Chronique de Michel Marcelin. L’astronomie marseillaise célèbre les 60 ans de l’observatoire européen austral

Publié le 2 décembre 2022 à  11h07 - Dernière mise à  jour le 8 juin 2023 à  15h56

L’ESO (European Southern Observatory) est une organisation intergouvernementale pour l’astronomie, fondée en 1962 par cinq pays européens pour créer un observatoire dans l’hémisphère austral. Elle a largement prospéré depuis et compte aujourd’hui 16 états membres. Son siège est à Garching, dans la banlieue de Munich, et elle dispose de trois observatoires au Chili.

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Les équipes d’astronomes marseillais sont impliquées dans cette aventure depuis la première heure et participent à la célébration du 60e anniversaire de l’ESO. À cet effet, plusieurs rendez-vous sont prévus en décembre, dont une soirée spéciale le 12 décembre 2022, sur le site historique de l’observatoire de Longchamp, avec une table ronde qui sera l’occasion de faire le point sur les succès de l’ESO avec les équipes marseillaise et de dévoiler leur implication dans le futur ELT (Extremely Large Telescope) de 39 m de diamètre, qui sera le plus grand télescope du monde lorsqu’il sera mis en service en 2027.

[(Tous les détails sur l’organisation de cette soirée, qui prévoit également des observations du ciel, se trouvent sur le site de l’Institut Pythéas : osupytheas.fr)]

Un observatoire européen dans l’hémisphère sud

Le Hollandais Jan Oort et l’Allemand Walter Baade en émettent l’idée dès 1952. Il n’existe alors aucun observatoire doté de grand télescope dans l’hémisphère austral alors qu’on peut y observer des objets très intéressants comme les Nuages de Magellan, petites galaxies satellites de la nôtre ; de plus le centre de notre Galaxie, la Voie Lactée, passe quasiment au zénith aux latitudes tropicales de l’hémisphère sud, ce qui en rend l’observation particulièrement aisée.

Le projet est précisé lors d’une conférence officieuse à Leyde (Pays-Bas) en 1953, à laquelle participent le Français André Danjon, le Hollandais Bertil Lindblad, le Belge Paul Bourgeois et l’Allemand Otto Heckmann. Il s’en suit la signature, toujours à Leyde, d’une déclaration officielle de six pays (Allemagne de l’Ouest, Belgique, France, Pays-Bas, Royaume Uni et Suède) le 26 janvier 1954. Dès l’année suivante commence la prospection de site. L’Australie, le Chili et l’Afrique du Sud sont envisagés, et c’est là que Marseille entre en scène.

Deux astronomes marseillais envoyés en Afrique du Sud

L’Observatoire de Marseille envoie les astronomes Georges Courtès (futur fondateur du laboratoire d’astronomie spatiale de Marseille)et Jacques Boulon en Afrique du Sud, avec l’astronome belge Jean Dommanget. La prospection se fait principalement dans la région du Grand Karoo, à 400 km au Nord-Est du Cap, d’octobre 1955 à mars 1957. Le choix du site se porte sur Zeekoegat, dans le Karoo central. Une station d’observation y est installée en plein désert, sur un plateau à 1000 mètres d’altitude, à 8 km d’un petit hameau de quelques maisons et à 50 km de la première ville, Prince Albert.

Le premier instrument d’observation installé là-bas est un prisme objectif de 40 cm de diamètre identique au GPO (Grand Prisme Objectif) de l’Observatoire de Haute Provence. Cet instrument est une grande lunette astronomique qui comporte un prisme à l’entrée, permettant de décomposer la lumière des astres observés et d’obtenir ainsi, sur un seul cliché, les spectres d’un grand nombre d’étoiles. Pour éviter toute mauvaise surprise, l’abri de cet instrument est monté une première fois à l’Observatoire de Marseille, au plateau Longchamp, avant d’être envoyé en Afrique du Sud.

Les premiers astronomes européens à Zeekoegat sont les Marseillais Marcelle et André Duflot. Ils vont passer un an à Zeekoegat (de mai 1961 à juin 1962) où ils vont assez vite obtenir des résultats intéressant en mesurant les vitesses radiales (vitesses mesurées sur la ligne de visée) des étoiles du Grand Nuage de Magellan. C’est le début d’un catalogue qui se poursuivra au Chili après le transfert du GPO en 1968 à La Silla (premier site d’observation de l’ESO au Chili) et qui permettra notamment de mettre en évidence la rotation du Grand Nuage sur lui-même. Plusieurs équipes de techniciens et astronomes marseillais vont se relayer à Zeekoegat de 1961 à 1966, parmi lesquels Georges Courtès, Paul Cruvellier, Maryse et Henri Petit.

La station d’observation de Zeekoegat en Afrique du Sud. À gauche les habitations, à droite l’abri du Grand Prisme Objectif. (Photo ESO)
La station d’observation de Zeekoegat en Afrique du Sud. À gauche les habitations, à droite l’abri du Grand Prisme Objectif. (Photo ESO)

La création officielle de l’ESO en 1962 et le choix du site d’observation

L’ESO est officiellement créé à Paris le 5 octobre 1962, avec la signature d’une convention entre cinq pays : Allemagne de l’Ouest, Belgique, France, Pays-Bas et Suède. Cette convention précise que l’Organisation a pour but la construction, l’installation et le fonctionnement d’un observatoire astronomique, situé dans l’hémisphère austral, comprenant: un télescope d’environ 3 mètres d’ouverture ; une chambre de Schmidt d’environ 1,20 m de lame ; trois télescopes au plus, de 1 mètre d’ouverture au maximum ; un cercle méridien ; l’appareillage auxiliaire nécessaire pour effectuer des programmes de recherches au moyen des instruments définis ci-dessus; les bâtiments nécessaires pour abriter l’équipement défini ci-dessus, ainsi que pour l’administration de l’observatoire et le logement du personnel.

Mais, à ce stade, le choix du site d’observation n’est toujours pas fait. En effet, la question se pose toujours, entre l’Afrique du Sud et le Chili. Si les observations en Afrique du Sud donnent toute satisfaction et se déroulent loin de toute agitation, il n’en demeure pas moins que les astronomes n’apprécient guère le régime politique de l’apartheid et s’inquiètent de la situation sociale du pays. C’est pourquoi Charles Fehrenbach, alors directeur de l’Observatoire de Marseille et de l’Observatoire de Haute Provence, participe aux recherches de site au Chili en 1962 et 1963, avec d’autres astronomes européens. Le site de La Silla, à 600 km au nord de Santiago du Chili, semble particulièrement intéressant. La Silla se trouve à 2 400 m d’altitude, au pied de la Cordillère des Andes, et ce choix est conforté par le fait que les États-Unis viennent tout juste de commencer la construction d’un observatoire à Cerro Tololo, une centaine de kilomètres plus au sud et dans une configuration géographique comparable. De plus, les américains ont identifié un autre site intéressant, Las Campanas, situé à quelques kilomètres à peine au nord de La Silla, ils y installeront d’ailleurs un deuxième observatoire en 1969.

Le Chili, dont Eduardo Frei est alors président, semble plus stable que l’Afrique du Sud sur le plan politique et, le 30 octobre 1964, un contrat est signé avec le gouvernement chilien pour installer l’observatoire de l’ESO sur le site de La Silla.

La Silla, premier observatoire européen au Chili

Les premiers télescopes sont installés en 1968 à l’observatoire de La Silla. Ce sont le Grand Prisme Objectif (déménagé de Zeekoegat) et le télescope de 1,52 m. Tous deux sont des jumeaux de ceux déjà en service à l’Observatoire de Haute Provence. Les télescopes vont fleurir ensuite sur la montagne et on en compte aujourd’hui une vingtaine, dont le diamètre va de 36 cm à 3,60 m.

Les marseillais sont parmi les premiers à observer régulièrement à La Silla. Dès l’inauguration de l’observatoire, Yvon et Yvonne Georgelin vont observer avec le GPO, le télescope de 1,52m et avec une petite lunette de 10 cm abritée dans une cabane en bois. Ils établissent un record, avec 65 nuits consécutives d’observations, en mars et avril 1969.

Parmi les marseillais qui vont observer là-bas, il faut mentionner Éric Maurice qui séjournera plusieurs années au Chili, où il assistera les astronomes visiteurs pour l’utilisation des télescopes de La Silla. Grâce aux travaux menés à La Silla, Yvonne Georgelin complète les données obtenues à l’Observatoire de Haute Provence et soutient, en 1975, sa thèse de doctorat sur la structure spirale de notre Galaxie, la Voie Lactée. Elle démontre que celle-ci a quatre bras spiraux et les nomme en fonction des constellations dans lesquelles on les voit le mieux : Sagittaire-Carène, Ecu-Croix, Norma et Persée. Cette découverte majeure sera confirmée par la suite et le dessin de la spirale à quatre bras se retrouve aujourd’hui dans tous les ouvrages d’astronomie de par le monde, on le retrouve même dans le dictionnaire Larousse illustré, au mot Galaxie.

L’observatoire de La Silla en 1970 (à gauche) et de nos jours (à droite).  On note la multiplication des télescopes sur la montagne en 60 ans. (Photo ESO)
L’observatoire de La Silla en 1970 (à gauche) et de nos jours (à droite). On note la multiplication des télescopes sur la montagne en 60 ans. (Photo ESO)

Un télescope marseillais au Chili

En 1989, l’équipe d’interférométrie de l’Observatoire de Marseille (avec notamment Jacques Boulesteix, Yvon Georgelin, Etienne Le Coarer, Michel Marcelin et José Urios) construit et met en service à La Silla un télescope de 36 cm, avec l’aide de l’ESO. De taille modeste en regard des grands télescopes de l’observatoire, il a l’avantage d’offrir un grand champ de vue (40 minutes d’arc, soit un peu plus que le diamètre de la Lune) mais, surtout, il est équipé d’un interféromètre de Fabry-Perot et d’une caméra à comptage de photons performante, trente fois plus sensible que les meilleures plaques photographiques utilisées jusque-là. L’interféromètre de Fabry-Perot est un appareil d’optique inventé à Marseille en 1898 par les physiciens Charles Fabry et Alfred Perot, il permet de faire des mesures très précises de longueur d’onde et connait de nombreuses applications, notamment en astrophysique où il permet de mesurer la vitesse radiale du gaz ionisé.

Les astrophysiciens marseillais, en collaboration avec un argentin (Guillermo Goldès) et une mexicaine (Margarita Rosado), vont observer la Voie Lactée et les Nuages de Magellan au moyen de ce télescope pendant une dizaine d’années. Ces observations vont permettre notamment de confirmer la structure spirale à quatre bras de notre galaxie, en suivant le tracé des bras sur un tour complet au lieu d’un demi-tour précédemment, c’est la thèse de doctorat de Delphine Russeil, soutenue en 1998. Elles vont également permettre d’obtenir les champs de vitesses détaillés du gaz ionisé dans les Nuages de Magellan. Ces observations ont donné lieu à trois thèses de doctorat et une vingtaine de publications dans des revues spécialisées, leur exploitation se poursuit encore aujourd’hui avec l’étude approfondie de la rotation du Grand nuage de Magellan.

Astrophysiciens marseillais en mission à l’observatoire européen de La Silla (Chili) en 1990. De gauche à droite : Michel Marcelin, Étienne Le Coarer et Yvon Georgelin. (Photo Philippe Amram)
Astrophysiciens marseillais en mission à l’observatoire européen de La Silla (Chili) en 1990. De gauche à droite : Michel Marcelin, Étienne Le Coarer et Yvon Georgelin. (Photo Philippe Amram)

L’astrophysicienne Delphine Russeil prépare les observations en  faisant le plein d’azote liquide de la caméra à comptage de photons du télescope marseillais de 36 cm à La Silla (Chili). (Photo Michel Marcelin)
L’astrophysicienne Delphine Russeil prépare les observations en faisant le plein d’azote liquide de la caméra à comptage de photons du télescope marseillais de 36 cm à La Silla (Chili). (Photo Michel Marcelin)

Paranal, deuxième observatoire européen au Chili

En 1987, l’ESO lance officiellement le projet du VLT (Very Large Telescope) qui est un ensemble de quatre télescopes de 8,20 m de diamètre, pouvant fonctionner séparément ou en combinant les différents faisceaux de lumière. Ce mode, dit interférométrique, permet d’obtenir une résolution d’image équivalente à celle d’un télescope ayant une centaine de mètres de diamètre, en écartant les télescopes de cette distance.

Il est nécessaire, pour ce projet, de disposer d’une assez grande surface plane, mais la multiplication des télescopes à La Silla fait qu’il n’y a plus assez de place sur la montagne, l’ESO lance donc la prospection pour trouver un autre site. Après avoir envisagé le site de Vizcachas, dans le prolongement immédiat du relief de La Silla vers le sud-est, l’ESO choisit finalement d’installer le VLT au sommet du Cerro Paranal, à 2600 m d’altitude, environ 500 km au nord de La Silla.

Ce nouvel observatoire est inauguré en 1996 et la mise en service des quatre télescopes se fait progressivement, à partir de 1998. Les marseillais vont bien sûr observer avec ces nouveaux télescopes mais, surtout, ils participent à la conception des instruments qui les équipent. On peut citer notamment l’instrument SPHERE (Spectro-Polarimetric High-contrast Exoplanet REsearch instrument) destiné à la détection des exoplanètes, ces planètes qui sont en orbite autour d’étoiles autres que le Soleil. Cet instrument a été réalisé par un consortium international piloté par l’IPAG (Institut de Planétologie et Astrophysique de Grenoble), avec une contribution importante du LAM (Laboratoire d’Astrophysique de Marseille).

Il faut dire que l’astronomie marseillaise est impliquée dans cette recherche depuis la découverte historique de la première exoplanète, en orbite autour de l’étoile 51 de la constellation de Pégase, en 1995. L’observation avait alors été faite à l’Observatoire de Haute Provence, avec le télescope de 1,93 m équipé du spectrographe Elodie conçu par l’astronome André Baranne de l’Observatoire de Marseille. Cette découverte primordiale a d’ailleurs été récompensée par le prix Nobel de physique attribué aux collègues de l’observatoire de Genève, Michel Mayor et Didier Queloz, en 2019. On connait aujourd’hui plus de 5000 exoplanètes mais on sait qu’il y en a des centaines de milliards rien que dans notre Galaxie.

Les quatre télescopes européens du VLT à Paranal (Chili). (Photo ESO)
Les quatre télescopes européens du VLT à Paranal (Chili). (Photo ESO)

Le plus grand télescope du monde sera européen

L’ESO construit actuellement un troisième observatoire au Chili, au sommet du Cerro Armazones, à 3 000 mètres d’altitude, une vingtaine de kilomètres à l’Est du Cerro Paranal. C’est là que sera installé l’ELT (Extremely Large Telescope) qui sera le plus grand télescope du monde, avec un miroir de 39 m de diamètre. La mise en service de ce télescope est prévue en 2027 et, pour la première fois, l’Europe passera devant les États-Unis en matière de diamètre de télescope puisque le plus grand projet américain a 30 m de diamètre, il s’agit du TMT (Thirty Meter Telescope) qui sera installé au sommet du Mauna Kea, à Hawaii. Avec 39 m de diamètre, le miroir de l’ELT ne peut pas être monolithique (la limite a été atteinte avec les miroirs de 8,20 m des télescopes du VLT) et ce sera une mosaïque de 798 miroirs hexagonaux de 1,40 m chacun, un œil d’insecte géant en quelque sorte.

Les Marseillais participent à la conception de deux des instruments qui équiperont l’ELT, le spectrographe multiobjets MOSAIC et le spectrographe à haute résolution HARMONI. MOSAIC (Multi-Object Spectrograph for Astrophysics, Intergalactic-medium studies and Cosmology) est pris en charge par un consortium d’une quinzaine de laboratoires, dont trois laboratoires français : le GEPI (Galaxies, Étoiles, de la Physique à l’Instrumentation) à Paris, pilote du projet, le LAM et l’Irap (Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie) à Toulouse. Le LAM est principalement responsable de l’AIT (Assemblage, Intégration et Tests).
Harmoni (High Angular Resolution – Monolithic – Optical and Near-infrared – Integral field spectrograph) est pris en charge par un consortium regroupant 10 instituts européens, du Royaume Uni, de France et d’Espagne, travaillant en collaboration avec l’ESO. Le LAM, avec l’Onera (Office National d’Études et de Recherches Aérospatiales) et l’IPAG, sont en charge de la partie Optique Adaptative.

Il s’agit de corriger en temps réel la turbulence de l’atmosphère, en utilisant des faisceaux lasers qui pointent vers le ciel pour y former des étoiles artificielles. Le mouvement de ces étoiles renseigne directement sur l’agitation de l’atmosphère au-dessus du télescope et permet de corriger instantanément le trajet de la lumière dans l’instrument en agissant par la flexion de petits miroirs souples, on obtient ainsi une qualité d’image comparable à celle obtenue depuis l’espace.

Vue d’artiste de l’ELT européen en opération au Cerro Armazones (Chili). Les faisceaux lasers génèrent des étoiles artificielles dans le ciel pour corriger les images de la turbulence atmosphérique grâce à l’Optique Adaptative. (Photo ESO)
Vue d’artiste de l’ELT européen en opération au Cerro Armazones (Chili). Les faisceaux lasers génèrent des étoiles artificielles dans le ciel pour corriger les images de la turbulence atmosphérique grâce à l’Optique Adaptative. (Photo ESO)

[(Michel MARCELIN – Directeur de recherche émérite au LAM (CNRS/AMU/CNES) – Membre de l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille)]

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