Camp des Milles: l’émotion de l’ambassadeur d’Israël Aliza Bin-Noun

Publié le 16 octobre 2018 à  9h20 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  19h07

L'ambassadeur d'Israël en France Aliza Bin-Noun et Alain Chouraqui (Photo Robert Poulain)
L’ambassadeur d’Israël en France Aliza Bin-Noun et Alain Chouraqui (Photo Robert Poulain)
«C’est avec émotion que j’inaugure l’exposition « Des diplomates reconnus Justes parmi les Nations » au camp des Milles», déclare Aliza Bin-Noun, ambassadeur d’Israël en France, au terme d’une visite symbolique. Il s’agissait, en effet, d’une première depuis l’ouverture du Site-mémorial en 2012. L’ambassadeur d’Israël n’avait alors pas pu être parmi les diplomates représentant 28 pays à l’inauguration du Site-mémorial. Aliza Bin-Noun -sur les lieux-mêmes d’où deux mille hommes, femmes et enfants juifs furent déportés par le régime de Vichy vers Auschwitz Birkenau, en août et septembre 1942- dit à quel point elle est touchée par cette histoire: «C’est l’histoire de ma famille (les grands-parents de Aliza Bin-Noun ont été assassinés par les nazis NDLR) et, en même temps, je suis heureuse que cette institution existe et que les jeunes générations puissent venir pour comprendre ce qu’il s’est passé ici, il n’y a pas si longtemps, pour que cela ne se reproduise jamais. Le Camp des Milles n’est pas seulement un musée, mais un lieu plus que jamais essentiel, de transmission et d’éducation.». Un Site d’autant plus important qu’elle ne cache pas son inquiétude face «à des comportements actuels qui nous rappellent cette époque». La visite de l’ambassadrice a débuté par un temps de recueillement devant le Wagon du Souvenir des Milles puis, elle a déposé une gerbe de fleurs au nom de l’État d’Israël et en mémoire de ces nombreuses vies anéanties. Ce temps mémoriel s’est conclu par la plantation d’un olivier, symbole de paix, de réconciliation, de longévité et d’espérance par l’Ambassadeur et Alain Chouraqui, Président de la Fondation du Camp des Milles. Accompagnée du Sous-Préfet d’Aix-en-Provence et de nombreux élus et représentants associatifs, Aliza Bin-Noun a ensuite inauguré l’exposition «Des diplomates reconnus Justes parmi les Nations », qui est présentée jusqu’au 11 novembre au Site-mémorial. Puis vient la visite du camp, celle de l’étage des femmes et des enfants avec, un temps d’émotion, la lecture des noms retrouvés des enfants et adolescents juifs déportés du Camp des Milles, par un élève de CM2 de l’École Juive d’Aix-en-Provence. Ce fut également un moment d’espoir avec la lecture des noms des «Justes parmi les Nations» ayant agi pour les internés et déportés du Camp des Milles.
Le résistant Herbert Traube et Aliza Bin-Noun (Photo Robert Poulain)
Le résistant Herbert Traube et Aliza Bin-Noun (Photo Robert Poulain)
Cette séquence s’est achevée par un échange avec le résistant, Herbert Traube. Ce dernier a raconté sa fuite d’Autriche, une première arrestation en France, le décès de sa mère, son arrivée à Marseille où il est arrêté une nouvelle fois, interné aux Milles: «J’ai le souvenir très clair de l’incompréhension des personnes internées qui ne comprenaient pas pourquoi elles étaient là et qui avaient toujours pensé que le Gouvernement allait les protéger». Il parle de son départ vers les camps de concentration, relate avec humour son évasion du train: «J’étais très mauvais en latin et très bon en gym et c’est cette dernière qui m’a sauvé». Il retourne à Marseille, s’engage dans la Légion, fait la campagne de Tunisie, le débarquement, la campagne de France et d’Allemagne «et je suis rentré en Autriche en soldat et non en représentant d’une « race inférieure »». La guerre finie Herbert Traube s’installe en France, il deviendra élu dans sa petite commune et mènera un travail de mémoire auprès des jeunes et de vigilance face aux extrémismes identitaires. «En racontant aux jeunes mon histoire, je dis que l’intégration est possible lorsqu’on le veut. Le vivre ensemble c’est la tolérance, c’est reconnaître l’Autre et respecter l’Autre».

«Israël a été l’État refuge du plus grand nombre des rescapés de la Shoah»

l’historienne Renée Dray-Bensoussan (Photo Robert Poulain)
l’historienne Renée Dray-Bensoussan (Photo Robert Poulain)
Alain Chouraqui souligne toute l’importance de la venue d’Aliza Bin-Noun: «car, Israël a été l’État refuge du plus grand nombre des rescapés de la Shoah». Et ce lien a été illustré, quelques jours plus tard, par la visite au camp des Milles de survivants de l’Exodus qui tentaient de rejoindre Israël après les camps. Cette vigilance est encore plus nécessaire aujourd’hui dans un contexte de montée des extrémismes identitaires, nationalistes, religieux et politiques, en Europe et dans le monde, tel était l’objet de la conférence «Mémoire et antisémitisme: défis du XXIe siècle », animée plus tard par Alain Chouraqui et l’historienne Renée Dray-Bensoussan. Cette dernière évoque la conférence d’Evian de la SDN, organisée à l’initiative du président américain Franklin D.Roosevelt. Son but était de venir en aide aux réfugiés juifs allemands et autrichiens fuyant le nazisme, peu après l’Anschluss. Elle ne déboucha sur aucune mesure concrète, hormis la création du Comité intergouvernemental pour les réfugiés (CIR). Renée Dray-Bensoussan met en lumière ces diplomates qui, contre l’avis de leur propre État, ont donné des passeports aux Juifs. Elle conclut en évoquant Levinas, lequel, partant de la question de Caïn à Dieu : «Suis-je gardien de mon frère ? répond par l’affirmative allant au-delà de la biologie pour évoquer une fraternité humaine.» Enfin, Alain Chouraqui est revenu sur la table ronde sur l’antisémitisme organisée, il y a quelques jours, par l’Unesco à New York, lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies : «J’ai été surpris de l’unanimité des pays présents et du Secrétaire Général de l’ONU pour dire et répéter qu’il y a partout une renaissance de l’antisémitisme et qu’il apparaît comme un ferment de décomposition de leurs pays». «En Europe, poursuit-il, pour savoir où se trouve une synagogue il suffit de repérer où se trouvent les policiers ou les militaires. Les Juifs vivent dans des ghettos éclatés où ils sont protégés. Ce que les gouvernements font plus ou moins bien, la France le fait très bien. La France qui, après une très forte montée des actes antisémites connaît, depuis deux ans, une baisse, mais celle-ci se conjugue avec des actes plus violents». Et de rappeler: «Aujourd’hui 50% des actes de type raciste en France concerne les Juifs qui représentent 1% de la population». Il indique à ce propos le travail du sociologue Dominique Reynié: «Il met en avant le fait que trois groupes portent l’antisémitisme en France: celui, traditionnel, de l’extrême-droite; une partie, 20%, de la population musulmane qui seraient les mêmes qui considèrent que les lois de la Charia seraient supérieures à celle de la République, le troisième groupe est composé d’une partie de l’extrême-gauche qui, du fait de l’antisionisme, encourage ou laisse dire voire faire des actes inacceptables ». Et de conclure par une mise en garde: «N’oublions jamais que dans l’Histoire, l’antisémitisme révèle les crises et les déstabilisations des sociétés, et qu’il annonce les crispations identitaires qui sont le moteur des engrenages menant au pire». Michel CAIRE

Diaporama Robert Poulain

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