Chronique littéraire de Christine Letellier: Nicolas Mathieu remporte le Goncourt 2018 avec « Leurs enfants après eux » mais quels étaient les 3 autres ouvrages en lice …

Publié le 10 novembre 2018 à  13h43 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  19h09

Ils étaient 15 au départ le 7 novembre. Une majorité d’hommes pour un bouquet de femmes. Quelle audace ! Mais quelle bonne idée aussi, voilà le premier Goncourt qui a probablement suscité le plus d’interviews et de photos dès son lancement. Il valait mieux les faire tout de suite car cela n’a pas duré. De la deuxième sélection, il ne restait plus qu’une femme ! Évacuée à son tour, à la troisième pioche. En lice pour la finale : quatre romans, quatre auteurs dont les livres «nous parlent», les quatre méritant le Goncourt. Première surprise, David Diop, que les critiques ont déjà couronné, n’est pas le lauréat. Les deux autres non plus : Thomas .B . Reverdy et Paul Greveillac et c’est Nicolas Mathieu qui remporte le Graal. C’est une belle surprise, bien méritée mais à laquelle il était difficile de croire, «Leurs enfants après eux » n’est que son deuxième roman, mais quel talent !

Ils sont ados et s’interrogent

© Actes Sud
© Actes Sud

Dans l’air du temps «Leurs enfants après eux» le livre de Nicolas Mathieu, évoque ce que tout ado recherche : sa propre identité, comment la découvrir, la protéger, ne pas lui imposer ce qu’elle ne veut pas faire, ne pas la réduire au schéma familial. Une famille ? Pourquoi et comment quand tout est gris, que le chômage augmente que les Haut-Fourneaux de cet Est de la France ne brûlent plus ? «Dans cette vallée, les hommes parlaient peu et mouraient tôt (…) Leurs femmes, une fois vieilles conservaient le souvenir de leurs hommes crevés au boulot, au bistrot, silicosés, de fils tués sur la route, sans compter ceux qui s’étaient fait la malle.» Nicolas Mathieu est né à Épinal en 1978. Ce livre est le roman d’une vallée perdue quelque part dans l’Est de la France «d’une époque, de l’adolescence, le récit politique d’une jeunesse qui ne sait comment trouver sa voie dans un monde qui meurt.» Ceux qui s’expriment ? Des adolescents d’une de ces petites villes qui ont été suivis par Nicolas Mathieu pendant quatre ans. Quatre été de 1992 à 1998. Suffisamment longtemps pour que bien des choses changent, leur corps qui se transforme, le désir de liberté, de sexualité… quand la candeur des uns perdure, tandis que d’autres affichent déjà un esprit bien tranché. Entre les deux, il y a cette période où tout peut changer encore, une prise de conscience chez certains: «Quand on veut, on peut », dit Vanessa qui, élevée dans une famille aimante et stable, est passée par là. Plutôt frivole jusqu’à quinze-seize ans, arrivée en Première, c’est le déclic, le bac elle l’a haut la main et poursuit ensuite des études de droit. Lors de ses retours le week-end «elle voit ses parents occupés à mener cette vie dont elle ne voulait plus». Entre rage et désir de liberté, ces confidences sur papier n’en sont pas moins vivantes, troublantes parfois, avec pour la plupart d’entre elles cette quête touchante de liberté, de libre arbitre dans un monde que l’on ne songe pas à conquérir, mais à changer. Un monde où les rêves de bonheur ont encore leur mot à dire.
– «J’ai beaucoup aimé ce livre», confie une jeune femme travaillant dans une librairie. Elle a 21 ans.
– «Dès qu’il est arrivé, je l’ai lu. Et j’ai adoré !».
– Pourquoi ?
– «Parce que c’est nous ! C’est un livre qui nous parle. C’est notre époque ! ».

«Leurs enfants après eux» de Nicolas Mathieu chez Actes Sud – 426 pages, 21,80 €


Les tirailleurs sénégalais pendant la guerre de 14-18

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À l’heure des commémorations de la Première guerre mondiale le livre de David Diop «Frère d’âme» nous plonge dans la première boucherie de l’ère moderne: la guerre de 14-18, sans oublier les renforts venus d’Afrique, les fameux tirailleurs sénégalais. La différence qu’apporte ce livre par rapport à la majorité de ceux écrits sur le même sujet, c’est l’écriture de David Diop et la manière de l’aborder. Aujourd’hui, la parole est plus libre, plus audacieuse. «Au revoir là-haut» de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013, en est un exemple. Un livre magnifique, inventif, fou comme on peut le devenir durant cette guerre tellement traumatisante, y compris pour ce qui en sont revenus. Il y a dans « Frère d’âme de David Diop un travail d’écriture remarquable. Un français calqué sur le rythme de la langue wolof que parle l’auteur. Né à Paris en 1966, David Diop a grandi au Sénégal. Profondément marqué, comme il le dit, par la lecture de «lettres de poilus» (Éditions Librio), il va s’intéresser en particulier aux jeunes Sénégalais que la Première guerre a arrachés à leur terre, leur famille, pour aller défendre un pays qu’ils ne connaissaient même pas, risquer la mort et en mourir comme Mabenda Diop «les tripes à l’air, et tout le dedans de son corps dehors». Mabenda et Alfa ? Une histoire depuis l’enfance «d’amitié amoureuse ou d’amour amical » pour ce «plus que frère» cet ami si cher, son unique compagnon par ces temps de guerre qu’on peut en perdre la tête en constatant sa mort. Devenir fou furieux, au point désormais d’arracher les organes de ses victimes, les mutiler, en commençant par leur couper la main. « Par la vérité de Dieu » à la tombée de la nuit, Alfa rampe comme un serpent pour mieux surprendre l’ennemi. « Par la vérité de Dieu » cette phrase lancinante qui va et vient agit comme un refrain».
«Frère d’âme» de David Diop, éditions Seuil – 175 pages – 17€


L’Angleterre à l’heure des Sex-Pistols…

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Autre livre qui nous parle : «L’hiver du mécontentement » de Thomas B. Réverdy dans l’Angleterre Post-Punk de la fin des années 70. Les Sex-Pistols chantent «No future» quand l’Europe avait trouvé d’une certaine façon le sens de la vie avec les Beatles ! Les pantalons patte d’éléphant sont à la mode, c’est le temps des hippies et des Hooligans. En Angleterre, un vent de révolte souffle sur le pays. Manifestations dans les rues, des grèves partout, les mines et les usines qui ferment, Londres en plein chaos. Les poubelles, plus ramassées depuis longtemps, jonchent les rues. Un mouchoir sur le nez, une protection sur la bouche, les habitants arrosent de produit anti-rats les détritus qui s’empilent. Mais des rats, il y en a maintenant partout. Une odeur nauséabonde se répand sur la ville. Lady Die devra attendre encore deux ans avant de rencontrer son prince charmant, les Anglais ont le blues et rien ne va plus. Même le gentil Pape au joli sourire Albino Luciani, dit Jean-Paul 1er, élu depuis trente-trois jours, vient de mourir. «Mort dans son lit où il lisait une imitation de Jésus-Christ»… «Voici venir l’hiver de notre mécontentement » sont les premiers mots que prononce Richard III dans la pièce éponyme de Shakespeare. Une tragédie sur la conquête du pouvoir, la séduction diabolique, la corruption et le mal dans lequel Richard III, duc de Gloucester, se taille un chemin sanglant vers le trône, faisant assassiner ses frères, ses rivaux et plus tard sa propre femme.

Candice, Richard III et… «La Dame de fer»

Candice, pour sa part, tient un double rôle dans ce livre dont tous les chapîtres (il y en a trente-trois) sont titrés d’une chanson de la mouvance contestataire Punk-Rock. Candice incarne la jeunesse, la gaieté, l’insolence, le courage de mener sa vie comme elle l’entend, sur un vélo pour son vrai boulot et sur les planches d’un théâtre pour incarner, dans une troupe uniquement constituée de filles, Richard III avec tout ce qu’on peut lui reprocher. Pendant ce temps, le pays bat de l’aile, conservateurs et libéraux ne parviennent pas à s’entendre. En 1975, Margaret Thatcher a été élue leader du parti Conservateur et donc leader de l’opposition au Parlement. Sa critique des Russes lui vaudra de l’agence Tass, organisme officiel des Soviétiques, son nom de «La Dame de fer». Qui deviendra Premier ministre en mai 1979. Pour l’heure, elle prend encore des cours de diction. Sa voie est bien trop haute, criarde. Il faut corriger tout ça. Et c’est dans le théâtre où la troupe de Candice répète que la «Dame de Fer» fera ses premières «vocalises», si l’on peut dire. Un livre de Thomas B. Reverdy très agréable à lire, l’écriture est fluide, bien documentée, une bonne ambiance qui donne envie de se replonger dans ces années où un monde nouveau, mondialisé, connecté, pas forcément meilleur, était en train de se constituer.
L’hiver du mécontentement de Thomas B.Reverdy, chez Flammarion, 224 p. 18 €


Faire du dessin sa vie dans la Chine de Mao

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Le quatrième livre de cette dernière sélection du Goncourt est «Maître et Esclave » de Paul Greveillac, édité par Gallimard. Un livre qui revient lui aussi sur une époque «La vie en chine du temps de Mao» qui, certes a largement été traitée, analysée, mais qui n’en reste pas moins un sujet qui interpelle encore et toujours le lecteur. C’est l’histoire d’un jeune enfant chinois qui passe son temps à dessiner, qui veut en faire sa vie, qui, dans cette Chine sous les ordre de Mao, y arrivera pendant un certain temps. Mais aux prix de combien de sacrifices, de mensonges à lui-même dans cette chine où les traditions ancestrales sont en train de disparaître sous les coups de boutoir de la révolution. Nous reviendrons sur ce livre prochainement.
Maître et Esclave » de Paul Greveillac chez Gallimard – 464 pages – 22€

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