Camp des Milles. ‘La grande inquiétude des témoins et acteurs de notre passé face au retour des vents mauvais’

Publié le 22 avril 2022 à  18h34 - Dernière mise à  jour le 5 novembre 2022 à  12h34

A l’occasion de la cérémonie commémorative qui vient de se dérouler au Site-mémorial du Camp des Milles dans le cadre de la Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation « un Appel des mémoriaux et institutions mémorielles » a été lancé: «Le vote républicain et démocratique le 24 avril prochain est le meilleur moyen d’éviter l’accès au pouvoir d’un régime intolérant et extrémiste et de ses dérives autoritaires voire mortifères».

© Camp des Milles
© Camp des Milles

Ils étaient tous là. Représentants de l’État, élus locaux et nationaux, corps consulaire, déportés, résistants, anciens combattants, représentants des armées et des cultes, et nombre de citoyens, qui s’étaient tous rassemblés en ce moment d’hommage aux victimes et héros de la déportation. Pour ne pas oublier leur destin tragique mais aussi la force de leur engagement.

La cérémonie initialement prévue le dernier dimanche d’avril a été avancée au 21 avril en raison du calendrier électoral, a débuté par le chant «Nuit et Brouillard» : « Vous étiez vingt et cent, / vous étiez des milliers / Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés / Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants / Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent». Ce chant faisait écho à la lecture des noms des enfants et adolescents déportés du Camp des Milles durant l’été 1942 uniquement parce que juifs.

Dans le silence, la voix de Hanna s’élève et égrène les noms, prénoms et âges de ces petites victimes innocentes… Comment oublier les prénoms de ces vies brutalement interrompues par Vichy qui avait demandé aux nazis de pouvoir déporter les enfants de la zone «libre» ? Comment ne pas penser à ces familles persécutées ? A ces destins brisés par une idéologie mortifère ? Et comment ne pas constater aujourd’hui que le processus qui a conduit au pire est à nouveau enclenché, nourri de crises diverses et de passions identitaires, de racisme, d’antisémitisme, de xénophobie ?

«Nous avons connu, subi et combattu le régime de Vichy»

C’était le sens de l’alerte de Denise Toros Marter poignante, qui rappela son arrestation puis sa déportation à Auschwitz à l’âge de 16 ans. Puis elle lut l’Appel des Grands Anciens du Site-mémorial du Camp des Milles : «Nous avons connu, subi et combattu le régime de Vichy et sa politique d’extrême droite, autoritaire, nationaliste, xénophobe et antisémite. Aujourd’hui, en France et en Europe, nous voyons monter à nouveau cette xénophobie, ce nationalisme, ces racismes et cet antisémitisme, encouragés par des personnalités et des partis extrémistes.(…) Nous ne supportons pas l’idée que les héritiers des politiques antirépublicaines que nous avons connues, puissent à nouveau exercer et détourner le pouvoir républicain. (…) Pour notre pays, pour les valeurs de la République, pour nos enfants et petits-enfants, ce risque mortel ne peut pas être pris.»

«L’impensable a déjà été possible.»

Alors en écho à cette légitime inquiétude, Alain Chouraqui, président de la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation, fit lecture du récent Appel exceptionnel des mémoriaux et institutions mémorielles pour rappeler que les leçons de l’histoire alertent la démocratie : «Nous appelons l’attention de nos concitoyens sur le risque majeur qui pèse aujourd’hui sur notre démocratie. L’impensable a déjà été possible. Aujourd’hui, ne rien faire c’est laisser faire. (…) Dans l’histoire, beaucoup d’électeurs n’ont pas imaginé l’enchaînement des actions et réactions que leur vote ou leur abstention ont déclenchées, ni jusqu’à quelles extrémités peut conduire une tentation autoritaire. Les régimes autoritaires ont déjà été « essayés » et ont conduit à aggraver le sort des peuples en colère qui leur avaient confié leur protection».

Dans cet appel commun, ces institutions (qui vont de la Fondation du Camp des Milles au Centre de la Mémoire d’Oradour sur Glane en passant par la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage, le Musée de la Grande Guerre, Amnésie Internationale et bien d’autres) concluent en affirmant «Il relève de notre mission d’intérêt public de nous adresser à nos concitoyens pour leur dire qu’aujourd’hui l’histoire alerte le présent, et qu’un vote républicain et démocratique le 24 avril prochain est le meilleur moyen d’éviter l’accès au pouvoir d’un régime intolérant et extrémiste avec ses dérives autoritaires et mortifères».

«La résurgence d’idéologies porteuses d’exclusions»

Fut ensuite présenté le message rédigé conjointement par les grandes associations nationales de déportés : «La résurgence d’idéologies porteuses d’exclusions, les tentatives de réécriture de l’Histoire nous font aujourd’hui obligation de poursuivre le combat des survivants déportés et résistants et d’entretenir les valeurs qu’ils ont portées, dans un monde marqué par les guerres, la pauvreté, les inégalités, le dérèglement climatique, qui jettent sur les routes d’un exil souvent sans issue et mortifère, des milliers d’êtres humains en détresse. Dans un monde où l’on voit ressurgir le spectre des dictatures, des replis nationalistes et des frontières qui se ferment, l’espoir pour l’avenir réside dans la pérennité de ce combat.»

Durant la cérémonie et dans un message d’espoir, les noms des Justes parmi les nations ayant œuvré en faveur des internés et déportés du Camp des Milles ont été lus par la jeune Amélie, en réponse à l’horreur de la déportation, pour rappeler qu’«il est possible de résister aux extrémismes au nom des valeurs de justice, de fraternité et d’humanité.»

Ce temps d’hommage s’est clôturé par la cérémonie de dépôt de gerbes des représentants de l’État, des élus, et des associations mémorielles. Auparavant, la Fondation avait été représentée lors des cérémonies organisées le matin même à Marseille au Monument de la Déportation et devant la plaque commémorative des morts déportés et fusillés de la Résistance de la Ville d’Aix-en-Provence.

convention de partenariat avec le Comité des Activités Sociales Inter-Entreprises des Cheminots Paca

En illustration de son travail d’éducation à la citoyenneté, la Fondation du Camp des Milles a ensuite signé une convention de partenariat avec le Comité des Activités Sociales Inter-Entreprises des Cheminots PACA (Casi), conscients de la convergence existant entre la mission de mémoire et d’éducation de la Fondation et les missions d’éducation et de culture du CASI. C’est un travail de sensibilisation et de formation qui sera réalisé en commun auprès des jeunes cheminots en particulier. Dans la lignée des partenariats nombreux déjà signés par la Fondation avec des institutions très diverses, françaises et étrangère.

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L’histoire alerte la démocratie: Appel des mémoriaux et institutions mémorielles

A quelques jours du second tour d’élection présidentielle cruciale pour notre pays, nous, Mémoriaux et institutions mémorielles engagées dans la transmission de l’histoire pour la compréhension du présent, souhaitons partager la grande inquiétude des témoins et acteurs des drames de notre passé, anciens résistants, combattants et déportés qui ont vécu l’expérience historique des années 1930, ainsi que des personnalités de tous horizons, chercheurs, artistes, enseignants… qui nous aident à transmettre la mémoire des crimes contre l’humanité de notre histoire, qui voient monter à nouveau la xénophobie, le nationalisme, les racismes et l’antisémitisme, et le négationnisme. Avec leurs menaces contre les libertés et la paix civile au sein de la société française. Nous appelons donc l’attention de nos concitoyens sur le risque majeur qui pèse sur notre démocratie. L’impensable a déjà été possible. Aujourd’hui, ne rien faire c’est laisser faire. Nos institutions mémorielles n’ont pas vocation à faire des choix politiques partisans. Mais nous sommes concernés par les grands choix sociétaux car nous œuvrons quotidiennement, par notre travail tourné vers la connaissance de l’Histoire comme manière d’éclairer le présent, pour servir la fraternité pour aujourd’hui et pour demain.

L’Histoire montre en particulier que les valeurs républicaines et démocratiques de liberté, d’égalité et de fraternité peuvent être affaiblies voire remises en cause par l’extrémisme et les intolérances y compris par les urnes, et que le rejet de l’Autre, est un moteur puissant de ce processus car il exacerbe les tensions d’une société jusqu’à menacer gravement la paix civile et l’État de droit lorsque des slogans d’exclusion sont transcrits dans des textes juridiques.

Dans l’histoire, beaucoup d’électeurs n’ont pas imaginé l’enchaînement des actions et réactions que leur vote ou leur abstention ont déclenchées, ni jusqu’à quelles extrémités peut conduire une tentation autoritaire. Cette histoire-là est hélas aussi une histoire française. Les régimes autoritaires ont déjà été « essayés » et ont conduit à aggraver le sort des peuples en colère qui leur avaient confié leur
protection, Aujourd’hui nous le savons, et nous devons agir autrement. Dès lors, nous considérons qu’il relève de notre mission d’intérêt public de nous adresser à nos concitoyens pour leur dire qu’aujourd’hui l’histoire alerte le présent, et que le vote républicain et démocratique le 24 avril prochain est le meilleur moyen d’éviter l’accès au pouvoir d’un régime intolérant et extrémiste et de ses dérives autoritaires voire mortifères.

Premiers signataires : Amnésie Internationale, Association nationale Résister Aujourd’hui, Amis du Lieu de mémoire du Chambon-sur-Lignon, Centre de la Mémoire d’Oradour-sur-Glane, Fils et Filles de Déportés Juifs de France, Fondation du Camp des Milles-Mémoire et Éducation, Fondation pour la mémoire de l’esclavage, Association Fonds Mémoire d’Auschwitz, Mémorial du camp de Gurs, Mouchard-Zay Hélène, fondatrice du Cercil Musée-Mémorial des enfants du Vel d’Hiv, Musée de la Grande Guerre, Musée-mémorial des enfants d’Izieu, Œuvre de Secours aux enfants, Recherche et Enseignement de la Shoah (ARES), Village des Justes de Dieulefit.)]

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