolument pas illustrative avec laquelle Bruno Dairou fait sonner les mots, et met en valeur les tris acteurs totalement complices.

« De profundis » d’Oscar Wilde avec un Josselin Girard impressionnant

Josselin Girard dans
Josselin Girard dans

Troisième larron de «La leçon» Josselin Girard signe avec «De profundis» une performance d’acteur absolument inoubliable. Né le 14 octobre 1991 ayant découvert le théâtre à huit ans, avec en prolongement une formation au Conservatoire de Poitiers où des professeurs tels que Jean-Pierre Berthomier, Agnès Delume et François Martel lui ont mis le pied à l’étrier. Diplôme et ateliers autour de Poitiers, -avec la création d’une chaîne YouTube qui parle de.. vinyles. «Cette chaîne qui compte 1 000 abonnés, je l’ai appelée « Vinylement vôtre » et elle s’intéresse principalement au rock progressif et alternatif. Avec des mélodies pouvant te faire trouver des émotions»- et la participation à des projets de courts métrages et de la figuration dans des séries allemandes. Puis il y eut la rencontre avec le metteur en scène Bruno Dairou qui a véritablement propulsé Josselin Girard sur les planches.

«Ce fut un choc»

Le Off festival d’Avignon l’acteur le fréquentait depuis neuf ans. Lui qui en 2017 avait joué dans «Interimeurtre » avec la Compagnie des Gavroches, une pièce de théâtre écrite et mise en scène par Alexandre Josse, où il retrouvait Michel Frenna pour interpréter à ses côtés des personnages rocambolesques, Josselin Girard s’est mis à tracter dans les rues d’Avignon. A repérer les gens à entamer des dialogues sur l’art d’être comédien, à faire de la régie. Et c’est presque naturellement que Bruno Dairou, très impressionné par sa détermination, et son charisme l’a engagé pour jouer « De profundis» son adaptation d’Oscar Wilde. Cela tombait à point nommé, lui qui vivait des moments difficiles dans sa vie, et qui était parti se ressourcer en faisant un pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle. «Ce texte Bruno me l’avait fait lire, et ce fut un coup de cœur. J’avais envie de défendre la pièce et travailler sur comment dire les choses. Et ce fut un choc.» Ajoutons que pour le spectateur aussi.

Nous sommes en 1897. Oscar Wilde est condamné à deux ans de prison dont quatorze mois de travaux forcés pour homosexualité à la suite d’un procès qui l’a opposé au père de son jeune amant, Bosie ; envoyé à la prison de Reading, alors qu’il est usé par les tâches faites pour briser, le directeur du lieu accepte qu’il écrive quelques heures par jours. Et cela aboutit à cette œuvre déchirante, «De Profundis»: ce texte est tout à la fois constat terriblement lucide adressé à son jeune amant, analyse acérée de la morale victorienne et affirmation de ses choix de vie sans concession. Mais, avant tout, par sa poésie, son émotion, ses regrets et la beauté de sa langue,«De Profundis» est un chef d’œuvre de la littérature universelle. «La mise en scène de notre spectacle et le jeu tout en retenue de Josselin Girard se veulent tout simplement au service de ce joyau» précise Bruno Dairou. « Pour nous les prisonniers, il n’existe qu’une saison, la saison de la douleur», dit d’emblée Oscar Wilde écrivant à son jeune amant Lord Douglas depuis sa cellule. «Le but de l’amour c’est d’aimer. Ni plus ni moins», ajoute-t-il lui qui précise : «Je suis de ceux qui sont faits pour les exceptions et non pour les lois mais tandis que je vois qu’il n’y a rien de mal dans ce que l’on a fait, il y a quelque chose de mauvais dans ce que l’on devient.»

Langue magnifique où Oscar Wilde rappelle : «La religion ne m’aide pas la foi que d’autres accordent à ce qui est invisible je préfère la donner à ce que l’on peut toucher ou regarder.» «De profundis» est un miracle de mise en scène et d’interprétation. Avec des mouvements dessinant des cercles, Bruno Dairou magnifie les gestes du prisonnier, et nous offre un flot de déplacements du comédien reflétant les tourments de son âme. Sur scène dans la peau d’Oscar Wilde sur scène Josselin Girard est inouï de force, de sensibilité, de virtuosité, d’intériorité et de finesse.

Tellurique il prolonge la beauté poétique du texte par une présence magnétique. L’entendre porter d’une voix puissante et claire la confession de Wilde déchiré et déchirant lançant au final : «Ce que j’ai devant moi c’est mon passé. Il faut que je m’oblige à le voir avec des yeux différents», secoue, impressionne, touche à l’âme et au cœur. Voilà un grand acteur, dans une grande pièce éclairée par un grand metteur en scène. « Un grand metteur en scène, dit Josselin, c’est celui qui t’accompagne plutôt qu’il te dirige. Et une grande pièce c’est quand tu sors de là en te demandant ce que tu as vu. Avec des choses très simples qui te parlent». Secoué lui-même par ce texte qui l’a fait sortir de sa zone de confort, Josselin a pour projet de monter «« Hamlet » dans une version plutôt déjantée où une fille jouerait Hamlet et où le père d’Hamlet serait habillé en Dark Vador.» En plus du talent Josselin Girard possède de l’imagination à revendre.

«Caligula» en cousin de « Hamlet » avec un Antoine Laudet tellurique

«Hamlet» justement parlons-en puisque le «Caligula» de Camus proposé par Bruno Dairou à La factory à 18h10 où nous retrouvons Édouard Dossetto, Pablo Chevalier et Josselin Girad dans des rôles que l’on peut appeler « périphériques » quoi que fondamentaux est une sorte de cousin du personnage shakespearien. La référence est explicite avec ce crâne posé sur la scène qui symbolise Hamlet mais aussi la pensée de rationalistes cartésiens en opposition ici avec la violence irraisonnée du tyran. Un carré où des cubes qui semblent être une version moderne de pieds de colonnes romaines des temples déchus, une scénographie modulable, nous nous situons au niveau du chef d’oeuvre. Caligula c’est Antoine Laudet. Pour le jouer, non que dis-je, pour l’incarner il est tout simplement phénoménal, gigantesque, inoubliable. D’une voix puissante il nous happe, nous secoue, nous emporte. Esprit de troupe oblige ses camarades sont également d’un niveau assez inégalable. On retiendra surtout la performance de Céline Jorrion, la seule femme du groupe qui en maîtresse sacrifiée de Caligula nous bouleverse. Édouard Dossetto qui a co-signé la mise en scène, Pablo Dossetto, Antoine Robinet, ou encore Josselin Girard sont eux aussi absolument parfaits, si bien que nous avons l’impression de voir surgir devant nous toute une humanité asservie à la volonté d’un chef implacable. Un tyran complexe tenaillé par la passion de l’impossible et le désir de maîtriser son destin. Pour un péplum théâtral d’une amplitude gigantesque. On l’aura compris Dossetto, Girard, Chevalier, Laudet, Jorrion, Robinet, sans oublier la graphiste Camille Vigouroux, qui forment la bande à Dairou… sont au service du texte à défendre. Des grands en fait !
Jean-Rémi BARLAND

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«Pour un oui ou pour un non » au théâtre du Cabestan à 10h. 11, rue du Collège de La Croix. 20 € ; 14 € ; 10 €. Réservations au 04 90 86 11 74


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« De profundis » au Théâtre de l’Albatros à 11h. Jusqu’au 31 juillet. 29 rue des teinturiers. 20 € ; 14 € ; 10 € ; Réservations 04 90 85 23 23 ou 04 90 86 11 33.


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« La leçon » au Théâtre de l’Albatros. À 15 h. Jusqu’au 31 juillet. 29 rue des teinturiers. 20 € ; 14 € ; 10 € ; Réservations 04 90 85 23 23 ou 04 90 86 11 33.


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« Caligula » de Camus A La Factory. Salle Tomasi. 4 rue Bertrand. À 18h10 jusqu’au 31 juillet. 22 € ; 15 € ; 10 €. Réservations au 09.74.74.64.90.la-factory.org)]
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