Centenaire de César: un artiste majeur minoré dans sa ville

Publié le 31 janvier 2021 à  21h08 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h22

César, artiste majeur du XXe siècle n’avait qu’un défaut mais de taille, il était Marseillais – Ville qui, jusqu’à présent, n’a porté à l’Art, à ses artistes, qu’un intérêt mineur-. Faut-il évoquer les peintres du Peano et de l’École de Rive-Neuve, Pagnol, Albert Cohen…? Leur œuvre vit toujours, mais ailleurs. Marseille, contrairement à Nice, pour ne citer qu’une autre ville, ne mesure même pas, au delà de l’intérêt culturel, les bénéfices touristico-économiques qu’elle pourrait retirer en célébrant ses enfants. Raison de plus pour revenir sur le parcours exceptionnel de César qui, le 1er janvier 2021, aurait eu 100 ans.

César dans son atelier de la rue Roger à Paris (Photo tirée de l'ouvrage réalisé à l'occasion de l'exposition César à la Vieille Charité à Marseille du 11 juillet au 12 septembre 1993)
César dans son atelier de la rue Roger à Paris (Photo tirée de l’ouvrage réalisé à l’occasion de l’exposition César à la Vieille Charité à Marseille du 11 juillet au 12 septembre 1993)

César, ce Marseillais qui a su choquer par ses créations, -non tant par goût de la provocation mais par les matériaux utilisés-, compressions, extensions, ont confronté l’art à la société de consommation de son époque, tandis qu’avec le pouce il signifiait une société qui s’individualisait, le jeu de l’ego qui prenait toute sa place. Cet inlassable chercheur a ainsi révolutionné le monde de la sculpture, il est aussi entré dans l’imaginaire collectif, depuis 1976, grâce à ses œuvres en bronze: les « César » qui vont jusqu’à donner son nom à la soirée de prestige du cinéma français. Quel parcours pour cet enfant de la Belle-de-Mai, quartier populaire de Marseille, qui n’aura eu de cesse de travailler sur trois thèmes: la sculpture classique -de nus, de marionnettes d’animaux-, réalisée à partir d’assemblage de pièces métalliques retravaillées, magnifiées. Puis, la compression et l’extension sans jamais oublier son premier sillon comme en témoigne, en 1984, le Centaure en hommage à Pablo Picasso.

Une humilité et une rigueur qui lui permettront d’édifier son propre parcours artistique

Issu d’une famille modeste, rien ne prédestine César à la sculpture. Ce serait la présence d’un marchand de pierres tombales, à proximité de chez lui, qui aurait fait naître sa vocation. À 14 ans, il s’inscrit aux cours du soir des Beaux-Arts de Marseille où il obtiendra (en 1937) trois prix : gravure, dessin et architecture avant de rejoindre, en 1945, les Beaux-Arts de Paris. Il s’inscrit alors dans une vision très classique de la sculpture, s’inspirant des grands maîtres. Il fait ses gammes, se construit ainsi une solide culture, de solides racines, une maîtrise de ses pratiques artistiques à laquelle il sera toujours attaché. Un socle solide, une humilité et une rigueur qui lui permettront d’édifier son propre parcours artistique.

Bien avant l’heure il s’inscrit dans une logique de recyclage

La pierre est trop chère à travailler- les rentrées d’argent sont rares lors des premières années. Le succès n’est pas au rendez-vous. D’autres pourraient se décourager, ce n’est pas son cas, il travaille le plâtre, il poursuit ses recherches. Découvre les œuvres d’Alberto Giacometti, les œuvres métalliques d’artistes tels que Picasso, un autre univers, un champ des possibles s’ouvrent à lui. Mais, il lui manque une technique, elle arrive avec l’apprentissage de la soudure à l’arc. Il lui faut un matériau, bien avant l’heure il s’inscrit dans une logique de recyclage en parcourant les décharges. L’existence précède l’essence, la ferraille devient matériau – vis, boulons, tubes, plaques… qu’il retravaille et assemble. Il créé la Vénus de Villetaneuse en 1962, exemple de son interprétation du très classique nu féminin avec du matériel de récupération. Sa démarche, économique au départ, devient de plus en plus artistique. Quand d’autres creusent, fondent, lui assemble, caresse la matière, donne douceur et légèreté au métal. César, non seulement innove dans la pratique de la sculpture mais il interroge notre société.

Il pressent une autre grande révolution de notre société

Fanny Fanny - éléments de bronze soudés 1991 (Photo tirée de l’ouvrage réalisé à l’occasion de l’exposition César à la Vieille Charité à Marseille du 11 juillet au 12 septembre 1993)
Fanny Fanny – éléments de bronze soudés 1991 (Photo tirée de l’ouvrage réalisé à l’occasion de l’exposition César à la Vieille Charité à Marseille du 11 juillet au 12 septembre 1993)

En 1965, bien avant mai 68, il pressent une autre grande révolution de notre société: son individualisation, la libération sexuelle, avec sa série « Empreintes humaines », lors de laquelle il présente le moulage de son propre « Pouce ». Des empreintes de seins et, moins connues, de poings complèteront notamment cette série de moulages anatomiques. De même, n’est-il pas tout aussi prémonitoire avec ces expansions, où la matière crée ses propres formes, échappe à son créateur. Chez César on ne peut parler de recommencement, il n’a de cesse d’innover à partir des axes forts qu’il a su poser, il a compressé du métal, il va faire de même avec de la toile de jute, du carton, cageot, jeans… Les premières expansions sont le fruit d’un mélange de mousse de polyuréthane et de fréon. Il fera également des expansions avec du verre, du cristal… Et il offre un crépuscule flamboyant à sa carrière avec une série de portraits et d’autoportraits. Il décède à Paris en 1998, à l’âge de 77 ans.

César ne cesse de nous envoyer un message d’espoir

César est de ceux qui questionnent le mieux les Trente glorieuses, l’industrialisation, la société de consommation, l’individualisation, la libération sexuelle… Là où Giacometti met en exergue les fragilités, les aspérités, là où Picasso ne cesse de se confronter au tragique espagnol, César ne cesse de nous envoyer un message d’espoir, de douceur, de sensualité, un message de vie, d’espérance. Là où il invite à figer le temps avec ses compressions de voitures, comme une invitation à dire stop, l’industrie automobile et Jean Todt en premier lieu voit la possibilité de magnifier des bolides victorieux sur bien des routes. Plutôt que de les laisser rouiller il les offre à César qui, en les compressant, les subliment, en fait leur propre sarcophage, et le temps suspend son vol.
Michel CAIRE

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