Camp des Milles. Témoignages bouleversants de déportés et enfants cachés devant des collégiens marseillais

Publié le 16 mai 2023 à  8h51 - Dernière mise à  jour le 6 juin 2023 à  12h44

Entendre ces grands témoins, ceux qui ont souffert dans leur chair et dans leur cœur, ne laisse pas indemne. Au camp des Milles, le seul grand camp d’internement et de déportation encore intact en France, près de 200 collégiens de l’école de Provence ont pu entendre leurs récits, mesurer les drames, écouter les corps meurtris, sentir la douleur de la perte des siens et voir le courage qu’il a fallu pour résister.

Des hommes, des femmes et des enfants ont été déportés depuis le Camp des Milles vers les camps de concentration  (Photo Joël Barcy)
Des hommes, des femmes et des enfants ont été déportés depuis le Camp des Milles vers les camps de concentration (Photo Joël Barcy)

Inlassable combattante

Denise Toros-Mater, rescapée d’Auschwitz, s'adresse aux plus jeunes afin que cette mémoire évite que l'horreur puisse à nouveau montrer son visage (Photo Joël Barcy)
Denise Toros-Mater, rescapée d’Auschwitz, s’adresse aux plus jeunes afin que cette mémoire évite que l’horreur puisse à nouveau montrer son visage (Photo Joël Barcy)
Denise Toros-Marter a 95 ans. Rescapée d’Auschwitz, elle témoigne inlassablement devant les jeunes générations. «Nous avons été arrêtés avec ma famille le 13 avril 1944, 3 jours avant mes 16 ans. Nous avons été mis dans des wagons à bestiaux. Destination inconnue». Denise avait noté dans un cahier d’écolier, à son retour en France, les éléments vécus à Auschwitz. Aucune pause dans son récit à la fois précis et sobre. «A l’arrivée on nous a tondus, on nous a tatoués. Moi j’ai eu le numéro A 5556. Ils en étaient arrivés à des 980 000 et c’était trop long de tatouer tous les chiffres alors ils ont commencé une nouvelle série qui commençaient par A, comme la loterie nationale, ça m’a réussi». La rescapée poursuit alternant gravité et sourire avec la survie dans les camps. Des moments où seule une imagination fertile permet de ne pas sombrer «Au nouvel An nous étions quatre déportées alors on a dit comment on s’habille ? Moi je mets une robe de soie verte, moi de drap bleu… et qui on a pour boyfriend ? Alors on a pris des acteurs de cinéma, Clark Gable, Tyrone Power. Pour le repas on a échangé du pain contre une pomme de terre. Nous l’avons coupé en très fines lamelles et les avons consommées avec un peu de sel en pensant manger des huîtres. On a fait notre réveillon en rêvant, en pensant que ça arriverait, qu’on s’en sortirait. Avec ma copine Maude on ne s’est plus quittés jusqu’à son décès». Denise évoque ensuite sa chair meurtrie, «mes doigts de pieds gelés que j’ai tous perdus sauf un. J’ai été sauvée de la gangrène par un médecin à la libération des camps».

Albert et Hélène, des enfants cachés

Des témoignages de déportés, de victimes du nazisme parce que juifs, ont raconté aux plus jeunes  (Photo Joêl Barcy)
Des témoignages de déportés, de victimes du nazisme parce que juifs, ont raconté aux plus jeunes (Photo Joêl Barcy)
Eux n’ont pas vécu le calvaire des camps comme Denise mais ils sont marqués à jamais. Enfants juifs ils ont été envoyés à 6 ans et 8 ans dans des fermes pour être cachés et éviter les camps de la mort. Albert Barbouth raconte l’engrenage, les Juifs qui doivent se plier à la nouvelle législation, notamment le port de l’étoile jaune. «Ma mère va en coudre une sur mon tablier pour aller à l’école. Au départ, moi j’étais content d’avoir cette décoration. Puis l’instituteur m’a envoyé au fond de la classe. A la récré on me met à l’écart. J’entends des mots « sale juif », « sale youpin ». Je n’ai plus de copains, je ne comprends rien». Albert quitte l’école et sa mère l’envoie dans une ferme dans la Nièvre. Hélène Joffe a 8 ans quand sa famille est «arrêtée et raflée par la police française» en janvier 43 à Marseille. «Je me souviens de tout», clame Hélène. On a été transférés dans un camp à Fréjus. Avec des complicités on a pu se sauver et j’ai été cachée avec mon petit frère dans une ferme à Rustrel dans les Alpes-de-Haute-Provence. J’avais huit ans, on n’avait presque rien à manger. Je devais m’occuper de mon petit frère de 4 ans qui pleurait et demandait sa mère. Quand les Allemands combattaient les maquisards on devait se cacher dans des grottes. Il faisait tout noir. Il pleurait et pour le rassurer je lui disais que des bonnes fées nous protégeaient ». Hélène est revenue à Rustrel voilà quelques jours. «Un devoir de mémoire très émotionnel pour moi»

« C’est une chance de rencontrer ces témoins »

Les collégiens ont débattu avec ces grands témoins de l'Histoire (Photo Joël Barcy)
Les collégiens ont débattu avec ces grands témoins de l’Histoire (Photo Joël Barcy)
Émouvant, touchant. Les collégiens sont encore imprégnés des témoignages. Liora de confession juive «On ne se rend pas compte de la chance qu’on a d’avoir des témoins qui sont là pour nous expliquer en détail comment ça s’est passé, pour qu’on ne puisse jamais oublier». Louise a été touchée par le témoignage de Denise. «La mémoire est importante, si on oublie ce genre de chose ça peut se reproduire. Plus on en parle, plus on parle de ce qui s’est passé moins cela risque de se reproduire». Pour Marie-Pierre Chabartier, chef d’établissement de l’école de Provence, cette visite du Camp des milles est essentielle dans le cadre d’un projet éducatif pour les jeunes. «Il faut avoir un bagage pour avoir une réflexion et prendre conscience de ce qui a été et de ce qu’il faut éviter. On se rend chaque année au camp des Milles mais là cette visite a un caractère particulier au regard de l’actualité européenne et mondiale. Qu’est-ce-que c’est qu’un préjugé? qu’est-ce-que c’est qu’une démocratie? quelles sont les valeurs pour lesquelles il faut se battre pour qu’elles perdurent ? Toutes les questions sont là… ».

« En voulez-vous toujours aux Nazis ? »

Après ces témoignages les élèves de troisième ont posé une série de questions notamment sur la haine des Allemands et les longues décennies passées avant d’oser parler des camps de la mort, du génocide des juifs.

« J’ai de plus en plus de mal à témoigner »

Si Denise Toros-Marter continue de témoigner c’est en hommage à sa famille et aux millions de morts dans les fours crématoires. Mais ce rôle de grand témoin devient de plus en plus difficile. «Avant j’arrivais à avoir une sorte de dédoublement de la personnalité. Je racontais mais sans revivre les choses. Avec l’âge c’est moins vrai. Je suis dans le camp j’éprouve la faim, le froid, la douleur. C’est de plus en plus difficile pour moi». [(

Rôle du camp des Milles

Il a fallu tout un combat pour que le camp des Milles soit restauré et devienne un lieu de mémoire et d’éducation. Voilà dix ans qu’il ouvre ses portes au public et aux scolaires. «Notre maître mot est comprendre pour agir», indique Nicolas Sadoul, directeur de la fondation du Camp des Milles qui précise: «L’idée n’est pas de regarder le passé avec des lunettes d’aujourd’hui mais d’avoir des repères dans ce monde complexe et systémique et de promouvoir voire défendre notre monde démocratique» )]

Diaporama Joël Barcy

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Wagon du Souvenir des Milles
Wagon du Souvenir des Milles

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