Chronique cinéma d’Eric Delbecque : « Aquaman » ou le désir de ne pas être roi…

Publié le 23 décembre 2018 à  19h23 - Dernière mise à  jour le 29 octobre 2022 à  13h46

Le personnage d’Aquaman n’était pas simple à apprivoiser… Il date de 1941 et il ne s’avéra pas toujours facile de le rénover au cours des décennies. Le résultat du travail de James Wan se révèle pourtant distrayant et plutôt crédible du point de vue des initiés. Je veux dire ceux qui ne jouent pas les snobs de l’univers comics afin d’étaler leur côté «branché pop» dans les chroniques «Culture» de quelques journaux de référence…

aquaman.jpgCes derniers n’appartiennent pas vraiment au milieu des « lecteurs grognards » qui virent déferler toutes les modes sur les galaxies Marvel et DC. Lorsque l’on choisit la bienveillance et le retour aux sources, non pas dans le but de jouer les vieux cons prétentieux, mais dans celui de voir le bon côté des choses et de faire preuve de nuances, on regarde Aquaman avec une réelle sympathie.

Il ne s’agit pas de décerner des bons ou mauvais points aux blockbusters hollywoodiens selon qu’ils respectent ou non les critères de l’artistiquement correct façonné par l’on ne sait quel gardien autoproclamé du temple de la pop culture. Oui, c’est exact ce film tient du Star Wars aquatique et Jason Momoa a des allures de Thor ! Cela ne permet pourtant pas de décréter qu’il ne présente aucun intérêt. Comment arriver à faire comprendre aux critiques pompeux et superficiels que ce type de divertissements ambitionne de faire rêver tout en installant quelques symboles qui disent des choses essentielles sur nos démons intimes ainsi que sur les rêves de l’humanité, sur ce qu’elle aspire à devenir dans ses instants de génie et de compassion.

Par ailleurs, ce qui paraît parfois simplistes aux «intellos» parisianistes s’affirme en réalité bien plus profond qu’ils ne le croient. Arthur (Aquaman) ressemble sans doute à un rustre au cœur de rocker très éloigné des versions dessinées du super-héros des Trente Glorieuses, lequel manifestait un tempérament très «monarchique» et une élégance aristocratique. C’est indiscutable. Néanmoins, il pose très précisément la question du pouvoir qui obsède ce siècle. A travers l’interrogation du fils des deux empires (la surface et les océans) sur sa capacité à exercer la responsabilité suprême, les spectateurs entrent dans le vaste débat sur l’essence de la légitimité des dirigeants. Vaste sujet depuis quelques années… En particulier en France dans ces temps de fièvre jaune… Confronté à un frère qui se prend pour un pur-sang, l’héritier d’Atlan, premier souverain de l’Atlantide, apprend à devenir un pont entre deux mondes. En cela, l’intrigue fait écho au grand sujet de l’époque : déterminer ce qui autorise un individu à guider vers l’avenir ses compatriotes. A cet égard, la totale marginalité du futur monarque démontre à la perfection qu’une élite arrogante et certaine qu’elle possède un droit divin à commander ne fait que creuser sa tombe sur la durée.
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Arthur Curry devient finalement roi parce qu’il est persuadé de ne pas en être digne et qu’il n’en a nullement l’envie… Exactement l’inverse de l’écrasante majorité des dirigeants contemporains… Certes, la sophistication n’est pas toujours au rendez-vous de ce type de mise en scène : certaines répliques sont faciles et certains plans convenus. Et alors ? Un divertissement populaire se doit de parler au plus grand nombre. Toutefois, la simplicité ne rime pas avec la vulgarité ou la médiocrité. Les questions éthiques et les problématiques psychologiques mises en exergue par le réalisateur correspondent à un climat de l’époque. Elles visent donc juste et résonnent chez les citoyens de 2019.

Par ailleurs, si l’on sent bien le thème écologique (la pollution des mers), il ne se fait pas trop lourd et ne conduit pas à devoir subir un discours moralisateur hors de propos dans un tel film. Comme d’habitude, on peut constater que l’univers super-héroïque porte des réflexions métapolitiques, psychosociales et métaphysiques fondamentales que les auteurs des personnages de papier avaient clairement à l’esprit en les créant. Les critiques disent souvent beaucoup de bêtises sur un univers artistique qu’ils ne maîtrisent absolument pas. Ignorez les «penseurs» du bon goût de salon et faites-vous plaisir : la légende d’Atlantis et les mythes des civilisations perdues constituent au final un bon moyen de commencer une nouvelle année…

Eric Delbecque est l’auteur de : Les super-héros pour les nuls (First)
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