Charlie Hebdo : quand un imam, un rabbin et un prêtre montrent à Marseille, textes à l’appui, qu’on ne peut tuer, encore moins au nom de Dieu

Publié le 14 janvier 2015 à  22h49 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  18h36

C’est un moment fort qui vient d’être vécu au Mistral à Marseille. Un prêtre, Xavier Manzano, un imam Abdessalem Souiki et un rabbin, Lionel Dray, ont débattu sur la question «Peut-on tuer au nom de Dieu?». Et c’est un triple NON, appuyé sur les textes sacrés, qui a jailli. Une soirée, dans une salle comble, qui s’est conclue sur une intervention de Monseigneur Aveline, évêque auxiliaire de Marseille. Une manifestation organisée par l’association « Chemins de Dialogue ».

Quand un imam, un rabbin et un prêtre montrent à Marseille, textes à l’appui, qu’on ne peut tuer, encore moins au nom de Dieu (Photo Philippe Maillé)
Quand un imam, un rabbin et un prêtre montrent à Marseille, textes à l’appui, qu’on ne peut tuer, encore moins au nom de Dieu (Photo Philippe Maillé)

Créée le 3 mai 1993, l’association « Chemins de Dialogue » s’est donnée pour objet de «favoriser le dialogue interculturel par la diffusion de publications, l’organisation de manifestations diverses et la réalisation d’études». Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir l’action de l’Institut de Sciences et Théologie des Religions de Marseille.
Rémi Caucanas, anime la soirée, il se réjouit de voir une salle comble, rappelle «nombre d’entre nous ont participé à des temps de recueillement, des manifestations. Nous avons vécu un temps fort ce week-end mais le plus dure reste à faire. Dans ce cadre nous avons décidé de débattre de l’usage du nom de Dieu».
L’imam Abdessalem Souiki est le premier à intervenir. Il lance : « Non, on ne peut pas tuer au nom de Dieu. Il nous a créés à son image. Mais lui est infini beauté, bonté, sagesse alors que nous nous sommes bornés par notre condition humaine. Alors, je ne peux pas signer au nom de Dieu. Autour de la Sainte Écriture, je peux me purifier. Mais, quoi que je fasse, je reste toujours loin de Dieu ce qui m’interdit de signer en son nom».

«Celui qui commet un homicide volontaire tue l’humanité entière»

L'imam Abdessalem Souiki (Photo Philippe Maillé)
L’imam Abdessalem Souiki (Photo Philippe Maillé)

«Il y a, poursuit-il, des manières de pratiquer le Livre qui conduisent au contraire de la sagesse. Il y a des gens qui veulent sur-investir le texte puis, au lieu d’assumer leurs actes, veulent en faire porter la responsabilité à la religion. Pourtant le Coran, dans de nombreux paragraphes, met en garde contre l’utilisation de la religion à des fins politique, personnelle. Un Coran qui invite à respecter son contrat avec les autres communautés, à ne pas le transgresser, le trahir après avoir pris Dieu comme témoin».
Donner la mort au nom de Dieu ? Il rappelle: «Un seul cas, dans le Coran, prévoit la peine de mort : c’est l’homicide volontaire et encore, il n’est pas prévu systématiquement puisque c’est à la famille de la victime de dire si elle veut, ou non, l’application de la Loi». Et d’ajouter: «Des cinq valeurs fondamentales du Coran, la première concerne le respect de la vie humaine. Elle vient avant la religion et c’est compréhensible, faut-il encore être vivant pour pratiquer. Et Dieu, après le meurtre d’Abel par Caïn, a décrété une Loi immuable, qui va coller à toutes les religions du Livre, jusqu’à la fin des temps : celui qui commet un homicide volontaire tue l’humanité entière».

«L’humour est un manifeste d’amour de l’Autre »

Le rabbin Lionel Dray (Photo Philippe Maillé)
Le rabbin Lionel Dray (Photo Philippe Maillé)

Le rabbin Lionel Dray avance : « Au nom de Dieu ? Encore faut-il être capable de le nommer. L’Homme a la possibilité d’entendre le nom divin, encore faut-il le comprendre, l’expliquer dans sa signification absolue. Nous chantons, nous parlons, nous jurons même parfois au nom de Dieu, tout ceci est un blasphème car nous n’avons pas le droit de parler, chanter, signer en son nom puisque, par nature, nous ne sommes pas ses égaux. Et on ne peut, en aucune manière, tirer en son nom puisque rien n’est plus sacré que la vie. L’attribut le plus parfait de Dieu doit se retirer lorsqu’il s’agit de laisser place à la vie. Alors, que la sagesse de l’Homme soit en phase avec le Suprême, Allah, Dieu. Qu’il puisse porter la sagesse et, surtout, beaucoup d’amour pour que l’on puisse être en Paix car ce qui nous unies c’est la Paix, la Fraternité ». Il en vient à l’humour : «L’humour est grand. Dans le rire, le sourire, il y a la volonté de transmettre sa bonne humeur, de transmettre sa compréhension de l’autre. L’humour est un manifeste d’amour de l’Autre».
Quant à la question de la laïcité, il rappelle : « La tradition juive implique que la Loi du pays est la Loi et il n’y a aucune discussion possible. Donc, pour nous, la question de la laïcité ne se pose pas. Nous sommes reliés à Dieu, c’est une affaire personnelle, privée, et les affaires publiques sont les affaires publiques. Concernant l’humour, il existe, on n’est pas obligé de s’associer à des instants de railleries. Mais faut-il pour autant l’étouffer ? Certes pas. L’humour existe, il faut l’entendre au moins, après on fréquente ou pas ces cercles». L’imam Souiki va dans le même sens: « L’Islam respecte la Loi du Pays d’accueil ».

«Les terroristes se fichent de l’émotion, ce qu’ils craignent c’est la pensée»

Le père Xavier Manzano (Photo Philippe Maillé)
Le père Xavier Manzano (Photo Philippe Maillé)

Pour Xavier Manzano, prêtre, Directeur Adjoint de l’Institut de sciences et de théologie des religions de Marseille, «Qui n’a pas été choqué par ce qui vient de se produire ? C’est une réaction humaine. Personne ne peut comprendre que l’on puisse ainsi tuer ses semblables. Maintenant, il est urgent de dépasser la simple émotion car les terroristes se fichent de l’émotion, ce qu’ils craignent c’est la pensée». Il déplore : «On entend trop de jeunes refuser la minute de silence. D’autres disent que les caricaturistes l’avaient bien cherché. Certes, leurs idées étaient les leurs, leur humour n’en était pas toujours. Mais un poison s’est lentement insinué dans les esprits : l’idée que lorsque quelqu’un n’est pas d’accord avec nous, il peut être envisageable, sinon légitime, de le supprimer par tous les moyens. Le débat, prise en charge de la divergence dans notre tradition, n’est plus envisagé». Et de poursuivre: «Certaines personnes supportent de moins en moins la distance entre soi et soi, entre ce qu’elles sont et les idéaux qu’elles se proposent. On se prend très au sérieux. La critique devient alors impossible, les mots sont absents, ne reste qu’une furieuse affirmation de soi et d’un soi rêvé. C’est comme cela que des assassins s’imaginent être des martyrs, ce qui est un comble. Et, tuant en criant qu’ils agissent au nom de Dieu, ils ajoutent au crime le blasphème. Et il y aura toujours plus de blasphème dans un crime que dans un dessin, fusse le pire». Et de terminer son propos en lançant : « Qui sait si un certain humour, une certaine ironie, d’abord sur nous-mêmes, ne nous aidera pas à toujours nous convertir, toujours progresser ? Car, nous sommes tout petits et Dieu est grand».

«Le Coran indique que, si jamais vous assistez à une assemblée dans laquelle on tourne en dérision votre sacré prenez congés jusqu’à ce que s’engage une autre discussion»

L’imam Souiki en vient à la question de l’humour. «Dans ma culture, on n’a pas le droit de se moquer d’une personne, encore moins d’un prophète. Mais, quand des Hommes veulent mimer Dieu, leurs critiques, leurs comportements sont plus nuisibles que les caricatures. Et, lorsque l’on réduit la grandeur du prophète à un accoutrement alors, la caricature est plus préjudiciable qu’un dessin». Et de revenir au texte : « Le Coran indique que, si jamais vous assistez à une assemblée dans laquelle on tourne en dérision votre sacré prenez congés jusqu’à ce que s’engage une autre discussion».
Il affirme, en réponse à une question : «L’Islam doit faire un aggiornamento. Il y a d’une part la sagesse des textes fondateurs qui, bien évidemment, ne peuvent être touchés. Et puis, il y a toute la production humaine interprétative plafonnée par le paradigme du moment. Ainsi, en matière de droit islamique, il y a des valeurs cardinales et puis beaucoup à boire et à manger. Alors j’espère que ces moments difficiles vont susciter une prise de conscience. Et, il est vrai qu’aujourd’hui je ne me sens plus minoritaire. Ce cataclysme a permis à certains de prendre conscience des limites, des dangers d’un discours fermé, littéraliste».

«L’essentiel, dans ma Foi, n’est pas qu’elle réussisse mais de sauver l’humanité»

Monseigneur Aveline, évêque auxiliaire de Marseille (Photo Philippe Maillé)
Monseigneur Aveline, évêque auxiliaire de Marseille (Photo Philippe Maillé)

C’est à Monseigneur Aveline qu’il revient de conclure cette soirée : «C’est très important que cette réunion ait pu avoir lieu. D’autant plus important que Marseille est observée parce que la situation y est peut-être plus délicate, en tout cas plus symbolique». Il constate: «La table ronde à laquelle nous venons d’assister n’a pu avoir lieu que parce que des liens se sont tissés entre nous depuis longtemps, des liens qu’il est très important d’entretenir».
Puis, de proposer une triple tâche : « Notre société a besoin de réfléchir à la liberté d’expression. Elle a ses limites, elles se situent entre la caricature et l’insulte. Il s’agit donc de trouver, ensemble, quel est le respect nécessaire qui va avec la liberté d’expression. Le deuxième chantier vise les dérives des religions. Il y en a dans l’Islam comme il y en a eu dans le christianisme. Cela arrive lorsque une religion confond l’absolu de Dieu avec celui de leurs idées ou de leur organisation. Et, seuls les intellectuels peuvent travailler à ces questions mais, attention alors de ne pas se tromper, de ne pas demander un exercice aussi complexe à tous les croyants. Ce travail est nécessaire car, nul ne doit ignorer que la pire des caricatures vient toujours de l’intérieur. Enfin, il faut réfléchir à la place de la religion dans l’espace public. La France a un message à transmettre au monde en ce domaine. L’histoire de notre pays ne commence pas avec la révolution. Un de nos défis majeurs est d’accepter que notre pays, avec le poids, la beauté de son histoire est aujourd’hui une entité composée. Et, si nous travaillons bien, elle ne sera pas moins la France que lorsque elle était moins composée. Il faut apprendre à vivre sur les racines de notre pays en lui faisant porter les fruits de saison. Dans ce travail qui concerne tous les citoyens, les croyants peuvent apporter la dimension du salut de l’humanité car l’essentiel, dans ma Foi, n’est pas qu’elle réussisse mais de sauver l’humanité. Si, entre croyants, nous pouvons œuvrer à cela, alors nous aurons apporté notre petite pierre à l’édifice».
Michel CAIRE

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