Avignon off 2022. ‘Au scalpel’, la pièce subtilement tranchante d’Antoine Rault avec Bruno Salomone et Davy Sardou

Publié le 25 juillet 2022 à  21h29 - Dernière mise à  jour le 11 juin 2023 à  19h06

Cela pourrait s’appeler «Tant qu’il y aura des frères», «Abel et Caïn au pays de la chirurgie», «Prêcher le faux pour savoir le vrai », ou encore «L’ambiguïté de la vérité». Mais la pièce s’intitule «Au scalpel» et c’est la nouvelle pièce d’Antoine Rault qui, créée dans le Off d’Avignon le 7 juillet 2022 pour y être jouée jusqu’au 30 juillet sera reprise à Paris au Théâtre des variétés du 30 septembre au 30 décembre prochain.

Bruno Salomone (A) et Davy Sardou (B) dans une comédie d’Antoine Rault qui découpe les sentiments au scalpel. (Photo Fabienne Rappeneau)
Bruno Salomone (A) et Davy Sardou (B) dans une comédie d’Antoine Rault qui découpe les sentiments au scalpel. (Photo Fabienne Rappeneau)

L’intrigue ou plutôt la trame tient dans la main, tout l’art de l’auteur consistant à concevoir le rapport des deux personnages comme un duel, sans à aucun moment entrer dans la psyché des protagonistes. Pas non plus de point de vue omniscient, le spectateur est entraîné dans un affrontement où l’on ne peut distinguer avec certitude lequel des deux parties dit la vérité ou même s’il y a une vérité. A ce même spectateur de remplir les blancs de la narration et de se faire sa propre opinion lors d’un épilogue à la fin ouverte. Pas d’actes ni de tableaux la pièce est comme une grande dispute où deux frères aux noms réduits à une initiale (A et B) «se cherchent», s’affrontent et règlent leurs comptes. Chacun mène l’autre par le bout du nez, l’auteur s’y employant autant avec les personnages que le spectateur assez touché et impressionné par cette forme théâtrale rappelant les dimensions labyrinthiques des pièces de Pirandello, et Pinter, écrivains qu’Antoine Rault admire tout particulièrement. d’emblée dans un décor où les meubles blancs prédominent tranchant avec la noirceur des personnages, nous voilà en quelque sorte pris à partie.

Noir duel sur fond blanc

Deux frères.
L’un est un brillant chirurgien à qui tout réussit en apparence.
L’autre est un photographe qui semble assez content de lui.
L’un était amoureux de la femme de son frère.
L’autre a été l’amant de la femme de son frère.
L’un était le premier de la classe.
L’autre était le fils préféré.
L’un et l’autre ne se sont jamais dit à quel point ils se détestent.
Jusqu’à ce soir…
Qui est Abel ? Qui est Caïn ?
Et que s’est-il vraiment passé entre eux ?

Dans ce jeu de dupes où l’on verra l’importance de l’idée que nul ne guérit de son enfance, chacun des deux frères a successivement menacé l’autre avec un scalpel, objet ou parole. Mais des questions demeurent : Cela a-t-il eu lieu ? Cela aurait-il pu avoir lieu ? Cela va-t-il avoir lieu ? La pièce s’achève comme elle a commencé selon le procédé que maniait John Boynton Priestley (1894-1994), auteur britannique, romancier et grand voyageur dont Antoine Rault affectionne les œuvres.

Acteurs parfaits

L’équilibre entre la noirceur et le comique fonctionne à plein régime autant grâce au texte que par le soin du jeu apporté par les deux comédiens. Bruno Salomone dans le rôle de A chirurgien apparemment sans peur et sans reproches, est tout à fait convaincant. Mais la palme revient à Davy Sardou génialement diabolique sous les traits de B photographe soucieux non de son image mais de faire triompher l’idée qu’il se fait de la justice. Ils s’accordent en tout cas à merveille dans cette partition qui faisant référence à Caïn et Abel rappelle «La thébaïde ou les frères ennemis», pièce assez méconnue de Racine, «Comme il vous plaira» de Shakespeare, certaines pièces de Lagarce, «Frères et sœur» de Philippe Minyana, «Fratricide» de Dominique Warluzel, créée dans le Off d’Avignon en 2013, «L’ouest solitaire» de Martin McDonagh joué de manière irrésistible par Dominique Pinon et Bruno Solo, où l’on voit deux frères irlandais unis autant par la haine que par des liens familiaux s’affronter en des relations intenables et comiques. On songe aussi et surtout à la pièce «Le limier» d’Anthony Shaffer que Joseph Leo Mankiewicz a porté à l’écran dans un chef d’oeuvre du cinéma. Antoine Rault qui va publier le 25 août prochain chez Plon son nouveau roman intitulé « Monsieur Sénégal» n’ayant pas son pareil pour débusquer la poussière sous le tapis des sentiments apparemment quantifiables.

Mise en scène lumineuse de Thierry Harcourt

Grand admirateur lui aussi de Pinter, le metteur en scène Thierry Harcourt offre aux acteurs une partition qui refuse le tiédasse, et leur permet de la jouer en grande complicité et confiance. De cette fluidité naît la magie de leur interprétation croisée Thierry Harcourt montrant bien que la pièce, cri de haine contre cri de haine est plus complexe qu’il n’y paraît. Un spectacle populaire mais pas populeux, drôle et tragique à la fois, précis, ample qui fait aimer le théâtre et ceux qui comme ici le servent avec élégance, talent et rigueur.
Jean-Rémi BARLAND
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«Au scalpel», pièce d’Antoine Rault. Au Théâtre des Gémeaux – 10, rue du vieux sextier. 84 000 Avignon. Jusqu’au 30 juillet à 13h10. Tarifs : 24 € ; 17 € ; 10 € ; Réservations au 09 87 78 05 58 ou sur theatredesgemeaux.com

Au théâtre des variétés à Paris du 30/09/22 au 30/12/22 – 7, boulevard Montmartre 75002 Paris. Infos et réservation : Tél. location 01.42.33.09.92.

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