Fleg Marseille. Colloque ‘Voix /Voies de femmes’: ‘Il y a des droits que l’on vous donne et d’autres que l’on prend’

Publié le 3 avril 2023 à  13h00 - Dernière mise à  jour le 6 juin 2023 à  20h15

Le Centre Fleg de Marseille vient d’organiser «Voix /Voies de femmes». Colloque qui a donné lieu à deux tables rondes : «Idéologies politiques et droits des femmes» et «Les religions sont-elles sexistes ?». Dans ce cadre, s’est également tenue l’exposition « Féminin plurielles », Un voyage en images de Hagay Sobol «sur la féminité dans un monde formaté par les hommes».

Photo issue de l'exposition du photographe Hagay Sobol qui se tient au centre Fleg
Photo issue de l’exposition du photographe Hagay Sobol qui se tient au centre Fleg

Évelyne Sitruk, la présidente du Fleg Marseille rappelle :«Le centre est diffuseur de la culture juive au sens le plus large et le plus ouvert mais il s’interroge également sur les sujets de société en affirmant des valeurs à portée universelle si présentes dans le judaïsme». Et dans ce cadre, elle considère que «les droits des femmes sont des sujets qui devraient déterminés le niveau de civilisation d’une société. Si nous nous réjouissons des avancées, nous devons rester vigilants face aux régressions des droits des femmes». Et d’alerter: «Les droits acquis de longues luttes dans les sociétés restent cependant les plus fragiles. Quand les droits démocratiques s’éloignent et laissent la place au totalitarisme, au populisme et aux religions, les premières libertés menacées sont celles des femmes». Pour Évelyne Sitruk: «Il en va de même de la place de la femme dans la religion car elle a souvent déterminé sa place dans la société». Et de conclure: «Le colloque organisé aujourd’hui s’appelle « Voix / Voies de femmes » car les voix des femmes ont longtemps été inaudibles. Aujourd’hui nous voulons les faire entendre et ouvrir la Voie».

«Les raisons de s’inquiéter, au niveau mondial, ne manquent pas»

C’est en visioconférence qu’interviendra, l’ancienne ministre, Najat Vallaud Belkacem, directrice de la branche française de l’ONG ONE -mouvement mondial qui fait campagne pour en finir avec l’extrême pauvreté et les maladies évitables d’ici 2030- et présidente de France terre d’asile. Elle signale: «Les raisons de s’inquiéter, au niveau mondial, ne manquent pas». Mais point de fatalisme dans son propos, elle invite à tracer un sillon afin que «les petites filles accèdent à l’école, puissent se marier librement, utiliser librement leur corps, marcher librement dans les rues, chanter, ne pas subir la domination des hommes, d’être protégées…».

Amandine Clavaud, Ludovic Mohamed Zahed, Fabienne Bendayan et Geneviève Couraud ont participé à la 1ère table ronde (Photo Hagay Sobol)
Amandine Clavaud, Ludovic Mohamed Zahed, Fabienne Bendayan et Geneviève Couraud ont participé à la 1ère table ronde (Photo Hagay Sobol)

La première table-ronde a réuni Amandine Clavaud, directrice des études et de l’observatoire égalité hommes/femmes à la fondation Jean Jaurès, Geneviève Couraud, présidente d’honneur de l’ADF (Association des femmes) et de l’ECVE (Élues contre les violences faites aux femmes), Ludovic Mohamed Zahed, imam, créateur de l’institut Calem, institut de recherche, publication et de formation dédié à un islam inclusif et progressiste, et Fabienne Bendayan, présidente du Crif Marseille-Provence.

«Attendre encore 300 ans pour arriver à une égalité homme/femme»

Amandine Clavaud plante le décor en s’appuyant sur un rapport de l’ONU selon lequel il faudra attendre 300 ans pour arriver à une égalité homme/femme. Elle rappelle à ce propos que «la période était de 234 ans, il y a quelques années mais les conservateurs américains, depuis la présidence Reagan, ont mené une offensive culturelle pour réduire les droits des femmes. Un mouvement qui trouve des appuis dans les milieux religieux». Elle ajoute: «De plus la crise sanitaire a fait reculer les droits des femmes en Europe notamment. Avec le confinement il y a eu une explosion des violences sexistes, conjugales. Le droit à l’avortement a été entravé, les gouvernements conservateurs se sont engouffrés dans la brèche. En Pologne, par exemple, il y a eu une offensive contre l’accès à la contraception et le droit à l’avortement et la régression touche aussi des pays comme la Slovaquie». Et si 92% des Français considèrent que l’on est pas allé assez loin dans l’égalité homme/femme, Amandine Clavaud avance un chiffre qui ne peut qu’inquiéter: «23% des jeunes hommes de 18 à 24 ans estiment que, pour être un homme, il faut avoir recours à la violence». Alors, pour elle, il importe «de mettre en place l’égalité homme/femme dans l’ensemble de nos politiques».

Geneviève Couraud revient pour sa part sur son parcours de vie et considère: «La révolution féministe est, dans le domaine des idées, la seule vraie révolution du 20e siècle». Et d’insister sur l’importance qu’il y a d’inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution.

Le responsable religieux n’a pas à se prononcer sur l’avortement

Ludovic Mohamed Zahed raconte sa naissance en Algérie en 1977 dans une famille de la classe moyenne, les années de terreur politique, les femmes de sa famille qui se mettent à se voiler. En 1995 il quitte l’Algérie victime «du mariage incestueux entre religion et politique» c’est l’arrivée à Marseille. Il étudie les sciences humaines et sociales. Il assume son homosexualité et ne voit à cette époque dans l’islam qu’une seule représentation: «sexiste, homophobe et antisémite». Il s’éloigne du spirituel pour y revenir des années plus tard, ne trouve pas les réponses qu’il recherche sur les femmes et le genre dans le Bouddhisme: «J’essaie de déconstruire». Docteur en sciences sociales il a étudié l’anthropologie et sa thèse porte sur «l’émergence publique des minorités sexuelles musulmanes et les mutations d’un rapport inclusif à l’islam en France». In fine, il considère: «La religion est philosophie, en ce sens le responsable religieux n’a pas à se prononcer sur l’avortement».

Fabienne Bendayan se réjouit de voir des hommes dans la salle car, estime-t-elle: «Le problème des femmes ne concerne pas que ces dernières mais l’ensemble de la société». Elle évoque à son tour l’ampleur du travail à accomplir en mettant en exergue les inégalités salariales entre homme et femme, le temps partiel qui touche plus les femmes que les hommes, le fait que l’Assemblée nationale ne compte que 37,6% de femmes, le Sénat 34,8% sans oublier que sur les 193 pays de la planète on ne ne compte que 23 femmes chefs d’État ou de gouvernement.

Les religions sont-elles sexistes?

Anne Faisandier, Ludovic Mohamed Zahed, Anne-Gaëlle Attias, Shira Laustriat ont apporté quelque éclairage sur le sexisme et la religion (Photo Hagay Sobol)
Anne Faisandier, Ludovic Mohamed Zahed, Anne-Gaëlle Attias, Shira Laustriat ont apporté quelque éclairage sur le sexisme et la religion (Photo Hagay Sobol)

Il est ensuite question de religions et sexisme lors de la deuxième table ronde. Elle réunit Anne-Gaëlle Attias, Rabbin au sein de «Judaïsme en mouvement » (JEM); Shira Laustriat, représentante de Kol-Elles, collectif de femmes orthodoxes qui organise des cours sur les textes du judaïsme; Ludovic Mohamed Zahed,; Anne Faisandier, pasteure de l’Église protestante unie de France à Marseille et, en direct d’Israël, Katy Bisraor, journaliste, avocate devant les tribunaux rabbiniques d’Israël.

Évelyne Sitruk déclare, en ouverture de cette table ronde: «La journée que nous avons organisé est dédiée aux femmes qui, dans le monde, souffrent. Nous pensons principalement aux femmes afghanes qui avaient acquis le droit d’étudier et qui viennent de le perdre et aux femmes iraniennes qui, avec des hommes, luttent pour la liberté d’expression et de religion.»

Le contrat de mariage juif: «une révolution féministe il y a 2000 ans»

Kathy Bisraor en vient à l’objet de la table ronde et, pour elle: «La religion juive est féministe, nombre de sages le sont». Elle ajoute immédiatement: «Mais alors pourquoi tant de problèmes pour les femmes dans le monde juif?». En matière d’avancées pour les femmes elle évoque notamment le contrat de mariage juif: «C’était une révolution féministe il y a 2000 ans. Avant, lorsqu’une femme était répudiée elle se retrouvait sans rien. Avec ce contrat, le mari s’engage à lui donner de l’argent s’il divorce. De même ce contrat interdit la répudiation de la femme et la polygamie. Et il faut l’autorisation de la femme pour qu’il y ait divorce.». Puis elle en vient aux raisons des problèmes: «La première question relève du savoir. Il n’est nulle part écrit que la femme ne peut pas étudier la Torah. Pourtant on l’empêche». Il faudra attendre le XXe siècle pour que cela change. Kathy Bisraor indique: «Je suis devenue avocate rabbinique, c’était interdit voilà encore 30 ans en Israël». Alors, pour elle: «Le problème ce n’est pas le texte mais ce que l’on en a fait au fil du temps».

Les religions sont sexistes mais cela ne veut pas dire que les textes le soient

Anne Faisandier indique que depuis 1966 les pasteures ont les mêmes droits que les hommes et qu’aujourd’hui 49% des pasteurs sont des femmes et c’est une femme qui préside le conseil national de l’Église protestante unie de France. Ceci étant posé elle affirme: «Oui les religions sont sexistes mais cela ne veut pas dire que les textes le soient. Il ne faut en effet pas oublier que les religions sont des affaires humaines». Puis de préciser que la place des femmes «est un point d’achoppement avec l’église catholique». Et poursuit-elle: «La place de la femme dans le protestantisme ne se comprend qu’avec la Réforme, au XVIe siècle. Les réformateurs ne se sont pas battus pour les femmes mais cela les a favorisées». Elle explique: «Dans le catholicisme il y a Dieu en haut, le croyant en bas et, au milieu, l’église. Dans le protestantisme la foi est une relation individuelle, l’église devient deuxième, elle est là parce que le croyant a besoin de chercher avec d’autres. Et, pour nous, chaque génération doit reprendre le travail d’interprétation. Dans ce cadre, il importe de savoir que l’autorité n’est plus dans l’église mais dans les écritures. Il faut donc apprendre à lire et c’est ainsi que les femmes ont bénéficié du protestantisme. Elles ont appris à lire et très vite des modèles féminins sont apparus».

«Permettre à des femmes de prendre des positions de leadership»

Shira Laustriat raconte: «J’ai grandi dans un milieu orthodoxe et c’est en m’ouvrant au féminisme que j’ai découvert les textes». A «Kol Elles» elle a trouvé un lieu où on forme les femmes aux bases de l’étude des textes religieux «afin de faire émerger des voix féminines sur les textes mais aussi de permettre à des femmes de prendre des positions de leadership». Elle indique également qu’il existe aux États-Unis et en Europe, chez les orthodoxes, des femmes rabbins et qu’il y en aura bientôt une en France.

«Le message n’est pas arrivé hors contexte social»

Pour Ludovic Mohamed Zahed: «La religion ne tombe pas du ciel. Ce n’est pas Amazon +. Il y a eu co-construction. Un prophète a eu une révélation mais le message n’est pas arrivé hors contexte social et on a, de plus, effacé la place des femmes dans la construction de ce lieu saint qu’est La Mecque». Il ajoute, concernant le divorce: «Une femme a demandé au prophète si elle pouvait divorcer, il lui a répondu oui». Il reconnait par ailleurs qu’il existe des versets qui peuvent poser problèmes. «La question n’est pas de chercher à les interpréter il suffit de ne plus les appliquer, c’est d’ailleurs un concept qui existe dans l’islam». Il ne manque pas de dénoncer «le conformisme fascisant et viriliste» qui, pour lui, est à l’opposé du message divin «car Dieu nous a créés libres».

Anne Gaël Attias enchaîne: «La Torah ne s’est pas écrite en une nuit. Il y a eu révélation mais dans un contexte historique donné avec des hommes qui ont écrit. Et nous avons des textes super modernes. Alors, oui, par rapport à nos normes actuelles il y a des choses qui sont sexistes mais elles ne le sont pas pour des gens de cette époque». Elle précise que c’est en 1972 qu’il y a eu, pour la première fois aux États-Unis, une femme rabbin et qu’il a fallu attendre 1990 pour qu’il y en ait une en France. Ludovic Mohamed Zahed signale qu’il existe également des femmes imames «mais c’est un phénomène ultra minoritaires».

Et s’il faut un mot de la fin, sur ce débat sur « les religions sont elles sexistes? », il sera pour la pasteure qui insiste sur le fait qu’il y a «des droits que l’on vous donne et d’autres que l’on prend».
Michel CAIRE

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