Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland. Et les six finalistes du Prix Renaudot 2020 sont…

Publié le 17 novembre 2020 à  14h13 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h19

Ça y est la date de l’attribution du Goncourt 2020 est tombée. Cela se passera en visio-conférence et ce sera le le 30 novembre. Le communiqué de l’Académie est sans équivoque. Jugez plutôt : «Les académiciens Goncourt se sont réunis ce vendredi 13 novembre au matin par visioconférence et, à la suite des propos du Premier ministre de la veille, annoncent qu’ils proclameront le Prix Goncourt 2020 le lundi 30 novembre.Tous tiennent à ce que chacune et chacun puisse acheter des livres pour les fêtes de fin d’année. Cette date du 30 novembre, qui devrait précéder-enfin-la réouverture essentielle des librairies, permettra aux libraires d’être approvisionnés à temps. En attendant, merci aux lecteurs de privilégier pour leurs achats de livres, « le click and collect » des librairies.» Mettant comme il se doit et par tradition leurs pas dans ceux des Goncourt les Renaudot feront de même. Le Prix Renaudot créé en 1926 par les journalistes échotiers attendant souvent dans le froid et battant le pavé des heures le nom du lauréat du premier prix littéraire français, est donc annoncé quelques instants après. Si vous vous rendez à la cité du Livre d’Aix-en-Provence vous aurez une trace du premier récipiendaire du Renaudot. Il s’agit d’Armand Lunel, écrivain aixois couronné l’année de la fondation du Prix pour son roman Nicolo-Peccavi ou l’Affaire Dreyfus à Carpentras et dont la salle de conférences de la Méjanes porte son nom.

L’ombre sale de Matzneff, Renaudot de l’essai en 2013

Curieux fonctionnement des Renaudot depuis qu’ils peuvent attribuer leur récompense à un écrivain ne figurant pas sur la liste finale comme Daniel Pennac en 2007 pour «Chagrin d’école» ou carrément décédé telle Irène Némirovsky morte le 19 août 1942 à Auschwitz, saluée en 2004 pour son roman «Suite française» jusqu’alors inédit. L’an dernier Sylvain Tesson lui aussi absent du dernier carré obtint le Prix Renaudot pour «La panthère des neiges» paru chez Gallimard. Qui pour lui succéder alors que Jérôme Garcin puis Le Clézio ont démissionné récemment de l’Académie en signe de protestation quant à l’attribution en 2013 du Prix Renaudot de l’essai à Gabriel Matzneff pour «Séraphin, c’est la fin» publié à La Table Ronde. Les deux écrivains ont par ailleurs affirmé qu’ils n’avaient bien sûr pas voté Matzneff et s’étaient opposés «avec force» sans être écoutés à l’attribution du prix pour ce livre qui selon Le Clézio est «une apologie du viol», et qu’il a lu «avec beaucoup de dégoût». Jérôme Garcin souhaitant aussi davantage de femmes en tant que membres du jury, (seule Dominique Bona figure parmi les actuels huit membres). Peut-être sera-t-il entendu puisque deux places laissées vacantes après ces deux démissions demeurent à pourvoir. On ne va pas donc pas au regard des coutumes du Renaudot se lancer dans le jeu des pronostics, mais je ne serais pas étonné qu’une femme soit couronnée cette année… Il pourrait bien s’agir de Mari-Hélène Lafon la favorite à mes yeux pour son livre «Histoire du fils » ou de Irène Frain avec «Un crime sans importance». Dans le cas toutefois où Le Tellier n’obtiendrait pas le Goncourt, car il deviendrait alors LE prétendant suprême au Renaudot.

Les six finalistes sont…

«Ce qui plaisait à Blanche» de Jean-Paul Enthoven (Grasset)

Jean-Paul Enthoven @Jean-François Paga/Grasset
Jean-Paul Enthoven @Jean-François Paga/Grasset

On va dire de ce roman chic, branché, et beaucoup moins drôle qu’on nous l’annonce qu’il développe une histoire romantico-érotique entre gens riches et oisifs qui, au fil des pages, détaillent leurs pérégrinations et leur états d’âmes. Ce n’est guère passionnant, c’est assez vain, et si «le mentir-vrai» d’Aragon semble tenir de fil rouge au récit, Enthoven n’a ni la magie de son devancier ni sa hauteur de vue.

«Un crime sans importance» d’Irène Frain (Seuil)

Irène Frain @ D.R./Seuil
Irène Frain @ D.R./Seuil

Ce n’est pas à proprement parler un roman mais c’est un récit poignant, qui serre la gorge, par lequel l’auteur évoque le meurtre de sa sœur sauvagement assassinée chez elle dans un pavillon de banlieue par un rôdeur dont on ne retrouvera la trace que bien des années après. Un des plus beaux témoignages sur le deuil, tenu par une langue superbe, qui évite pathos et clichés. Une réflexion déchirante sur notre époque troublée, percluse de violence .

«Histoire du fils» de Marie-Hélène Lafon (Buchet-Chastel)

Marie-Hélène Lafon DR/Buchet-Chastel
Marie-Hélène Lafon DR/Buchet-Chastel

Voilà la favorite donc. Comme dans «La Communion solennelle» que René Féret réalisa en 1977 avec au générique final la chanson sur les Gravet et les Dauchy interprétée par Serge Reggiani, Marie-Hélène Lafon nous propose ici une chronique familiale courant sur des années et mettant en scène des êtres complexes mus par de lourds secrets. Dans une forme originale, où une absence totale de dialogues rejoint la voix d’un narrateur omniscient, l’écrivaine nous émeut et nous rappelle combien la grande Histoire pèse de tout son poids sur la volonté propre des individus. Au centre de ce kaléidoscope on trouve André Léoty né en 1924, le fruit d’une union plus ou moins cachée entre Gabrielle Léoty, longtemps infirmière à Aurillac et un père inconnu qui se trouve être un certain Paul Lachalme, né le 2 août 1903, mort en 1998, et qui a eu pour frère jumeau Armand Lachalme (1903-1908). Élevé par Hélène, la sœur de Gabrielle, et par son époux Léon, le jeune André grandit dans le Lot au milieu de ses cousines. Chaque été il retrouve sa mère et ce n’est que le jour de son mariage qu’il découvrira l’identité de son père. Belles phrases sur Paul décrit comme «un jeune chien, un sauvage, un rusé ; il fait sa cour, butine, coule des regards de velours, il s’aiguise, il s’affûte, il a vite appris ; il plante ses crocs, il sera capable de tout, il ne sera pas recommandable» et qui séduira Gabrielle «qui n’aime ni les doux, ni les gentils», et qui «se voue aux flamboyants, aux flambeurs, aux fulgurants, aux ardents qui brûlent tout ce qu’ils touchent». Du Lot à Paris, en passant par le Cantal, Marie-Hélène Lafon nous promène de confrontations avec la solitude en surprises d’exister au cœur d’une foule de personnages témoins d’une époque où l’on cache ses passions au fin fond des provinces taiseuses. «Toutes les familles abritent dans leurs replis les plus intimes ces petites morts qui étaient le lot des temps, une sorte de tribut de chair fraîche et tendre payé aux dieux Lares des descendances pléthoriques», nous renseigne Marie-Hélène Lafon, créatrice d’un monde et d’un style aux couleurs des rêves sensuels programmés tant bien que mal par ses personnages principaux. Si l’univers comme peint en aquarelles par l’autrice demeure réaliste, l’écriture onirique qui vient traverser les chapitres fait naître l’émotion. Beaux portraits de femmes en qui les hommes prennent leurs sources, traversée d’un siècle avec ruptures temporelles, retours en arrière, et gros plans sur les visages, ce court roman est sans graisse ajoutée. Que du muscle, de la nervosité narrative, et de l’intensité dramatique saisie au sein de décors naturalistes proches de ceux d’un Giono du Sud-Ouest. Serge Reggiani aurait adoré chanter cette famille-là.

« L’Anomalie» de Hervé Le Tellier (Gallimard)

Hervé Le tellier © Francesca Mantovani/Editions Gallimard
Hervé Le tellier © Francesca Mantovani/Editions Gallimard

Grandissime favori du Goncourt, et dans le cas où il l’obtiendrait il n’aurait bien sûr pas le Renaudot, Le Tellier signe un livre iconoclaste dans la lignée de l’Oulipo.

«La Grande épreuve» d’Étienne de Montety (Stock)

Étienne de Montety © Patrice Normand
Étienne de Montety © Patrice Normand

Un roman social et coup de poing signé du responsable du Figaro littéraire dont le titre pourrait être, si il n’avait pas été utilisé par Daniel-Rops en 1934, «Mort où est ta victoire?». Un texte crépusculaire et bouleversant dont le titre faisait référence à une réflexion de Saint-Paul extraite de la « Lettre aux Corinthiens ». Il y était question de foi, de désir d’être sauvé, et de la manière dont, avec parfois beaucoup d’aveuglement, l’Homme met en place des stratégies pour y parvenir. Même problématique chez Étienne de Montety qui, ici colorie en lettres de sang tous les visages de l’engagement. Au départ deux parcours d’adolescents se télescopant pour le pire du pire : celui de Daoud M. qui, né en 1996 à Roubaix devint David Berteau après avoir été adopté par François et Laure Berteau un couple d’intellectuels français nourri d’un souffle mystique. Puis celui de Hicham Boulaïd, né à Troyes au début des années 1990, dont le père Brahim Boulaïd avait quitté Tiznit dans le sud du Maroc, et s’est fait embaucher dans une société de travaux publics d’une ville de Champagne. Ces deux-là, radicalisés, vêtus de djellabas pénétreront dans une église pour semer la mort. Ce n’est pas tant le comment qui anime la narration de ce thriller où la métaphysique tient lieu de vêtement à chacun des personnages que le pourquoi. Après avoir posé les cadres du drame, Étienne de Montety propose une large méditation sur le bien et le mal, le juste et l’injuste. Comme chez Daniel-Rops, mais avec des situations évidement très différentes, l’auteur évoque la figure d’un prêtre (Georges Tellier) à la fois confident et conscience de cœurs souffrants. Les dialogues du roman sont admirables de précision et de clarté, la question de l’adoption, comme dans «Au nom du fils» de Hervé Bazin, tient lieu de fil conducteur, et de moteur de l’action, tout comme le statut de déraciné. Pas de complaisance chez Étienne de Montety, ni de compassion pour les bourreaux, mais le besoin de nous faire comprendre comment on en est arrivé là. Nourrissant son récit basé sur un fait divers réel, d’hommages successifs à Marcel Aymé, Maurice Genevoix, auteur naturaliste et pacifique entré au Panthéon ce 11 novembre 2020 où page 87 est mentionné son chef d’oeuvre « Raboliot », et plus surprenant la série télévisée «Les brigades du tigre », dont un des protagonistes raffole. «L’homme est un loup pour l’homme. Seule la force légale, canalisée, permet de contenir celle que génère toute société -et de protéger les plus faibles », écrit le romancier. Un grand roman noir et nimbé de la lumière des Innocents sacrifiés.

«La Faucille d’or» de Anthony Palou (Rocher)

Anthony Palou ©DR/Rocher
Anthony Palou ©DR/Rocher

Quel beau Renaudot il ferait ! Nous y suivons David Bourricot, journaliste au «Réveil-Matin», dont la rédaction est basée à Paris qui, détestant faire des reportages, préfère «rester à regarder les dépêches de l’AFP, les mouches voler, le temps se déployer avec lenteur. Son seul credo : Ne pas avoir de souci, ni avec son banquier, ni avec le Trésor public. Ne pas avoir de compte à rendre ne rien devoir à personne ». Plus ou moins largué par sa femme, vaguement dépressif, alcoolique par dépit, notre homme ressemble à un flic-enquêteur d’un roman noir scandinave ou nord-américain. C’est dire combien il apprécie que très moyennement le fait d’être envoyé par son rédacteur en chef Romain Beaurevoir, au fin fond de la Bretagne afin d’effectuer un reportage sur la mort d’un marin, vraisemblablement en lien avec un trafic de cocaïne. N’ayant pas le choix, il se soumet à cette contrainte et le voilà parti, direction le Finistère cette «fin de terre» de son enfance. Avec dans ses bagages sa mélancolie, sa rigueur, ses néanmoins évidentes qualités professionnelles, son peu d’enthousiasme pour l’existence, et la douleur de savoir son père atteint d’Alzheimer. Arrivé sur les lieux, et installé dans un petit hôtel, tel le commissaire Jules Maigret, il prend ses quartiers d’observation à la Toupie, le bar des piliers de comptoir. De là il observe et rencontre un certain Henri-Jean de la Varende qui n’a pas écrit quant à lui «Nez-de-cuir» comme le fit le vrai Jean de La Varende, membre de l’Académie Goncourt et auteur passionné de romans ayant la mer en toile de fond. Ce La Varende-ci est un artiste-peintre nain de surcroît, fils unique et héritier d’un capitaine d’industrie brestois qui avait prospéré dans le bois nord-africain et le domaine du blanchissage. Autre personnage haut en couleurs croisé par David, la mystérieuse Clarisse, veuve du pêcheur disparu, que l’on définira comme un «anticyclone» semble vouloir guider le journaliste sur les chemins de halage de la vérité. En apparence seulement, ce qui finalement arrange bien notre enquêteur malgré lui, plus soucieux de faire le point sur son moi intime que de faire surgir des eaux du Finistère une quelconque divulgation de faits passés. Et d’ailleurs si l’article commandé ne sera jamais écrit, et les lettres que David destine à sa femme jamais envoyées, le journaliste ne perd néanmoins pas son temps. Le lecteur non plus happé par une histoire en trompe-l’œil à situer entre la chronique d’une mort annoncée, et un roman de Pierre Loti, ou Henri Queffélec. Voire un poème d’Yvon le Men, ou du grand Yves-Marie Le Guilvinec à qui le trio Mordillat-Morel-Sahler vient de consacrer un formidable ouvrage. Anthony Palou qui fut le secrétaire de Jean-Edern Hallier possède une écriture assez onirique, et même si son style n’est pas toujours soigné (il n’était en effet pas obligé de préciser «son organe digestif était sans doute dans un sale état » après avoir écrit « trois semaines que David traînait ces aigreurs d’estomac »), cet enfant naturel des Hussards de la littérature tels que le furent Blondin, Nimier, Déon, sait embarquer chacun (c’est le cas de le dire) dans un émouvant périple intérieur. Une aventure à tiroirs où seul le puissant Noroît semble connaître les réponses à toutes les énigmes.
Jean-Rémi BARLAND

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