Chronique littéraire de Christine Letellier – Goncourt, Renaudot, Médicis, Femina … : c’est parti pour la distribution des prix

Publié le 6 septembre 2018 à  22h16 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  18h58

Pas moins de 567 nouveaux romans dont 381 français sont à l’affiche de cette rentrée littéraire de 2018. Si le Goncourt ne sera pas attribué avant le 7 novembre le même jour que le Renaudot, dès ce vendredi 7 septembre nous connaîtrons les 15 livres et leurs auteurs choisis par la première sélection du Goncourt.

Un premier roman pour Meryem Alaoui avec
Un premier roman pour Meryem Alaoui avec
Ce qui caractérise assez bien cette rentrée c’est sa richesse en premiers romans, pas moins de 94 auteurs, un record depuis 2007. Ces premiers romans sont globalement «énergisants», l’écriture rapide sonde le monde sous toutes ses coutures qui n’en sont plus puisque le dialogue se fait désormais à l’échelle planétaire. Le «parler métissé» apporte cette envie d’ailleurs, plusieurs premiers romans s’en inspire, et l’utilise comme une langue française qui s’émancipe, se façonne aux rythmes des langages populaires d’autres pays, dialecte, idiome, argot sont adoptés en gardant cette gouaille qui fait tout leur charme. C’est forcément inventif, plein d’une saveur nourrie aussi bien du français que de la langue d’origine. C’est cette même liberté que l’on a déjà avec le Rap. On pense à Meryem Alaoui pour son livre «la vérité sort de la bouche du Cheval», un roman façon journal, qui se déroule dans les quartiers populaires de Casablanca. Le personnage principal est une prostituée au sacré caractère, intelligente, brute de décoffrage, drôle, qui n’a pas son pareil pour décrire le monde qui l’entoure. Elle raconte sa vie à celle qu’elle nomme «Bouche de cheval» une journaliste en repérage dans son quartier pour faire un film. Les «inventions linguistiques» de l’auteur dédoublent la vitesse de ce roman qui galope aussi vite… qu’un cheval. (Gallimard- 260 pages, 21 euros).
Autre métissage façon Guadeloupéenne, le premier roman d’Estelle-Sarah Bulle « là où les chiens aboient par la queue» (288 pages, Liana Levi, 19 €) raconte la traversée du 20e siècle d’une famille guadeloupéenne. Autre entrée dans le mixage des cultures, d’une lignée de «Blancs Matignon». On y découvre notamment qu’un jardin créole c’est «un endroit minuscule. À la fois la Pharmacie et le garde-manger des habitants des îles». Autre premier roman à suivre, celui d’Adeline Dieudonné primo-romancière belge. «La vrai vie» (L’Iconoclaste) est un mélange de Stephen King, Hitchcock, et de Tarantino au chevet d’une famille. Et quelle famille ! Dans le rôle du monstre : le père, chasseur de gros gibiers, un vrai prédateur ; du souffre-douleur : la mère soumise qui encaisse tout ; du frère : Gilles ; dans le rôle des proches : un professeur de physique quantique, des amis chasseurs. La narratrice étant l’adolescente qui vit dans cette ambiance plus que saumâtre, une vraie héroïne dont l’instinct de vie est sa qualité première. Un roman initiatique, à la fois sombre et drôle, on se sent happé dans cet univers sauvage où le sensuel s’est invité. «La vraie Vie» d’Adeline Dieudonné. Collection de L’Iconoclaste. 270 pages, 17 €.

Les Poids-Lourds jouent chacun dans leur univers

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Chaque rentrée littéraire est marquée par la présence d’écrivains souvent titulaires de plusieurs prix. Il est bon de rappeler aussi que le nombre de Prix qui existe désormais est faramineux ! Même les grandes surfaces ont «leurs» prix littéraires. Qui l’eût cru…
Dans la cohue de la rentrée, on voit émerger des livres attendus, des candidats qui auront forcément un prix cette année. Lequel ? Parmi eux, on pense à Serge Joncour dont le dernier roman «Chien-Loup» est remarquable, original, passionnant, merveilleusement bien écrit. Un livre qui colle à la peau. Qui pousse à engloutir le plus de pages alors que l’on prend plaisir à les disséquer, lentement, parce que l’écriture est belle. Un livre en forme de fable, le passé rattrapant toujours le présent… À l’origine, avant la guerre de 1914, c’était une petite maison aux volets bleus, nichée tout la haut, dans le Lot. À l’été 2017, un couple de Parisiens s’y installe, pour des vacances en pleine nature, ignorant tout de son sinistre passé… Il serait dommage d’en révéler plus. Disons simplement que c’est du Joncour au mieux de sa forme. Et on en reprendrait volontiers une louche. (Chien-Loup aux Éditions Flammarion – 496 pages – 21€)

Un enterrement qui ne fait pas l’unanimité

Attendu également le livre de Jérome Ferrari -«A son image» chez Actes Sud – 208 pages -19 €- Un livre à plusieurs visages qui ne fait pas l’unanimité. Si on adhère au destin romanesque de la jeune Antonia, photographe née en 1965 et décédée dans les années 1990 lors d’un accident de voiture en Corse, ce livre prend toute sa résonance, forte et tragique à la fois. C’est le choix d’une femme qui, bien que très attachée à sa terre natale veut échapper à la vie que la société corse imposait aux femmes. Mais au-delà d’Antonia, sa passion pour un militant du FLNC, ce roman évoque aussi d’autres violences que celles prégnantes dans l’île de Beauté, violences politiques dans différents pays du pourtour méditerranéen, notamment les conflits en Ex-Yougoslavie suivis par la jeune photographe dans les années 1990. Un roman très dense, dont l’Adieu à Antonia lors d’une cérémonie religieuse jubilatoire, est l’une des pièces maîtresses de ce roman.
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Nous reviendrons livre par livre sur les «bien placés» dans cette course aux différents prix littéraires. Javier Cercas pour «Le monarque des ombres», chez Acte-Sud ;
Adrien Bosc avec un livre sur l’exode aux USA via la Martinique de nombreux juifs, de républicains espagnols et d’une partie de l’intelligentsia réfugiée dans la cité phocéenne. Un voyage en 1941 en compagnie d’André Breton, de Victor Serge et Anna Seghers, de Lévi-Strauss, plus qu’un voyage, une odyssée signée Adrien Bosc. Ce n’est certes pas le premier livre écrit sur cette épopée, sur la présence de Breton et des surréalistes à Marseille et de bien d’autres réfugiés célèbres mais il y a différentes façons de l’aborder. On retrouve ici le même ressort qui avait fait du crash de l’avion du boxeur Marcel Cerdan un livre passionnant. C’était le premier roman d’Adrien Bosc pour lequel il avait obtenu le Grand Prix du roman de l’Académie française en 2014.
Capitaine» d’Adrien Bosc – éditions Stock – 392 pages – 22 €)

Maylis de Kerangal (Photo Francesca Mantovani)
Maylis de Kerangal (Photo Francesca Mantovani)

«Un monde à portée de main» est le dernier livre de Maylis de Kerangal, c’est l’apprentissage difficile d’un art ancestral : le travail de l’illusion, du trompe-l’œil dans la peinture des décors. Un roman initiatique, porté par un savant travail d’écriture, de recherche, sur la création et sur un univers méconnu et forcément mystérieux. Mais il faut aimer…(«Un monde à portée de main» – Éditions Verticales – 20 €)

Les Incontournables

Alain MabanKou pour
Alain MabanKou pour

Alain MabanKou, pour «Les cigognes sont immortelles» un titre qui rappelle une chanson russe, à la gloire des soldats soviétiques morts au combat, une chanson que devaient apprendre les enfants à l’école. Après «Petit Piment», ce retour au Congo pour évoquer la crise politique de 1977 s’avère l’un de ses livres les plus intimes. (Éditions Seuil, Fiction et CIE, 304 pages, 19 €)
Zadie Smith pour «Swing Time » (Gallimard, 500 pages, 23,50€). C’est son cinquième roman qui brosse le parcours et l’amitié de deux petites filles qui se rêvent danseuses dans un quartier populaire de Londres. Et que l’on voit évoluer au fil de leurs deux vies. Avec tout le questionnement que cela suppose, espoir et désillusion, révolte aussi. C’est vivant, drôle souvent et généreux comme la comédie musicale «Swing Time» dansée par Fred Astaire et Ginger Rogers. On reviendra sur le livre dédié à Maria Schneider, devenue célèbre par le couple qu’elle a formé avec Marlon Brando dans «Le dernier tango à Paris», un film qui avait fait scandale à l’époque sans pour autant nuire au remplissage des salles de cinéma, au contraire mais, qui a mis un point final à sa carrière. L’addiction à la drogue, une vie de bâton de chaise ont fini de l’achever. Ce livre est écrit par l’une de ses proches Vanessa Schneider (paru chez Grasset) ; d’Anton Beraber, pour son premier roman qui surprend par la densité de l’écriture, cette plume qui jamais ne s’arrête, ample, dure, qui nous épuise aussi alors qu’elle cherche à percer les secrets en pleine guerre d’un homme «aux yeux emplis de ténèbres», traître ou idéaliste, Saul Kaloyannis est une énigme… Autres livres à suivre, celui de Nathalie Léger pour «La robe blanche» (Ed. P.O.L.) . De Christophe Boltanski : «le Guetteur» (Ed. Stock) et de bien d’autres dont l’incontournable Amélie Nothomb dont le dernier roman se lit encore plus vite que les précédents. Il y a une manière «Nothomb» d’accrocher ses lecteurs. On aime ou pas. Rien à ajouter, la machine est parfaitement rodée.

Calendrier de la rentrée Littéraire

Pas moins de 567 nouveaux romans dont 381 français font l’actualité littéraire de l’automne 2018. Après le jury du Renaudot qui a ouvert le bal mardi, c’est aux 10 membres du jury Goncourt d’annoncer ce vendredi 7 septembre le nom des 15 auteurs retenus. Et qui resteront en lice pour le Goncourt des Lycéens même lors d’une élimination des sélections suivantes.
-Le jury du Wepler fera connaître son choix le 9 septembre;
-le jury du Flore le 12 septembre;
-le Médicis le 13 septembre et le Femina, le 17 septembre.
-l’Interallié le 19 septembre;
-le prix Décembre le 26 septembre;
-l’Académie Française pour son grand prix du roman le 27 septembre;
Il faudra attendre le 7 novembre pour connaître le lauréat du Goncours 2018 et celui du Renaudot. Le Fémina et le Médicis dévoilant les leurs les 5 et 6 novembre. Pour l’Académie Française rendez-vous le 25 octobre.

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